Pollution de l’Escaut par Tereos: un documentaire pour en tirer les leçons (vidéos)
En avril 2020, l’Escaut connaissait la pire pollution de son histoire. Deux réalisateurs français, Olivier Hennegrave et Thomas Risch, reviennent sur le déroulé, les événements, les conséquences écologiques et les implications judiciaires de cette catastrophe sans précédent. Diffusion du documentaire ce jeudi sur La Une.
- Publié le 08-06-2023 à 06h30
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Les images de ces milliers de poissons morts dans l’Escaut, faute d’oxygène, restent dans les esprits. Dans la nuit du 9 au 10 avril 2020, l’Escaut connaît la pire catastrophe de son histoire: une brèche dans un bassin de décantation de l’usine sucrière Tereos, près de Cambrai, déverse l’équivalent de 44 piscines olympiques d’eaux polluées dans le fleuve. En l’espace de quelques jours, 90% de la biomasse piscicole et 50% de la biodiversité de la faune et la flore disparaissent.
Dans "Catastrophe de l’Escaut, mort et renaissance d’un fleuve", les deux réalisateurs français Olivier Hennegrave et Thomas Risch reviennent sur l’un des plus grands désastres écologiques européens de ces dix dernières années. Le documentaire sera diffusé ce jeudi 8 juin à 22 h 45 sur La Une, et est également rediffusé à divers moments sur Notele. Entretien avec Olivier Hennegrave.
Comme Thomas Risch, vous n’êtes pas originaire d’une région traversée par l’Escaut, qu’est-ce que vous a poussé à consacrer un documentaire à ce fleuve ?
C’est un peu par hasard, au détour d’une rencontre avec des représentants du Parc naturel régional Scarpe-Escaut dans le cadre d’un projet de film sur les Trames Vertes et Bleues, que nous avons appris la catastrophe qui avait touché l’Escaut quelques mois plus tôt. Nous l’ignorions complètement, et nous n’en avions pas entendu parler. Alors que l’information générale était accaparée par la première vague de Covid, cette affaire est un peu passée inaperçue et sous silence, surtout en France… alors que c’est la grande catastrophe de la décennie en milieu aquatique ! Commeles urgences autour de la biodiversité sont d’une urgence capitale, il nous a dès lors paru grand temps d’exposer au plus grand nombre cette catastrophe de l’Escaut qui est devenue, pour nous, un symbole de la lutte contre les pollutions qui souillent nos espaces de vie.
Une pollution qui arrive d’autant plus au plus mauvais moment… Vous revenez sur tout ce qui avait été mis en place pour faire de l’Escaut, un exemple à suivre !
Ironie du sort, cela intervient en plein confinement… avec une diminution de la navigation qui aurait permis à la nature de reprendre ses droits. Il faut aussi noter que d’un fleuve fortement anthropisé par l’industrialisation et la pression démographique, très pollué dans les années 80 et presque mort, Français et Belges avaient réussi à lui redonner vie ces dernières années. Les études montraient que les eaux de l’Escaut redevenaient poissonneuses, signe d’une bonne santé du milieu aquatique. Cette pollution a asphyxié toute la biodiversité et l’écosystème de l’Escaut et de ses rives… Des années d’action en faveur du bien-être du fleuve ont été réduites à néant: des dizaines de tonnes de poissons morts sont retrouvées. Tout est à refaire, et le délai pour revenir à la normale est évalué à une vingtaine d’années.
Vous mettez aussi en évidence des manquements dans la gestion de cette catastrophe. Surtout l’absence de communication des autorités françaises vers leurs homologues belges…
En effet, vu le faible débit de l’Escaut, il a fallu 10 jours pour que la nappe asphyxiante arrive à la frontière. Et pourtant les Belges en ignoraient l’existence. Alors que Tereos se voulait rassurant, les autorités françaises ont aussi sous-estimé l’ampleur de cette catastrophe, le fait qu’elle occasionne une telle mortalité des poissons et qu’elle s’étende sur des dizaines de kilomètres. Indéniablement, il y a eu des manquements dans la communication et la coopération internationales, mais aussi des négligences dans la transmission des informations. Le système d’alerte n’a pas fonctionné. Si du côté wallon, il était trop tard pour réagir, les Belges ont pu limiter l’impact en Flandre en mettant en place des systèmes pour oxygéner l’eau et en déviant une partie de la pollution vers un autre cours d’eau déjà affaibli.
Pensez-vous que des leçons vont être tirées de cette catastrophe ?
Je l’espère, et c’est aussi dans cet espoir que nous avons réalisé ce documentaire. Même si Tereos a fait appel, le premier jugement pour imprudence et négligence a été particulièrement sévère: 500 000 euros d’amende, mais aussi 8 millions d’euros en faveur de la Région wallonne. Pour la première fois dans les Hauts-de-France, le principe "pollueur payeur" a été appliqué et a sanctionné l’entreprise Tereos. L’entreprise a été obligée à restaurer des sites, et donc à réparer ses erreurs. La pollution de l’Escaut pourrait créer un précédent ouvrant de nombreuses portes sur le plan juridique et des perspectives concernant le droit à l’environnement. Je pense qu’après cette affaire, les entreprises seront aussi plus vigilantes à réaliser les investissements nécessaires pour éviter de payer des millions d’euros en cas de pollution environnementale.
Votre documentaire est également l’occasion de (re)découvrir l’Escaut de sa source à son embouchure.
Il était important de recontextualiser l’Escaut, et de rappeler que d’une petite rivière sauvage, à sa source, il se développe au fil de son tracé pour devenir un fleuve et finalement rejoindre la mer. Ce parcours de 360 km entre la France, la Belgique et les Pays-Bas, nous l’avons suivi avec Patrick Meire, chercheur au département de Biologie de l’Université d’Anvers. Ce documentaire rappelle aussi le fait que l’Escaut connecte trois pays, et qu’il serait intéressant que les citoyens puissent se réapproprier leur fleuve pour l’appréhender autrement et le défendre comme un enjeu de biodiversité et de qualité de vie.