Les Coupes du monde des années 90 racontées à un jeune, à travers 3 joueurs
Dans son livre «Les Madeleines du foot», Patrick Stein reconstitue des souvenirs d’enfance pour les nostalgiques, mais il se veut aussi témoin pour la génération Y, qui ne se remémore pas (ou très vaguement) les Mondiaux de 1990, 94 et 98.
Publié le 10-06-2018 à 09h00
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Jeune observateur du football, les anecdotes du livre «Les Madeleines du foot», qui sort lundi, ne nous rappellent que des images d’archives ou des anecdotes de nos parents. Sommes-nous dès lor convié aux dégustations des Madeleines du foot de Patrick Stein? «Évidemment, nous rassure l’auteur, journaliste sportif de métier. Ce livre n’est pas réservé à ceux qui ont vécu cette époque. Il ne se veut pas historique non plus, mais les événements qu’il raconte peuvent en effet intéresser la plus jeune génération qui ne les a pas connus.»
L'ouvrage ne fait pas que rappeler de bons ou douloureux souvenirs à ceux qui on vécu ces événements: «En plus du livre, nous avons publié un site internet qui renvoie à des vidéos d'archive sur YouTube», explique Patrick Stein. De quoi dépoussiérer les souvenirs, les reconstruire, ou encore les partager avec les plus jeunes (dont l'auteur de cet article, NDLR). Un dispositif moderne pour un sujet rétro: «On est dans une époque hyperconnectée, il y a toujours moyen de chercher plus loin des informations complémentaires», sait le journaliste, conscient de l'évolution des médias et de leur consommation.
Trois Mondiaux, trois madeleines
Comment la nostalgie des années 90 est-elle racontée à la génération Y? Patrick Stein se remémore trois madeleines de Coupe du monde pour partager ses souvenirs à un autre journaliste, qui n’en a aucun de cette décennie, étant né en 1992 et ayant collé ses premiers autocollants Panini sur l’album de l’Euro 2000 (une référence très fiable pour les fans de foot, NDLR). À chacune de ces anecdotes, nous tentons la comparaison avec le football moderne.
Italie 1990: «C’est trop injuste»
C’est le point de départ du livre. C’est la plus grosse madeleine: le but de David Platt contre la Belgique. Ça reste en mémoire, pour tous ceux qui l’ont vécu. Tout le monde sait où il était, avec qui il regardait le match lorsque ce but a été marqué. C’était à la 120e minute d’un match où la Belgique dominait l’Angleterre, où les Diables ont tiré deux fois sur le poteau... On présentait l’équipe belge comme meilleure encore que celle de 1986 où on avait été en demi-finale. Et puis il y avait la perspective d’affronter le Cameroun en quart. Ce match aurait été accessible, on se projetait très haut, il y avait plein d’espoir... et tout s’est effondré à la dernière seconde, sur un coup franc où il n’y avait pas faute. En plus, il y avait ce commentaire télé de Frank Baudoncq, son long silence suivi du «C’est trop injuste!». J’ouvre le livre avec cette madeleine car elle est la première chronologiquement, mais aussi parce que c’est un des faits les plus marquants pour l’Histoire de la Belgique en Coupe du monde. Ça a vraiment marqué (NDLR: il a utilisé le verbe «traumatiser» avant de se reprendre) toute une génération. Ce but est, malheureusement, incontournable.
Si le tableau était ouvert, peut-on dès lors comparer cette élimination avec celle de l’Euro 2016, également contre des Britanniques a priori «prenables»?
Pas vraiment, car, contre l’Angleterre, on avait vraiment ce sentiment d’avoir dominé tout le match. Là où on avait tiré deux fois sur le poteau en 1990, il y avait cette longue agonie il y a deux ans, où on sentait que l’inévitable allait arriver. Contre le Pays de Galles, on n’a pas ressenti cette injustice. Oui, la défaite était regrettable car on devait gagner sur papier, mais elle était méritée au vu du match. Le scénario du match contre l’Angleterre était tout autre: si on devait réécrire l’histoire, il n’y avait pas faute sur ce coup franc. Et en plus, comme le but tombe à la 120e minute, on n’avait même pas l’occasion de réagir pour effacer cette injustice.
