Cour du Travail : le licenciement du conservateur du musée des Beaux-Arts de Tournai était abusif
La cour du travail de Mons a réformé le jugement rendu par le tribunal du travail, division de Tournai. Jean-Pierre De Rycke, conservateur du Musée des Beaux-Arts, avait bien été licencié abusivement par la Ville de Tournai.
Publié le 12-04-2022 à 08h18
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Docteur en histoire de l’art, Jean-Pierre De Rycke a été le premier conservateur professionnel du Musée des Beaux-Arts de Tournai. Il est entré en fonction le 3 janvier 2008.
Un caractère fort
L’homme a multiplié les expos, les prêts et les emprunts d’œuvres. Les audaces aussi. On se souvient de l’hippopotame violet flottant dans l’atrium. Doté d’un caractère fort, sûr de ses choix, il lui est arrivé de se heurter à l’administration et au pouvoir politique, notamment lorsqu’il s’est agi d’envisager la restauration et l’extension du musée.
Ce qui a suivi n’a évidemment rien à voir avec telle prise de position. Et c’est donc une coïncidence si M. De Rycke a été licencié en décembre 2017 (à quinze jours de ses 10 années de présence). La raison de son éviction? En ne suivant pas d’assez près certain dossier, il aurait fait courir des risques de rétrogradation du Musée des Beaux-Arts de Tournai auprès de la Fédération Wallonie Bruxelles. Note: le coordinateur des musées avait alors également été licencié. Et le musée n’avait pas été rétrogradé.
Ce fut donc un licenciement "classique", pas pour "motif grave", et avec les indemnités prévues en ces circonstances.
Aucun avertissement
Jean-Pierre De Rycke a néanmoins contesté son licenciement qu’il estimait abusif, d’abord par recours interne devant le conseil communal (pas d’effet), ensuite devant le tribunal du travail du Hainaut, division de Tournai. Le tribunal ne l’a pas suivi, estimant que la Ville de Tournai avait agi dans les règles.
Qu’à cela ne tienne, M. De Rycke est allé en appel devant la cour du travail de Mons. Celle-ci n’a pas eu du tout la même lecture du contentieux et s’est livrée à un démontage en règle des arguments de la Ville de Tournai, pourtant suivis en première instance.
"Il y a lieu de considérer que la Ville de Tournai ne s’est pas comportée comme un employeur "normal et raisonnable" et qu’en appliquant la pénalité la plus grave prévue par le statut administratif (NDLR: avertissement écrit, réprimande, amende, licenciement), elle a usé de ce droit d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal que ferait de ce droit un employeur prudent et diligent.
Quant à la situation préexistant à l’ouverture de la procédure disciplinaire, M. Jean-Pierre De Rycke n’a jamais fait l’objet du moindre avertissement ou critique. Les griefs formulés dans le rapport disciplinaire sous le titre "constat de manquements" interpellent si l’on se réfère à la cotation globalement positive à très positive pour les critères "qualité du travail" et "créativité et initiative" attribuée en 2013. Par ailleurs, à défaut pour la Ville de Tournai d’avoir organisé les évaluations tous les deux ans et d’avoir établi un descriptif de fonction comprenant les objectifs assignés comme le prévoir le statut administratif, M. Jean-Pierre De Rycke a été privé de l’opportunité de remédier, par la réalisation d’un plan d’action tel que prévu également au statut administratif, à d’éventuelles lacunes qui auraient pu être constatées."
La cour pointe le fait qu’à plusieurs reprises la Ville invoque des documents incomplets ou non valides alors que leur seul défaut était de ne pas avoir été signé par l’édilité ou les tout premiers fonctionnaires communaux.
La cour note encore que le ton aimable du courrier de Mme Alda Greoli (alors ministre de la Culture) dément l’allégation de la Ville de Tournai quant à la dégradation (induite par M. De Rycke) des relations avec les autorités compétentes.
Le fait du prince
La cour tranche: "cet abus de droit (de licencier) a causé un préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité de rupture."
La cour condamne la Ville à payer à M. Jean-Pierre De Rycke, la somme de 10000 € au titre de dommage et intérêts, à augmenter des intérêts judiciaires à dater du 13 décembre 2018. La cour condamne aussi la Ville de Tournai aux frais et dépens des deux instances (2750€).
Au-delà de l’argent (la somme reste peu élevée), c’est le rétablissement de l’honneur de M. De Rycke qui compte ici. En d’autres mots: son licenciement a été le fait du prince. Rien d’autre.