176 coureurs dans le peloton du Tour de France, mais combien de cyclistes quotidiens à Bruxelles?
Certains nœuds stratégiques voient passer 500 vélos par heure en Région bruxelloise. Mais la part des déplacements cyclistes y reste minime par rapport à d’autres villes. Alors que Bruxelles se profile en capitale du cyclisme avec le Tour de France, elle est au pied du col pour devenir maillot jaune du cyclisme quotidien.
Publié le 03-07-2019 à 07h10
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Ils ont fait venir Merckx, Dumoulin, Viviani et Evenepoel. Mais derrière ces noms ronflants, on a découvert Eddy, Thomas, Raffaella et Rembert. Le message: les vraies stars du vélo en Région bruxelloise, ce sont ses cyclistes quotidiens, pas les vedettes du peloton.
À 100 jours du Tour, ce coup médiatique a lancé la campagne #tourensemble pour laquelle Région et Ville pédalent en tandem. L'idée est d'engager les Bruxellois à grimper en selle. L'objectif est double. À très court terme, il s'agit d'épargner les rues embouteillées lorsque la caravane y fera étape. À plus long terme, les autorités espèrent que ceux qui s'y mettent n'en descendront pas. Yassine, Julie, Martijn, Layla, Fanny, Romain, Mélodie ou Brendan font partie des quelque 5000 « maillots jaunes » bruxellois à avoir enregistré leur dossard.

Avec ses actions ludiques, ses bourses aux vélos, ses shootings photos, ses slogans et ses posts Instagram, #tourensemble est la campagne la plus importante lancée par la plateforme Bike for Brussels. Elle coûte 500.000 des 800.000€ annuels alloués depuis 2017 à ce label. Celui-ci regroupe toutes les initiatives de com que la Région, via Bruxelles Mobilité, investit dans la promotion du vélo. C'est l'agence réputée Mortierbrigade qui en tient le guidon. Alors que les constructeurs automobiles trustent depuis des décennies les panneaux publicitaires des villes, l'idée était de donner une visibilité, une légitimité et une certaine coolitude au vélo.
Ça fait par exemple longtemps que le Gracq milite pour sécuriser les rails de tram. On nous répond souvent que c’est trop coûteux. Là, le Tour passe et c’est réglé.
«C'est une chouette campagne», salue Florine Cuignet, chargée de politique bruxelloise au Gracq. «Elle a même été primée par le Copenhagenize Index, qui classe le top 20 des villes qui travaillent le mieux pour les cyclistes», salue la représente des cyclistes quotidiens. Qui estime que l'occasion fait le larron. «Bien sûr, le Tour, c'est un gros budget pour des infrastructures temporaires. Ça fait par exemple longtemps que le Gracq milite pour sécuriser les rails de tram. On nous répond souvent que c'est trop coûteux. Là, le Tour passe et c'est réglé. Mais cette course reste une bonne occasion pour parler du vélo au quotidien: la Région l'a saisie. Ça peut être porteur: lors du Grand Départ 2015 à Utrecht, les Néerlandais ont ainsi constaté que le cyclisme sportif avait agi comme un levier pour la pratique du vélo». Dans la 4e ville des Pays-Bas, la part modale du vélo, soit son pourcentage par rapport aux autres modes de déplacement, atteint 26%.
7 ou 8% de part modale
Et à Bruxelles? Avec #tourensemble, la Région place la ligne d'arrivée à 10% de part modale cycliste en 2030, voire 15% pour les déplacements courts. C'est écrit noir sur blanc dans les objectifs de Good Move, le plan régional de mobilité aujourd'hui à l'enquête publique. L'ambition s'est réduite par rapport aux utopiques 20% visés par Iris II, précédent plan mobilité calibré pour 2020. Mais il reste du boulot. Car ça signifie augmenter de 300% le nombre de déplacements à vélo. Or, la part modale du vélo reste assez faible dans la capitale. «Elle…était de 3,5% en 2010», rappelle Camille Thiry, porte-parole de Bruxelles Mobilité, qui ne dispose pas d'étude plus récente. «Depuis, la pratique a plus que doublé. Même si on déduit l'augmentation de la population, on devrait se trouver à 7 ou 8% de part modale en 2019. Mais c'est une estimation». Pour se donner une idée du chemin à parcourir, on peut se référer au reste de l'Europe. Ainsi, à en croire le comparateur de parts modales de la Plateforme européenne du management de la mobilité (EPOMM), Copenhague est à 30%, Anvers à 23%, Amsterdam à 22%, Munich à 14%, Helsinki à 11%, Dublin à 7%, Séville à 6% et Nantes à 5%. Nuance toutefois: les villes reprises dans l'EPOMM fournissent elles-mêmes leurs chiffres et leurs méthodes de calcul diffèrent entre elles.