USA 1994: La joie du Brésil de Bebeto, Romario et Mazinho
Ce Mondial était placé sous le signe de la joie. L’image qui symbolise le mieux cette ambiance est la célébration des Brésiliens après un but de Bebeto contre les Pays-Bas en quart de finale. Il venait d’être papa, et lui et ses équipiers ont dédié le but à son bébé en faisant le geste du berceau. Cette scène de joie est restée dans l’Histoire, et ce mime est fréquemment repris depuis, à l’heure actuelle également. Cette Coupe du monde était vraiment la plus joyeuse. Elle se jouait aux États-Unis, où règne la culture du sourire, et où le «soccer» faisait une grande opération de séduction. Les matches se jouaient en journée pour être diffusés en soirée en Europe, qui était le centre du monde footballistique à l’époque, ce qui fait qu’il y avait toujours un soleil radieux et plein de couleurs... D’ailleurs, contrairement à 1990, la moyenne de buts marqués a raugmenté, notamment grâce à quelques changements de règles qui ont bénéficié aux attaquants (NDLR: d’ailleurs, sur ce but, Romario est hors-jeu, mais comme il ne participe pas à l’attaque, la phase n’a pas été interrompue). La célébration de ce but, par les stars du Brésil, futur champion, est un beau résumé d’une compétition très sportive.
Ce Brésil-là était-il, comme aujourd’hui, une «équipe de stars»?
Oui, mais plus que ça: il pouvait également jouer de manière très réaliste. Ça pourrait également être le cas cette année, car on annonce une «dream team» avec des joueurs offensifs de fou, mais, derrière, les milieux défensifs et l’arrière-garde auront beaucoup de boulot. Romario était considéré comme l’un des meilleurs attaquants du monde, si pas le meilleur. Il y avait aussi Bebeto, qui formait avec lui un duo extraordinaire. Mais le Brésil a surtout joué de façon réaliste. Oui, il y a eu des coups d’éclat, comme cette victoire 3-2 en quart contre les Pays-Bas. Mais c’était 0-0 après 120 minutes dans la finale gagnée contre l’Italie, qui était la première de l’Histoire à se départager aux tirs au but. Là, on avait perdu le côté «samba» qui était surtout présent au début de la compétition. Dans les moments importants, le Brésil a su se montrer réaliste, à l’image de Dunga, le capitaine.
France 1998: Zidane, mais pas que ses buts en finale...
Dans mon livre, le chapitre dédié à la France de Zidane est une lettre qui lui est adressée. Car la Coupe du monde de 1998 restera celle de Zidane, avec ses deux buts en finale pour couronner le tout. Il y a ses gestes sur le terrain, mais pas seulement. Je me suis beaucoup appuyé sur le documentaire «Les yeux dans les Bleus» qui est paru après la compétition qu’il retrace de l’intérieur. Ce film permet de voir le côté humain d’une Coupe du monde en la vivant depuis le vestiaire. C’était la première fois qu’on pouvait en faire l’expérience. En plus de cet aspect, on peut aussi voir le documentaire comme une belle photographie de l’époque. Ces images sont bourrées de madeleines: les premiers téléphones portables, les lecteurs de CD immenses remplacés depuis par les lecteurs MP3 et les smartphones. C’est déjà une madeleine audiovisuelle. La madeleine du foot, ce serait évidemment Zidane, mais pas forcément ses deux buts en finale dont tout le monde se souvient. Je me souviens de cette scène de «Les yeux dans les Bleus» qui suit son exclusion du match contre l’Arabie saoudite (41:20 dans la vidéo ci-dessus). La caméra l’accompagne dans le vestiaire, où on voit un Zidane qui comprend qu’il a déconné. Il est tout seul dans le vestiaire, avec le caméraman, et il y a un long silence qui en dit long sur le personnage, et sur ses coups de sang qui ont marqué sa carrière. (NDLR: Jusqu’au bout, même les millenials ont pu le vivre, en 2006)
Cette madeleine n’a-t-elle pas un mauvais arrière-goût depuis que Platini a avoué sans gêne la «petite magouille» du tirage au sort?
