INTERVIEW | Nafissatou Thiam: «Pour certains, j’ai déjà l’or, c’est agaçant»
Nafissatou Thiam entamera demain la défense de son titre à l’heptathlon. Elle assume son statut de grande favorite mais garde les pieds sur terre. Sa force.
Publié le 01-10-2019 à 06h41
Depuis son arrivée à Doha mardi dernier, Nafissatou Thiam se prépare sereinement à la défense de son titre planétaire, conquis il y a deux ans à Londres. Celle qui est aussi championne olympique et d’Europe entamera demain en fin d’après-midi ses sept travaux herculéens. La forme est là et tout semble sous contrôle. Même ce coude qui avait suscité les pires craintes au soir de sa blessure, en juin à Talence. Selon Roger Lespagnard, qui tourne comme un lion en cage, la Namuroise de 25 ans ne ressent plus aucune douleur. Tous les feux sont donc au vert.
De la à dire que l'or va lui tomber dans les bras jeudi soir, il y a un pas qui crispe – à juste titre – la championne. «Parfois, j'ai l'impression de parler à des murs, que, pour certains, ma victoire tombe sous le sens. C'est agaçant», glisse-t-elle dans la foulée d'une interview avec une chaîne de TV du nord du pays. Rapidement plus détendue, elle plante le décor. Sans s'emballer et avec maîtrise.
Ici, vous allez défendre un titre pour la première fois…
Oui, mais être la tenante du titre ne change pas grand-chose à mes yeux. Cela ne me donne aucun avantage. Les compteurs sont remis à zéro et ça reste un Mondial où je veux aller le plus loin possible.
Mais votre statut, lui, a changé. Vous faites la une de prestigieux magazines.
C’est parce que j’ai gagné tous les grands championnats depuis trois ans. Il y a une certaine logique là-dedans. Maintenant, je n’en ressens pas un plaisir particulier ou un sentiment d’inconfort. Je n’y fais tout simplement pas attention parce que je suis concentrée sur ma compétition.
Êtes-vous étonnée par votre bonne forme après les deux blessures sérieuses connues cette année?
Oui, un peu. C’est la preuve qu’il y a des choses que l’on ne contrôle pas. Cela dit, j’ai travaillé très dur pour revenir. Après, je ne néglige pas le facteur chance et je m’estime chanceuse de me trouver ici après des épreuves difficiles.
Avant les Jeux de Rio, vous étiez aussi blessée au coude. Vous estimez-vous dans une situation comparable?
Non. Parce que ce n’est pas la même blessure. Elle m’a tenu à l’écart un mois et demi alors que, à l’époque, j’avais dû laisser mon coude au repos durant trois mois. Mentalement, non plus, ce n’est pas pareil. À Rio, je découvrais pas mal de choses, je partais un peu dans l’inconnu.
Il y a deux ans aux Mondiaux de Londres, vous aviez dit ressentir la pression du monde extérieur comme un poids. Et aujourd’hui?
J’ai encore parfois l’impression de parler à des gens qui ne m’écoutent pas. On me dit «ça y est, tu as l’or dans quatre jours». J’ai beau répété que non, que ça ne marche pas comme ça, je me heurte à un mur. Pour certains, c’est acquis, j’ai l’or. Mais on parle d’un Mondial là, pas d’un championnat de quartier. Parfois, on sous-estime l’effort que ça représente. C’est agaçant.
Il devrait y avoir très peu de spectateurs dans le stade, comme c’est le cas depuis le début de ces Mondiaux. En quoi cela peut-il influencer votre performance?
En rien. Je trouve juste ça dommage pour les championnats mais ce ne sera pas la première fois que j’entame un heptathlon dans un stade à moitié vide. Ce fut le cas lors du 100m haies des Jeux de Rio, par exemple, et aux Mondiaux de Moscou. Il n’y a pas souvent beaucoup de monde pour assister aux séances matinales.
Kevin Mayer (champion du monde du décathlon) a dit que ces Mondiaux étaient une catastrophe…
Je ne dirais pas ça. Je trouve normal que l’on aille aux quatre coins du monde et que l’on se rende dans des pays qui ne vivent pas, au départ, pour l’athlétisme. Si l’on ne veut pas s’ouvrir, restons en Europe!
Mais vous avez vu les dégâts causés par la chaleur. Auriez-vous pris le départ du marathon?
Les conditions climatiques sont différentes selon que l’on est dans le stade ou sur la route. Il est difficile de marcher un kilomètre quand on sort de l’hôtel. Alors pour courir un marathon… En revanche, dans le stade, il n’y a pas de souci.
Quelles précautions allez-vous prendre pour faire face à la chaleur?
J’ai des vestes réfrigérantes, des boissons de récupération et des essuies de glace.
Les horaires ont été adaptés et les épreuves multiples ne débuteront qu’en fin d’après-midi…
Je préfère ce programme plus compact. Au moins ici, ça ne durera pas de neuf heures du matin à minuit.
Mais vous courrez le 800m à presque minuit…
Ce n’est pas beaucoup plus tard qu’à Rio. Moi, ça me va.
Pensez-vous pouvoir battre le record d’Europe?
On ne peut pas prévoir un objectif chiffré avant la compétition, surtout en heptathlon. J’aimerais refaire 7 000 points (son record est de 7 013 pts) avant la fin de ma carrière mais savoir si je réussirai est autre chose. Même en commençant bien, je n’ai aucune garantie. On l’a vu l’an dernier à Götzis et en juin à Talence (NDLR: les deux fois, elle était en avance sur le record d’Europe à l’issue de la première journée). En plus, ici, je vais découvrir un nouvel horaire, une inconnue supplémentaire. De toute façon, au départ d’un heptathlon, je ne me mets jamais comme objectif de battre le record d’Europe. Ce serait une erreur de ma part.
Jonathan Sacoor assure détenir la forme de sa vie (voir ci-contre). Et vous?
Moi, non. Je ne me dis pas ça car il y a mon problème au coude. Après, ce n’est pas forcément nécessaire, non plus, que je sois dans la forme de ma vie. Je me sens bien et prête à donner le maximum.
Concernant votre coude justement, prévoyez-vous un traitement particulier pendant l’épreuve?
Je porterai un tape et on verra bien.