INTERVIEW I Antoine Vayer: «Avant le Tour 99, on savait déjà à quoi s’en tenir pour Armstrong»
Il y a 20 ans, en 1999, Lance Armstrong remportait son premier Tour de France, celui qu’on annonçait comme le «Tour du renouveau», après le scandale Festina de l’année précédente. On en reparle avec le Breton Antoine Vayer, 56 ans, jadis entraîneur chez Festina, devenu détecteur de performances «anormales» chez les cyclistes, chroniqueur et twitto frénétique!
Publié le 02-07-2019 à 18h00
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Première question, Antoine Vayer, quelle était votre situation personnelle lorsqu’a débuté le fameux «Tour du renouveau»?
AV.: Mais j’étais libre! Avec Christophe Bassons (NDLR: coureur français doué mais qui refusait ouvertement le dopage, passant pour un mouton enragé auprès de ses collègues), après le scandale du «Tour Festina» l’année précédente, nous avons démissionné de cette équipe. J’ai créé alors une cellule d’entraînement qu’ont rejointe divers coureurs français qui voulaient changer de méthodes, sortir du dopage en quelque sorte. Il y a eu des espoirs, mais tous n’y sont pas arrivés. Et j’ai suivi le Tour 99 comme chroniqueur pour le journal «Le Monde». Je republie d’ailleurs pour l’instant mes textes de l’époque sur mon Twitter.
En 1999, c’est donc ce Tour où l’Américain Lance Armstrong, revenu à la compétition après son cancer, déboule en bolide et écrase pour la première fois l’épreuve...…
AV: Oui, mais je n’en ai pas été surpris. On savait avant. Au Circuit de la Sarthe, deux mois avant le Tour, il s’était étonné en présence de Jean-Cyril Robin (qui me l’a rapporté), que les cyclistes français, à la suite du Tour Festina, n’osent plus prendre de l’EPO. C’est tout juste s’il ne trouvait pas ça débile de leur part.
C’est aussi le Tour où il s’en prend ouvertement à votre protégé Christophe Bassons… qui finit par abandonner…
AV: Oui, mais autour de Christophe, qui était passé à la Française des Jeux, il y avait une sorte d’irritation générale. Son franc-parler sur le dopage faisait qu’il n’était même pas soutenu par son équipe et par son directeur sportif Marc Madiot. Et donc oui, il y a eu ces intimidations avec Armstrong. Christophe a quitté le Tour mais n’a pas abandonné le cyclisme, il a couru jusqu’en 2001.
Paradoxalement, dans une interview donnée quelques années plus tard, vous dites qu’Armstrong était finalement un «petit joueur» par rapport à ses prédécesseurs, tels Riis ou Indurain.

AV: Absolument, car l’âge d’or de l’EPO, c’était juste avant lui. Un Miguel Indurain n’a jamais été inquiété, et son image n’a jamais été écornée non plus. Sans doute parce qu’il était très gentil, courtois, souriant. Mais voilà, il pesait 80 kg et lâchait pourtant tous les grimpeurs dans les cols, même Pantani, qui était gavé d’EPO lui aussi. Dans mon jargon, on appelle ça un «mutant». Sans parler des Riis, Zulle, Virenque ou Jalabert qui n’étaient pas en reste. Donc par rapport à eux, et à leurs performances surhumaines, un Armstrong faisait presque figure de dopé modéré. Imaginons aujourd’hui, un coureur comme votre Wout Van Aert, qui doit faire plus de 75 kg et qui monterait les cols à la vitesse d’Indurain, on se poserait immédiatement des questions, non?
Et aujourd’hui justement où en est-on?
AV: Il y a une expression que j’ai inventée et qui a été beaucoup reprise, c’est «cyclisme à deux vitesses». Et bien malheureusement, au début de la saison, sur des courses comme Paris-Nice notamment, j’ai cru revoir le retour de ce cyclisme à deux vitesses. On a vu des équipes en surrégime, telles Astana mais aussi Bora, Quickstep ou Jumbo-Lotto. En fait, le cyclisme va mieux aujourd’hui. Il y a davantage de coureurs propres. Mais il y en a quand même qui joue avec les produits dopants, et ça marche! C’est même plus facile aujourd’hui de faire la différence. Ils profitent du système, trustent les victoires et privent les autres de succès. J’ai toujours beaucoup de contacts dans le peloton, et je sais qu’il y en a pas mal que tout ça déprime. Quant au public, il continue à suivre les courses avec passion, mais je pense qu’il n’est pas dupe.
Quand on lit vos chroniques ou vos tweets, vous semblez considérer certains comme des références en matière de propreté, vos compatriotes Bardet ou Pinot par exemple...

