Le Tournai d’avant: village frontière, Bléharies jusque dans le chœur

Bien que partagé par diverses puissances, il n’y a pas de limites politiques avant 1769. Pourtant, Bléharies vécut sans cesse sur une frontière.

Étienne BOUSSEMART

Il serait vain de retracer l’histoire de ces lieux. Henri Delerive, un natif, l’a fort bien rédigée en 1984, affirmant " que ce n’est qu’au XIIe siècle que Bléharies supplante un site voisin, Espain.

D’un atelier lithique

Espain se situe au bord même du fleuve, vit du commerce fluvial et du trafic de la voie romaine Tournai – Valenciennes: aussi d’un atelier qui, fouillé, a ramené d’importantes quantités de silex tailles et d’immenses pierres tubulaires de grès landénien telle que la pierre Brunehaut. Celle-ci devait servir, sous Napoléon I, de porte pour l’écluse à construire et l’on commença à la déterrer. Le projet avorta. Le mégalithe, déséquilibré, se pencha dangereusement et c’est la commune d’Hollain qui le redressa en 1819.

 Même borne d’après 1769 mais arborant ici l’aigne bicéphale d’Autriche.
Même borne d’après 1769 mais arborant ici l’aigne bicéphale d’Autriche. ©ÉdA

Préférence donnée au nouveau chemin Tournai – Valenciennes, crues sauvages du fleuve, manque de terres cultivables, église trop exiguë de 18m x 6, pour toutes ces raisons Espain est abandonné peu à peu.

Par contre, Bléharies est alors "un hameau sans église de plus en plus peuplé".

C’est bientôt plus qu’un hameau au quotidien lu au travers des saisons, des démêlés de ses propriétaires, abbayes ou familles nobles, des exactions causées par les nombreuses troupes de passage.

Bornes parlantes

Étonnant à ce jour alors que tout est acté, les limites entre pays n’existent jadis que par celles des possessions de la terre et les habitants vont, sans entrave, d’une région à l’autre, non sans frictions. Les défaites de Louis XIV et le traité d’Utrecht en 1713 amorcent le changement.

 Borne frontière placée après 1769 avec, is-ci, les lys de France.
Borne frontière placée après 1769 avec, is-ci, les lys de France. ©ÉdA

Ceux-ci sont importants ; Bléharies reste français mais Espain, autrichien. Les disputes tant au niveau de la navigation ou encore des enclaves génèrent des incongruités, comme celle qui défend aux fermiers de Bléharies de ramener leurs récoltes d’Espain.

La Convention des Limites de 1769 n’est pas la panacée mais fonde en droit les appartenances. Marie-Thérèse d’Autriche recueille le serment de fidélité des nouveaux sujets et, après dix ans, les équipes de géomètres parcourent le pays et plantent des bornes de pierre, marquées au nord de l’aigle bicéphale et au sud, de trois fleurs de lys. Ces bornes furent enlevées lors de la rectification de l’Escaut en 1974.

Miséricorde d’Histoire

Mais les chrétiens de Bléharies n’ont à leur disposition que le vieux et perclus sanctuaire d’Espain. Il faut attendre 1767 pour qu’un terrain soit choisi et un accord signé entre commune et décimateurs pour payer les 25.000 livres. Le sanctuaire, dédié à Aybert, en brique et à front de rue, est de l’architecte tournaisien Pierre Mormal, architecte du Chapitre.

 Dans le choeur, la miséricorde est ici marquée de l’aigle autrichien.
Dans le choeur, la miséricorde est ici marquée de l’aigle autrichien.

Le quotidien de ce qui est devenu un village est semé de nombreuses récriminations et dissensions qui font place à l’horreur et la disette de la première guerre mondiale. Pis encore, le 19 novembre 1918, les Allemands détruisent irrémédiablement le sanctuaire.

Fait rare sinon unique, les responsables civils et religieux s’adressent, pour leur nouveau sanctuaire, à un architecte moderniste : le Tournaisien Henry Lacoste (1885-1968). De 1924 à 1926, logeant sur place, il suivit cette construction audacieuse, de béton, animée de symboles, d’innovations, de couleurs et ouverte car sans piliers. Comme le voulait l’abbé Druez : "d e l’autel, je veux voir tous mes paroissiens et que pas un seul puisse se cacher pour parler vaches et pigeons".

Derrière l’autel est déposé un sarcophage considéré comme celui d’Aybert, un saint local (vers 1060-1140). De part et d’autre, deux sièges, dont ici les miséricordes l’aigle à deux têtes d’Autriche, et là les lys des rois de France, sont souvenir des grandes époques de la frontière.

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