De l’art de se protéger du vent
Thierry Marchal, ingénieur de formation, nous explique, grâce à une énorme simulation, qu’un pro sur le Tour peut rouler comme un cyclotouriste.
- Publié le 10-07-2018 à 06h00
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On savait par empirisme que la position la plus confortable pour un coureur dans un groupe se situe juste derrière le premier tiers du peloton. Ce qui est plus surprenant, c’est que ces coureurs les mieux placés ressentent vingt fois moins de résistance à l’air qu’un coureur isolé. C’est ce qui ressort de la plus grosse simulation réalisée dans le monde, sur un peloton de 121 coureurs numérisés, requérant 3 milliards de cellules.
«Cela dépasse toute simulation effectuée pour la Coupe de l'America en voile par exemple ou en Formule 1, cela dépasse même ce qui peut se faire dans d'autres domaines comme en aéronautique », nous précisait hier Thierry Marchal, habitant à Perwez, directeur sport et santé d'Ansys, une société spécialisée dans la simulation numérique.
Thierry, une étude sur le vélo, c’est aussi par passion?
Oui, bien sûr, comme est passionné le professeur Broken, des universités de Louvain et d’Eindhoven, avec qui je travaille, dans l’idée d’analyser toute l’aérodynamique qui est particulièrement importante pour les cyclistes.
Dans le cadre du clm par équipe qui avait lieu hier, les coureurs y attachent-ils tellement d’importance?
Je pense que oui. Eddy Merckx était un précurseur. Lors de sa tentative de record de l’heure, il parlait déjà à Mexico de l’importance de l’aérodynamisme. Je pense que tout le monde est conscient que le vent joue un grand rôle sur une course cycliste. Par contre, très peu se rendent compte de l’importance que cela peut avoir. Par exemple, on a déjà fait remarquer qu’une voiture qui suit un coureur dans un contre-la-montre à un ou deux mètres pendant cinquante kilomètres va pousser l’air et va faire gagner au coureur une minute quarante. Cela peut suffire pour gagner un Tour de France!
Mais revenons à cette étude sur la meilleure position dans un peloton.
Les résultats obtenus sont étonnants dans leur ampleur. L’étude a démontré que les coureurs situés sur les flancs ressentent encore beaucoup de résistance à l’air. La position la plus favorable est pour le coureur situé au beau milieu du peloton, mais vers la tête, à la fin du premier tiers. Ce qui est le plus étonnant, c’est la proportion. La résistance à l’air est de 5% à 6%, soit vingt fois moins qu’un coureur isolé. C’est une grosse surprise. Ce qui fait dire qu’il ne faut presque pas pédaler ou, dit de façon caricaturale, qu’un cyclo-touriste serait capable de suivre s’il est positionné à cet endroit.
C’est-à-dire vous ou moi?
Comme la résistance de l’air est vingt fois moindre que pour un coureur isolé, c’est comme si on roulait à du 15 km/h par rapport à un coureur isolé. On y fait du cyclotourisme, comme vous ou moi… Jusqu’à ce que le peloton s’étire dans une bosse. Mais cela veut aussi dire que le coureur qui a tenté une échappée solitaire peut, s’il veut récupérer le lendemain, se cacher pendant toute une étape. Sagan nous a confié qu’il prenait souvent cette option avant de passer devant dans les vingt derniers kilomètres. Et cela demande de passer de 15 km/h à plus de 50 km/h.