À Bruxelles, les derniers comptages tendent à montrer que les estimations à la hausse sont justifiées. L'ASBL Pro Velo est missionnée par la Région pour dénombrer les cyclistes. Elle organise 4 comptages saisonniers sur 26 points stratégiques. Selon son Observatoire du vélo 2018, le nombre de cyclistes à a augmenté de 16% en 2018 pour atteindre quelque 32.000 têtes. «La tendance à la hausse observée depuis le début des années 2000 se poursuit avec 13% de taux de croissance annuel moyen depuis 2010», note le rapport. Certains carrefours et artères dépassent même les 500 vélos par heure.
Tout ce qu’on pouvait «SULiser» l’a été. Les seules exceptions résultent de configurations trop dangereuses ou spécifiques

L’amélioration des infrastructures explique évidemment cette hausse. En partie du moins. 41 nouveaux km équipés se sont ajoutés aux aménagements cyclables bruxellois depuis 2014. Dont 35km de pistes cyclables séparées et 6km de pistes cyclables marquées. Au total, Bruxelles comptait en 2018 126km de piste séparée, 67,5km de piste marquée et 28,3km de bande suggérée.

Ce n'est pas fini. Dans les mois qui viennent, le projet de Petite Ceinture cyclable entamé par le Ministre Pascal Smet sous la précédente législature sera bouclé. Le projet FEDER de véloroute nord-sud va par ailleurs compléter les chaînons manquants et améliorer les traversées du canal. Camille Thiry: «trois ouvrages d'art ou passerelles dénivelées, passant sous les ponts Van Praet, de Trooz et Sainctelette, " by-passeront " les carrefours pénalisants et dangereux pour les cyclistes alors qu'une piste cyclable séparée bidirectionnelle sera aménagée sur la chaussée de Vilvoorde entre le nouveau terminal de croisière et le pont de Buda». Dans les tuyaux encore: l'ICR Uccle-Ixelles ou le boulevard Albert II.


Par ailleurs, 95% des sens uniques à Bruxelles sont des «SUL», soit des sens unique «limités» qui autorisent le double sens cycliste. «Tout ce qu’on pouvait “SULiser ” l’a été», précise Camille Thiry. «Les seules exceptions résultent de configurations trop dangereuses ou spécifiques». Enfin, 480 panneaux B22 et B23, ces triangles renversés qui autorisent les cyclistes à tourner à droite ou à continuer tout droit au feu ont été installés. «Soit sur tous les carrefours à feux sauf exception», précise la porte-parole de Bruxelles Mobilité.
Voitures de société
«Y a pas photo: l’amélioration de l’infrastructure est le premier levier pour augmenter la part de cyclistes. D’ailleurs, dans la consultation citoyenne autour du plan Good Move, c’est la nécessité de créer un réseau d’infrastructure vélo performant qui remporte le plus d’adhésion. Pas uniquement des cyclistes, mais aussi des commerçants, des entreprises, des citoyens», acquiesce Florine Cuignet, du Gracq. Qui s’empresse de nuancer. «Cette infrastructure, elle est obligatoire vu le nombre de voitures à Bruxelles. Il faut donc continuer à travailler pour réduire la pression automobile, que les rues soient moins larges, réduire l’emprise du stationnement, pour que le cycliste ne craigne pas pour sa vie».
Cette infrastructure, elle est obligatoire vu le nombre de voitures à Bruxelles. Il faut continuer à travailler pour réduire la pression automobile, pour que le cycliste ne craigne pas pour sa vie.

C’est là que ça se corse évidemment. «Le travail sur les pistes cyclables, le parking hors voirie, l’élargissement de l’espace piéton et cycliste, c’est du ressort de la Région», pose la représentante des cyclistes. «Mais la Région n’a pas toutes les cartes en main: le problème des voitures de société revient au Fédéral alors que les communes pèsent sur certaines voiries». Le Gracq ne revendique d’ailleurs pas des pistes cyclables séparées partout. «Mais pour que ça se passe bien dans les quartiers, il faut les vider de leur trafic de transit».
Difficile, quand on sait combien Bruxelles a la bagnole dans les tripes.

