"Un Français ne peut pas venir expressément au Centre Hospitalier de Mouscron pour bénéficier d’une euthanasie"
"L’aide active à mourir" devrait bientôt avoir sa place dans la loi française. En attendant, nos voisins ont-ils le droit d’avoir recours à une euthanasie en Belgique, et notamment en Wallonie picarde ?
- Publié le 30-05-2023 à 13h51
- Mis à jour le 30-05-2023 à 21h20
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Est-il possible pour un Nordiste de demander une euthanasie de l’autre côté de la frontière, en Wapi ? C’est la question que nous nous sommes posée alors qu’en France, un projet de loi ouvrant la porte à "l’aide active à mourir" est attendu avant la fin de l’été. Médecin réanimateur et président du comité d’éthique du centre hospitalier mouscronnois (CHM), Jean-Louis Mariage a répondu à nos interrogations.
L’euthanasie représente une réalité de quelle ampleur ?
Cela reste quelque chose de plutôt exceptionnel. Ici, au CHM, on parle d’entre 10 et 20 euthanasies par an ; des chiffres qui sont relativement stables dans le temps, sachant que la loi dépénalisant l’euthanasie en Belgique date de 2002. Mais il y a un grand écart entre la Flandre, où l’acte est bien plus fréquent, et la Wallonie. Une différence qui s’explique sans doute par des mentalités, des philosophies distinctes, et probablement aussi une promotion des soins palliatifs plus importante du côté francophone.
Quelle est justement la philosophie, au CHM, vis-à-vis de l’euthanasie ?
On n’en fait absolument pas la promotion. C’est un élément dans l’arsenal des soins de fin de vie mais on ne pousse pas les gens à aller vers cette solution-là. On essaie de leur offrir les soins les meilleurs possibles, jusqu’au bout. Cela a un côté rassurant parfois pour le patient de savoir qu’il dispose, avec l’euthanasie, d’une porte de sortie "au cas où" ; mais si on parvient à être suffisamment performants dans les soins de confort ou de fin de vie, – et on est quand même bien armés pour pouvoir soulager les patients dans une grande majorité des cas – on peut arriver à des situations où les personnes qui avaient formulé une demande d’euthanasie n’y ont finalement pas recours.
La frontière entre soins de confort lourds et euthanasie n’est-elle pas ténue ?
Dans l’acte d’euthanasie, on injecte un produit de façon volontaire, en sachant pertinemment qu’à partir de ce moment-là, le patient sera décédé dans les 5 minutes.
Dans l’intention comme dans la temporalité, c’est donc différent du fait d’augmenter les sédatifs et antidouleurs jusqu’au moment où le patient en fin de vie est soulagé de sa douleur, même si l’on sait que cette augmentation va provoquer sa mort dans les heures ou jours qui viennent.
Un Nordiste, ou plus globalement un Français, peut-il demander l’euthanasie au CHM ?
La réponse à cette question formulée comme telle est "non". On a régulièrement des demandes ou appels de patients français, parfois même Bretons ou Parisiens, qui souhaitent se faire euthanasier chez nous. On ne peut y répondre favorablement, ce qui est très dur humainement, car on ajoute une douleur supplémentaire à leur détresse déjà très profonde.
Pourquoi ?
La loi sur l’euthanasie est relativement bien cadrée et exige qu’on satisfasse à bon nombre de conditions (voir cadrée). Au regard de celles-ci, il est impossible d’envisager une euthanasie sans relation thérapeutique prolongée, ce qui exclut ainsi d’office le patient qui se présenterait ici pour cette démarche exclusivement.
Maintenant, on travaille au CHM dans le cadre des accords transfrontaliers de soins. Ceci implique qu’une personne qui habite la région de Lille-Roubaix-Tourcoing peut être suivie chez nous de la même façon qu’en France. Ce patient-là a la possibilité de formuler une demande d’euthanasie qui pourra être satisfaite si elle entre dans le cadre de la loi. Il est ainsi probablement déjà arrivé qu’un Français – habitant Mouscron ou de l’autre de la frontière – ait été euthanasié chez nous car un gros pourcentage de notre patientèle est de nationalité française. On ne fait plus de distinctions entre les patients une fois qu’ils sont suivis ici.
Et si un patient de la métropole lilloise demande à être suivi au CHM alors qu’il est déjà à un stade avancé d’une maladie ?
C’est le cas de figure le plus compliqué… La prudence est alors de mise car le médecin doit pouvoir justifier du cheminement avec le patient auprès la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, à laquelle il doit remettre un rapport scellé dans les 4 jours suivant l’acte. Il faut savoir que si un patient peut formuler une demande d’euthanasie auprès d’un médecin, ce dernier est libre d’accepter ou non de la pratiquer (en cela, l’euthanasie n’est pas un "droit").
Quelles sont les principales causes de demandes d’euthanasie au CHM ?
La loi pose comme condition d’être atteint d’une maladie incurable, donc les demandes émanent essentiellement de patients atteints de cancers en phase terminale et de pathologies neuro-dégénératives (Parkinson avancé, maladie de Charcot…) Mais les thérapeutiques ont tellement évolué ces dernières années, dans le domaine tumoral en particulier, qu’on a des survies de plus en plus longues, avec des traitements de mieux en mieux tolérés. Je le répète ainsi: l’euthanasie doit, je pense, vraiment rester l’extrême solution quand on a épuisé toutes les autres…