C’est bizarre, ce qu’il s’est passé autour du cas Platini et de cette déclaration. Et c’est surtout vis-à-vis de la forme, plus que sur le fond. Cette fameuse magouille - le mot employé est malheureux et il va drainer la suspicion - était d’usage, à l’époque! On faisait en sorte que le tenant du titre et le pays organisateur ne pouvaient se rencontrer qu’en finale. Ça avait été fait avant, et ça s’est fait par après! D’ailleurs, pour l’Euro 2000 qu’on coorganisait avec les Pays-Bas, le tableau avait été dessiné pour éviter un match entre la Belgique et les Pays-Bas avant la finale. Ça n’a pas été le cas, mais tout était prévu pour. Ces arrangements étaient courants, et ils avaient même été annoncés avant le tirage au sort, j’ai fait mes recherches! Ce n’était donc pas une magouille secrète, ils avaient été très clairs à l’époque. Ce qui fait scandale aujourd’hui, c’est de voir Platini pavaner comme à l’apéro d’avoir offert le titre avec une magouille. Or, s’il y avait vraiment eu des magouilles, elles auraient été plus subtiles, car j’ai retrouvé des articles de 1997 qui parlaient déjà de cet arrangement, avant le tirage au sort. Je ne pense pas que ça donne un goût amer à la madeleine, même si c’est très maladroit de la part de Platini.
Quelles madeleines pour cette génération?

Opérons un virage à 180° et passons de la rétrospective à la fiction. Dans 20 ans, que retiendrons-nous du football d’aujourd’hui? Selon Patrick Stein, les plus jeunes nous envieront d’avoir vécu la rivalité entre Messi et Ronaldo, qui se partagent le sommet du football sans discontinuer.
En ce qui concerne les Diables, il sera inévitable d’évoquer la génération dorée. «Notre équipe actuelle compte dans ses rangs le Diable le plus capé de l’Histoire et le meilleur buteur. Et ces records seront encore améliorés», rappelle le journaliste qui annonce déjà la couleur des prochaines madeleines, en évoquant Vertonghen et Lukaku. «Qu’elle réussisse ou pas (en Russie), on se dira quand même qu’on a eu la meilleure génération belge de tous les temps. Comme pour le but de Platt, on parlera du but d’Higuain qui nous a éliminés en 2014, mais on parlera avec bonheur du match contre les USA qui a précédé. De même, on se souviendra douloureusement du but de Robson Kanu pour le Pays de Galle. Les madeleines se construisent sur des émotions fortes, qu’elles soient tristes ou heureuses», résume-t-il finalement. Raison pour laquelle l’Euro 2016 va probablement moins marquer les mémoires: «C’est un flop qui commence et s’achève sur des défaites, et où on n’a fait que stresser entre les deux. Le contraste est énorme quand on compare ça à la Coupe du monde 2014 avec le retournement de situation en entrée contre l’Algérie, l’apparition d’Origi et le match fou contre les USA.»
Et le Radjagate, s’en souviendra-t-on? «Oui, je pense, commence Patrick Stein, avant de tempérer. Ça dépend du résultat, en fait. Si la Belgique va en quarts, en demi-finales ou en finale, non, la plupart aura plutôt retenu la suite. Le Radjagate fait déjà partie de l’histoire de cette Coupe du monde, mais la suite déterminera s’il s’agira d’une anecdote ou d’un tournant dans la compétition.» Réponse dans un mois...