AV: Bardet, je ne sais pas, mais concernant Pinot, je ne mettrais pas ma main au feu certes, mais je constate que par rapport à ce dont il est capable, ses performances sont cohérentes. Il ne semble pas aller au-delà de ses capacités physiques. Et à l’une ou l’autre occasion, il a un moment de grâce comme au Tour de Lombardie (NDLR: qu’il a gagné en 2018). Mais rien d’anormal. Après, si je le vois un jour grimper l’Alpe d’Huez aussi vite que Pantani, là, je lancerai l’alerte!
Et Alaphilippe, qui est le numéro un mondial actuel?
AV: Ne me parlez pas d’Alaphilippe, c’est n’importe quoi ce qui se passe avec ce coureur. Précisons qu’il s’est préparé un mois en Colombie en début de saison…Je n’en dirai pas plus!
Justement, vous êtes assez suspicieux à l’égard des Colombiens, qui, il est vrai, accumulent les succès, trustant notamment les 4 premières places du Baby Giro (le Tour d’Italie des Espoirs)...
AV: Je ne doute pas qu’il y a des talents, comme Bernal qui a l’air très fort (NDLR: il vient de gagner le Tour de Suisse). Mais que quasi tous les jeunes Colombiens marchent du tonnerre, que ce soit les grimpeurs ou les sprinters, c’est quand même bizarre. Idem pour les Slovènes (NDLR: les Roglic, Mohoric, Bole, Mezgec...), qui sont omniprésents alors qu’ils sont une dizaine de pros seulement dans le peloton. Mais dans leur cas, certains seconds couteaux se sont quand même fait prendre.
Mais quoi, on ne se débarrassera jamais de ce fléau...
AV: Il y a eu une époque où avec le mouvement dénommé «Change cycling now», nous avons voulu organiser un grand concile où tout le monde serait venu tout dire, tout confesser, comme on a fait en Afrique du Sud à la fin de l’Apartheid. Et on aurait changé la présidence de l’UCI, Greg Lemond (NDLR: seul vainqueur «propre» du Tour aux yeux d’Antoine Vayer) en aurait pris la tête. Et on aurait pu repartir sur de bonnes bases, tourner vraiment la page. Mais ça ne s’est pas fait. Rien n’a été purgé. Et autour des coureurs, dans les encadrements notamment, des directeurs sportifs ou des médecins sont toujours là, qui ont été complices du dopage. Difficile d’évacuer un problème en maintenant ceux qui l’ont créé!
Que vous inspire un jeune hors-norme comme le jeune Belge Remco Evenepoel?
AV: Ce qu’il a fait au Tour de Belgique, à 19 ans, c’est phénoménal. Il n’y a pas que lui qui impressionne, il y a aussi Bernal, Sosa, Pogacar (NDRL: Slovène aussi et vainqueur du Tour de Californie cette année) et Van der Poel évidemment, imbattable depuis sa jeunesse. Des coureurs très jeunes qui roulent très vite à moins de 23 ans. Ce que j’aimerais, c’est qu’on puisse dire d’eux que ce sont vraiment des surdoués, expliquer pourquoi, pour quelles raisons physiologiques, et dire que, dans leur cas, ce n’est pas du toc.
Et le vainqueur sortant du Tour, Geraint Thomas, que faut-il en penser?

AV: Au départ, c’était un pistier comme Wiggins, il est aussi devenu coureur de classiques flamandes. Et puis, on ne sait trop comment, ces gens ont trouvé le moyen de maigrir énormément, sans rien perdre de leur puissance. Au point d’avoir désormais les moyens de dominer les grimpeurs sur leur propre terrain. Alors quel est le secret? Après, il faut l’admettre, l’équipe Sky devenue Ineos est très bien organisée, très méticuleuse. Ils ont des entraînements collectifs continuels, basés à Ténérife ou du côté de Nice. Ils se réunissent et travaillent vraiment en équipe. C’est quelque chose que je prônais aussi quand j’étais chez Festina.
Avec vos tweets insolents, vos chroniques sans langue de bois, vous êtes un peu le «poil à gratter» du cyclisme pro… On vous accueille comment au Tour de France?
AV: Mais très bien. J’estime que c’est mon rôle d’être vigilant, et de maintenir une sorte de pression. Chacun de mes tweets a 100 000 lecteurs! Et je ne suis pas toujours négatif! Je vais au Tour chaque année et j’ai beaucoup d’amis dans le peloton. Je serai au départ à Bruxelles cette semaine...

Il y a ses chroniques, ses tweets mais si on veut en savoir plus sur le cyclisme vu par Antoine Vayer, alors il y a ce livre sorti en 2016, «Je suis le cycliste masqué» qui témoigne de la façon du quotidien d’un coureur d’aujourd’hui, avec ses angoisses, ses peurs, son jargon, ses petites habitudes pas toujours très «clean».
Un livre inspiré «théoriquement» par le témoignage d’un coureur français ayant eu une assez longue carrière, connu pas mal d’équipe et obtenu des victoires un peu sur tous les terrains (on songe à un Sylvain Chavanel). Mais c’est peut-être aussi un mix d’infos provenant de divers confidents, en plus de la vision des choses de Vayer lui-même. U n cocktail détonnant qui se lit d’une traite...