"Le palais de justice de Tournai n’est plus digne de 2023": entretien avec le nouveau procureur du roi, Vincent Macq
Quelques semaines après avoir quitté le parquet de Namur et pris ses fonctions en tant que procureur du roi de l’arrondissement judiciaire Mons-Tournai, Vincent Macq a déjà pu se rendre des défis qui l’attendent: le manque de personnel, l’état des bâtiments judiciaires, la lutte contre les produits stupéfiants, etc. Entretien.
- Publié le 22-04-2023 à 07h30
- Mis à jour le 22-04-2023 à 08h05
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Après plus de 20 ans au parquet de Namur, dont presque 10 ans en tant que procureur du roi, qu’est-ce qui vous a poussé à prétendre au poste de procureur du roi de l’arrondissement judiciaire Mons-Tournai ?
J’ai été nommé procureur du roi de Namur en 2014. Il s’agit d’un mandat de 5 ans, renouvelable une fois. Et donc neuf ans plus tard, j’arrivais à bout de course, et j’étais en recherche d’un nouveau défi professionnel tout en ayant l’envie de poursuivre dans cette fonction. Le parquet est un acteur essentiel dans le bon fonctionnement de la justice, et j’avais envie de continuer à me battre pour un ministère public à la fois fort et indépendant, mais aussi pour la protection de l’ordre public et de l’intérêt général. Je savais que Christian Henry, procureur du roi de Mons-Tournai, allait prendre sa retraite. J’ai dès lors commencé à m’intéresser au Hainaut occidental et lorsque la place s’est ouverte, j’ai postulé et présenté un plan de gestion qui a été retenu par le conseil supérieur de la Justice… Je suis un homme de défi: le métier, je le connais, et je découvre un nouveau terrain qui a ses particularités en termes de criminalité, qui doit faire face à certains défis, mais qui est aussi confronté à des difficultés.
Quelques semaines après avoir pris vos fonctions, quelles sont vos premières impressions ?
Pour le moment, je prends le temps de visiter les "maisons" et de rencontrer ses "habitants". Je me rends ainsi compte que les "maisons", Tournai et Mons, fonctionnent de manière forte différente. Il manque d’habitants même si on y retrouve de belles équipes, du personnel de qualité, avec une envie et une conscience professionnelle, des idées et des projets porteurs pour le parquet mais aussi des difficultés et des frustrations qu’il faut pouvoir entendre.
Votre prédécesseur, Christian Henry, déplorait aussi ce manque d’effectifs, sans parvenir à faire pencher la balance…
Dans notre arrondissement, le sous-effectif est l’un des plus importants de Belgique ; le parquet compte moins de 75% de son cadre alors qu’il doit faire face à de nombreuses missions importantes et à une forte criminalité. Je rencontre des gens relativement fatigués de travailler à flux tendu et de ne pas pouvoir consacrer à chaque dossier le temps qu’il mériterait. En raison de ce sous-effectif, il y a un taux de classement sans suite assez important. Si on n’a pas de têtes et de bras supplémentaires, il faudra que je prenne mes responsabilités pour protéger mes équipes et éviter des burn-out en mettant certaines priorités dans le traitement des dossiers. Ce n’est évidemment pas ce dont j’ai envie… parce qu’il n’est pas normal que l’on ne donne pas de réponse à un citoyen qui porte plainte !
Comment comptez-vous attirer davantage de magistrats à Tournai ?
Il faut créer de l’envie, donner une bonne image et rendre ce parquet attractif. Il faut dire aux gens à quel point on fait un job passionnant et qu’il y a une belle équipe chez nous. On doit réfléchir à des conditions de travail qui soient plus attrayantes, comme le renforcement du télétravail, le développement des dossiers électroniques. Il faut ouvrir nos portes, accueillir des étudiants (également du secondaire) en stage en leur permettre de vivre la vie d’un magistrat mais aussi aller à la rencontre des futurs diplômés et des membres du barreau, pour montrer ce que l’on fait au parquet et éventuellement susciter des vocations.
Lorsque vous avez franchi la porte du palais de justice de Tournai, quelle a été votre réaction ?