Pour Thibault Dujardin, la campagne #tourensemble a un goût amer. Il faut comprendre le Marollien: il s’est fait voler trois vélos! Le premier dans un box protégé sur son lieu de travail près de la place Fernand Cocq à Ixelles, le 2e dans la rue à 11h du matin dans le même quartier, le 3e dans le centre alors qu’il l’avait posé à quelques centimètres de lui. Le jeune Bruxellois avait pourtant investi dans le meilleur cadenas: un attirail à 134€. «Avec une scie circulaire sur batterie, en moins d’une minute, la bande organisée était partie. C’en est une: elle sévit dans les parages. J’ai vu les images de caméra. Mais ils s’en moquent: ils n’ont plus peur de rien».

Car selon le cycliste, «la police n’assure pas le suivi». Plusieurs PV ont été enregistrés «mais pas de nouvelle». On comprend le rire... jaune face à la campagne de com qui trouvera son point d’orgue ces 6 et 7juillet. «Ce qui me fait mal, c’est que Bruxelles lance une magnifique promo pour le vélo mais que de l’autre côté, les policiers ne me répondent qu’en haussant les épaules, genre “ Que voulez-vous faire? ”»
Buzz
Le jeune homme, lui, a sa petite idée: il veut contourner le hashtag pour faire le buzz en lui additionnant un autre mot-clef: #protectourbikes. L'idée est d'inciter les cyclistes quotidiens bruxellois, victimes de vols ou de dégradation, à poster massivement des photos de leurs bécanes disparues le 6 juillet. Cibles: Facebook, Twitter et Instagram, en n'oubliant pas les deux hashtags. «Quoiqu'en pensent les autorités, Bruxelles n'est pas vécue comme la capitale du vélo mais comme celle du vol! Je veux donc leur rendre le sens des réalités: la vérité, c'est qu'on n'ose pas sortir à vélo de peur de se le faire voler».
Thibault ne se prend pas pour un spécialiste de la cause. Il laisse donc au Gracq et au Fietsersbond le soin d’apporter leur expertise sur cette problématique. «En 2017, il y a eu 3541 plaintes pour vol. Mais la police estime qu’ils ne sont pas tous déclarés», mesure Florine Cuignet, chargée de politique bruxelloise au Gracq. «Et seuls 5% des vélos déclarés volés sont retrouvés».
«Purement scandaleux»
Pour enrayer un peu la spirale, la solution était jusqu'ici de graver sur son cadre son N° de registre national. «Mais aucun suivi du vélo n'est assuré en cas de revente», regrette l'experte. Aussi la Région bruxelloise a-t-elle lancé mybike.brussels: une plateforme web où chaque vélo enregistré gratuitement correspond à un autocollant inarrachable à disposer sur le cadre. «Ça ne résout pas tous les problèmes, mais c'est mieux», admet Florine Cuignet. «La base de données permet de vérifier à la revente que le vélo n'est pas volé. Les autres régions et le fédéral devraient embrayer. L'Europe aussi: à son niveau, elle pourrait imposer un N° de série unique sur chaque vélo neuf».


Autre souci chronique lié au vol: le manque de parkings sécurisés. La Région se félicite de l’ouverture récente des espaces souterrains de la Bourse et de De Brouckère. Soit 1.348 places dans l’hypercentre. «On fait des progrès, principalement dans la gestion centralisée via Cyclo et l’agence du stationnement. Mais on en reste aux balbutiements», analyse l’experte du Gracq. «D’abord, il ne faut pas se limiter au centre. Et dans les communes, les box vélos sont trop rares. Ils ne doivent être considérés que comme une solution ponctuelle car ils sont loin de répondre à la demande: les listes d’attente sont longues. De plus, à 60€ par vélo et par an, ils sont très chers. À ce prix-là, parquer les vélos d’une famille peut revenir à 300€! C’est purement scandaleux par rapport au prix de certaines cartes riverain pour les voitures à 10 ou 5€. Voire gratuites! Bruxelles compte 220 emplacements de parking voiture en voirie pour 100 habitants. à paris, c’est 6,7! C’est pourquoi le Gracq plaide pour une refonte de l’espace urbain. Car ce signal donné n’est pas le bon».
Thibault, lui, roule toujours. «Mais avec la boule au ventre dès que je rentre une minute dans un magasin». Il veut juste savoir où il peut laisser son vélo «sans trimbaler une chaîne de 6kg dès que je sors».