Le Tournai d’avant: racheter des esclaves, à Saint-Quentin

Parmi les nombreuses confréries de nos églises, celle de Saint-Quentin se distingue car son objectif est de libérer les prisonniers chrétiens.

Étienne BOUSSEMART

C’est un ordre religieux, dit "de la Très Sainte Trinité et de la Rédemption des captifs" ou encore des "Mathurins" fondé en 1194 par le français Jean de Matta qui, à l’époque des croisades et donc, de guerres, tourne ses efforts vers les prisonniers du "Grand Turc". C’est la plus ancienne institution officielle de l’église catholique, comme l’atteste une mosaïque de 1210 montrant le Christ libérant un noir et un blanc.

Pas de couvent, une confrérie

Sur le forum, ce sanctuaire réunit nombre de familles aisées, adhérant à l’une des nombreuses confréries y ayant leur siège. Appelée "confrérie de la Sainte Trinité", à la date de fondation inconnue, elle est qualifiée "d ’ancienne confrérie avec une première acquisition connue en 1345 et reçoit des indulgences du pape Clément VIII lorsque, en fin XVIe, le curé Guillaume Coets demande son affiliation à l’Ordre des Trinitaires". Ces religieux vêtus d’une longue robe blanche marquée d’une croix bleue et rouge, dont la règle exige qu’un tiers de leurs revenus soit consacré au rachat des captifs, ne se sont pas implantés ailleurs à Tournai.

 La bataille de Lépante fit cesser la menace de l'invasion de l'Europe par les Turcs musulmans.
La bataille de Lépante fit cesser la menace de l'invasion de l'Europe par les Turcs musulmans. ©EdA

Elle occupait une place prépondérante parmi ses consœurs. En effet, les plus importants bourgeois en étaient, des dons considérables l’enrichissaient et des cérémonies extraordinaires attiraient vers elle l’intérêt du public. Elle est particulièrement florissante au XVIIe siècle, temps de grande dévotion attisée sans aucun doute par les troubles religieux du siècle précédent et par la crainte de l’Europe chrétienne envers les visées expansionnistes des Turcs, crainte atténuée par la victoire de Lépante le 5 octobre 1571.

 Jean De Matta, fondateur des Trinitaires, en mission auprès des marchands d'esclaves.
Jean De Matta, fondateur des Trinitaires, en mission auprès des marchands d'esclaves. ©EdA

Des tableaux perdus

La confrérie avait en Saint-Quentin son autel dans le déambulatoire du chœur tout en se rappelant à la piété et à la générosité de chacun par quatre grands tableaux, exposés dans la nef. Ils avaient pour sujets la bataille de Lépante, Don Juan offrant à Notre-Dame dans l’église de Valence, les trophées conquis sur les Turcs (auteur inconnu, datés de 1663), les tourments et supplices soufferts par les captifs chrétiens chez les infidèles, et enfin des Pères Trinitaires rachetant des captifs à la cour du Sultan (attribués à Théodore-Fr. Delmotte père, 1642-46). Ils ont disparu dans les flammes de mai 1940.

 Intérieur de l'église Saint-Quentin avant mai 1940 avec, dans la nef, les quatre tableaux de la confrérie tournaisienne.
Intérieur de l'église Saint-Quentin avant mai 1940 avec, dans la nef, les quatre tableaux de la confrérie tournaisienne. ©EdA

C’est un Mathurin qui prêche. "Ce sont des infortunés chrétiens tombés par malheur dans les mains des Turcq, abandonnés à la fureur, la barbarie, la haine, femmes et filles exposées à la violence, à la honteuse passion du maître, des enfants accablés de travaux trop lourds. Tous sont d’innocentes victimes qui attendent de se voir exposés ou condamnés aux plus cruels tourments, mourant sous les coups, pendus par les pieds ou jetés du haut des tours". A ces propos, nul ne résiste, le plat du maître se remplit des offrandes.

 Intéressante mosaïque du XIIIe siècle montrant le Christ libérant tous les captifs quelle que soit sa couleur.
Intéressante mosaïque du XIIIe siècle montrant le Christ libérant tous les captifs quelle que soit sa couleur. ©EdA

Une source de revenus particulière provient de femmes en couches portant un don au tronc des captifs qui se trouvait à l’entrée de la prison des Carmes et, ensuite, dans la loge du portier de la prison cellulaire (Il a disparu depuis).

La confrérie était fidèle à son devoir: en décembre 1715, elle intervient pour 645 florins pour racheter des captifs de Dunkerque ; en 1726, par 2707 florins pour les prisonniers de la Cie d’Ostende ; en 1766, elle rachète de ses seuls deniers un captif qui fut solennellement reçu à St-Quentin avec Te Deum.

Le 2 juillet 1783, Joseph II d’Autriche supprima les Trinitaires, les avoirs de Ty soit 1092 florins sont saisis. Après la révolution brabançonne, l’espoir revint, ses comptes reprennent en 1794 mais ce n’est que feu de paille et la confrérie disparaît à jamais.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...