C’est un très beau bâtiment, mais qui n’est plus digne d’une justice et des conditions de travail de 2023… Si vous y retirez les ordinateurs, quelqu’un du 19e siècle n’y sera pas dépaysé… cela ressemble curieusement à un musée ou à un décor de cinéma pour des films d’époque. Lorsqu’un citoyen se présente pour un litige qui concerne la vétusté d’un logement, et qu’il se retrouve devant le juge de paix dans un bâtiment tout aussi vétuste… Quel crédit avons-nous ? Quelle image renvoyons-nous aux justiciables ? Alors que la justice doit veiller au respect des droits et au bien-être des travailleurs, ce sont ses travailleurs qui se retrouvent les plus mal lotis en la matière… c’est surréaliste ! Il y a l’état du palais de justice de Tournai qui est préoccupant, mais il y a aussi le fait que l’on est sur des implantations qui sont dispersées à droite et à gauche… ce n’est pas le plus adapté pour une justice de qualité.
À Namur, face également à des bâtiments vétustes, vous aviez décidé de fermer une partie du palais de justice, comptez-vous le faire à Tournai ?
On n’en est pas encore à ce point-là. Je ne suis pas là pour faire du spectacle, mais il est clair que si à un certain moment on me dit que le palais de justice est tellement vétuste qu’il met en danger les occupants (le personnel et les justiciables), je prendrai mes responsabilités !
On évoque un projet de nouveau palais de justice à Tournai, qu’en attendez-vous ?
Il y a des projets qui sont sur la table, et j’attends de voir… Des promesses politiques, dans ma vie professionnelle, j’en ai entendues tellement que je n’y crois plus ; je crois aux actes ! Si aujourd’hui, un ministre me dit qu’il s’engage pour 2027-2028, autant dire qu’il ne s’engage pas vu qu’il y a des élections dans un an… Par contre en 2024, il serait bon que les acteurs tournaisiens judiciaires, administratifs ou politiques puissent se mobiliser pour remettre le dossier "palais de justice de Tournai" sur le bureau des ministres… Ce n’est pas le procureur, tout seul qui fera avancer les choses, même si un bon coup de gueule de temps en temps permet de secouer un peu le cocotier ! Par contre, et même si la décision dépend du politique, je militerai pour le maintien des lieux de justice à Tournai. Je suis partisan d’une justice rendue à proximité des citoyens. On ne peut pas demander à des citoyens de Comines de se rendre à Mons pour faire face à la justice… Je prônerai aussi le rassemblement de toute l’activité judiciaire tournaisienne dans un seul bâtiment, et plus dans 3 ou 4 lieux différents…
L’arrondissement judiciaire a aussi cette particularité d’avoir deux divisions Tournai et Mons, comment voyez-vous les choses ?
En 2014, les parquets de Mons et de Tournai ont fusionné, mais dans la pratique on est encore loin d’une réelle fusion et collaboration… Pour l’instant, il y a encore deux "maisons" quelque peu poussiéreuses à certains points de vue ; il faut les moderniser et abattre certains murs afin de créer des baies vitrées et des passerelles entre les services, entre Tournai et Mons. Face à un manque de personnel, les deux équipes sont en difficulté, et sans doute qu’en travaillant mieux ensemble, elles pourraient s’épauler l’une l’autre et ainsi être plus efficaces et performantes. J’ai envie que cette somme d’individualités devienne un ensemble cohérent en renforçant la cohésion et l’esprit d’équipe.
De beaux défis vous attendent donc…
Je n’arrive pas au parquet de Mons-Tournai pour m’asseoir dans un fauteuil, mettre mes pieds dans des pantoufles, rester dans ma tour d’ivoire et donner les ordres ! Loin de là. Je veux être sur le terrain et auprès de mes équipes. Personnellement, je vois le rôle d’un procureur du roi comme un capitaine de navire. Il est dans le même bateau que les autres, et avec eux, il suit la direction que prend le navire. Le capitaine veille à ce que le bateau ne prenne pas l’eau et reste à flot ; à ce qu’il y ait assez de matelots pour le faire avancer ; et à ce que tout soit mis en place pour que le bateau arrive à bon port malgré les tempêtes. J’ai 54 ans, et je pense que j’ai une belle expérience derrière moi, et je suis ravi de voir que devant moi il y a encore un très beau projet à mener et de sacrés défis à relever. Et étant passionné par mon métier, que demander de plus !