Quarante ans après le décès d’Hergé, Étienne Pollet se souvient. Il se sentait "comme un vicaire qui rencontre le pape" face à l’auteur de bande dessinée
À l’occasion des quarante ans de la disparition du papa de Tintin, l’un des anciens cadres de la société d’imprimerie Casterman, Étienne Pollet se souvient de ses quelques rencontres avec Hergé.
Publié le 03-03-2023 à 06h00
Le 3 mars 1983, le célèbre reporter à la houppette perd son auteur, Georges Remi, dit Hergé, d’une leucémie à l’âge de 75 ans. Ce bédéiste ne l’aurait peut-être pas cru, mais quarante ans après son décès, les Aventures de Tintin restent un classique indémodable. On ne compte plus les millions d’exemplaires vendus à travers le monde, ni même les Tintinophiles.

Ce succès immédiat, Hergé le doit certes à son talent, mais aussi à son éditeur et imprimeur historique Casterman (racheté par Flammarion, puis par Gallimard). Petit-fils de Louis Casterman, Étienne Pollet a travaillé au sein de la maison tournaisienne dès 1972. Après un passage à l’édition, il s’est ensuite occupé de la production des livres ainsi que du volet Hergé durant les dix dernières années d’activité de la société.
Comment ce Bruxellois d’origine s’est lié d’amitié avec Tournai ?
Hergé a beaucoup sympathisé avec Charles Lesne, l’adjoint de Louis Casterman. En fait, ce qu’on ne sait pas, c’est qu’il est avant tout graphiste et publiciste. Il est d’abord sollicité à l’imprimerie pour moderniser une couverture de livre du XIXe siècle: L’Année avec Marie.
Lorsqu’en 1934, le mentor d’Hergé quitte le journal Le Vingtième Siècle – dont le supplément a déjà publié les trois premières Aventures de Tintin (au pays des Soviets, au Congo et en Amérique) – Charles Lesne lui propose d’éditer ses histoires chez Casterman.
On remarque que le dessin publicitaire colle assez bien à l’esprit de la bande dessinée, parce qu’il faut se faire comprendre rapidement. C’est pour ça que les couvertures de Tintin sont attractives. Hergé est un homme de pub.
Quand l’avez-vous vu pour la première fois ?
En 1955, une grande festivité est organisée pour le 175e anniversaire de Casterman. J’ai dix ans. Mon frère et moi sommes les premiers petits-enfants de Louis Casterman et donc, dans l’ambiance paternaliste de l’époque, il est bienvenu de nous mettre à contribution. On nous demande d’aller offrir des fleurs à Hergé et Jeanne Cappe, une journaliste et auteure de livres pour enfants.
Je dois apporter un bouquet à Jeanne Cappe, une dame âgée avec un grand chapeau, mais j’ai peur. Je coupe alors la chique à mon frère qui se dirige vers Hergé pour tendre les fleurs au dessinateur. Il m’a croqué Tintin au crayon sur le programme de l’événement avec un "A Étienne, en remerciement de ses jolies fleurs".
À ce moment-là, je suis encore en primaire. On nous apprend d’abord à travailler au crayon dans un cahier de brouillon, puis de repasser au propre avec de l’encre. Eh bien, j’ai appliqué cette méthode à la lettre sur le dessin d’Hergé, ce qui lui a enlevé toute sa valeur, mais j’en garde un bon souvenir.
Des Tournaisiens qui ont rencontré Hergé en 1955 et qui vivent encore, il ne doit plus en rester beaucoup (rires).

Avez-vous eu l’occasion de lui parler de cette anecdote ?
Je ne crois pas, mais je l’ai revu dans le cadre professionnel. J’étais comme un vicaire qui se rend à Rome pour rencontrer le pape. Par exemple, quand j’ai l’idée de traduire en picard tournaisien Les bijoux de la Castafiore (Les pinderleots de l’Castafiore).
C’est en 1980, un an avant le bicentenaire de Casterman. On cherche ce que l’on va pouvoir organiser. À l’époque, je fréquente les milieux patoisants. Ce sont les débuts, si bien qu’en comité de direction, c’est un refus. Faire un Tintin en patois, ce n’est pas convenable. Ça ne plaira pas à Hergé, m’a-t-on dit. Mais pour en être sûr, il faut lui demander.
Donc, je vais dans son studio à Bruxelles avec Didier Platteau qui dirige le département édition à ce moment-là. On ne sait pas comment ça va se passer, parce qu’il est déjà malade. On demande d’abord des nouvelles de sa santé et il nous répond: "Vous savez, c’est comme les vieux arbres, il y a encore l’écorce, mais à l’intérieur, tout est pourri". Cela nous fait un choc (rires). Mais bon, on lui expose notre projet. Tout de suite, il nous interrompt et nous dit: "Il suffit que Casterman me le demande et je suis d’accord".
Pendant très longtemps, je me suis dit que l’idée plaisait finalement à Hergé. Mais tout compte fait, cela n’est pas sûr. En ce qui me concerne, cela a été le plus gros succès avec le plus gros tirage. Après cet exemplaire, une vingtaine d’albums ont été traduits dans plusieurs langues.
Des archives de la Sonuma datant de 1979 présentent la foire aux dessins à Tournai. Hergé y est présent. Vous en souvenez-vous ?
C’est une initiative d’Yves Willocq, soutenue par les éditions Casterman. On a fait venir Hugo Pratt (auteur de Corto Maltese), Bob de Moor (bras droit d’Hergé), Hergé,… Les Tournaisiens ne se rendent pas vraiment compte qu’il s’agit là d’un des plus grands rassemblements de dessinateurs. Cela a lieu sur la Grand-Place, sous des tentes. C’est une des rares fois où Hergé vient à Tournai, ailleurs que chez Casterman.
Est-il facilement approchable ?
C’est un homme charmant. Je traite son courrier professionnel avec Charles Lesne. Je travaille également quelque temps chez Moulinsart, sur le courrier d’Hergé à destination de ses admirateurs.
Il écrit de manière élégante. Il est très accueillant, mais il dit les choses. Hergé est aussi marqué par la Seconde Guerre qui l’a fort déprimé et à partir de laquelle il s’est forgé une carapace. On peut bavarder avec lui pendant une heure sans qu’il ne se soit livré.
