Des photos d’amour plus fortes que le tabou de la mort : un photographe tournaisien témoigne
Ces séances photo de bébés morts sont-elles glauques ? "Non, on photographie l’amour, et la fierté des parents, pas la mort." Pour pouvoir répondre à un maximum de demandes, l’ASBL "Au-delà Des Nuages" souhaite renforcer son staff de photographes bénévoles en Wallonie picarde.
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Publié le 13-03-2023 à 06h00
Comme deux ou trois photographes des régions d’Ath et de Mouscron, le Tournaisien Sébastien Poliart fait partie (depuis deux ans et demi) du staff de quelque 60 photographes issus de Wallonie et de Bruxelles qui réalisent des séances photos au service de l’ASBL "Au-delà Des Nuages". Cette association soutient les parents frappés par un deuil périnatal. Une de ses actions emblématiques consiste à photographier des bébés décédés, in utero et jusqu’à six mois de vie. En ce début d’année, elle vient de photographier son 5000e enfant étoile.
"Quand je parle autour de moi de cette activité, la première réaction qui me revient parfois est de trouver que c’est une démarche un peu glauque", témoigne Sébastien Poliart. "Mais quand je leur explique comment ça se passe, ils se rendent compte qu’on photographie avant tout l’amour, et pas la mort".

"Je ne vois rien de glauque dans cette démarche, c’est de l’amour d’un papa ou d’une maman envers un enfant, et beaucoup de fierté", dit Anne-Astrid De Vos, coordinatrice Bruxelles/Wallonie de l’association.
Un sujet tabou en Wallonie
La mort est un sujet tabou dans notre société. "La mort d’un bébé ou d’un enfant l’est encore davantage. En Wallonie, c’est tellement vrai qu’on n’arrive pas à trouver suffisamment de photographes bénévoles. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes présents que dans 80% des hôpitaux seulement en Wallonie". Mme De Vos souhaite faire connaître davantage l’association. "Ça me brise le cœur d’apprendre que des parents ont tant regretté d’avoir connu notre existence après l’enterrement de leur bébé".

Toutes les photos se font à la demande exclusive des parents. L’hôpital ou les parents contactent l’association joignable 7 jours sur sept de 8 à 21h. En Flandre, le service est proposé parmi les procédures standards de soins dans tous les hôpitaux. Ce n’est pas le cas en Wallonie. Pourtant, l’association a sa place en milieu hospitalier. "Pendant leurs études, les sages-femmes n’ont droit qu’à une heure de cours sur le deuil périnatal et sur les grossesses qui ne se terminent pas bien. On peut leur apporter notre expertise".
Pas de mise en scène, des sentiments spontanés
Le passage du photographe se fait discrètement. "Même si c’est une phrase qui n’est pas facile à dire, on félicite les parents qu’ils sont devenus. Puis on disparaît dans la pièce, sans utiliser de flash, ou exceptionnellement, avec nos appareils qui ne font quasiment aucun bruit. On passe du temps, on est comme coupés du monde. C’est un moment suspendu", raconte le photographe. Des parents ne souhaitent pas être présents lors de la séance. Des photos montrent des parents souriants. "Il n’y a pas de mise en scène, aucune demande, les sentiments spontanés sont photographiés".

Sébastien réalise systématiquement des photos facilement montrables à la famille. Comme des petits pieds croisés ou des doigts qui serrent la main d’un parent, d’un frère ou d’une sœur. "Parfois on discute, on peut rester une heure ou plus. Chaque appel est différent, chaque réaction de parents aussi".
Des parents remercient parfois le photographe quelques mois plus tard. "Parce qu’ils viennent seulement d’ouvrir les fichiers de photos, à un moment où ils se sentaient prêts à le faire".
Anne-Astrid De Vos voit dans la photo un souvenir tangible: "La séance photo est aussi un moment intime qui crée des souvenirs pour toujours. Un papa m’a dit un jour que c’est grâce aux photos qu’il avait pu donner le bain à son bébé".
Grâce au reportage photo, le bébé peut aussi être montré et donc connu par la famille, les proches et l’entourage. Ce moment passé avec un photographe, et les souvenirs qui en découlent, sont un pas qui compte dans le processus de deuil.
Quelle qualité demande-t-on aux photographes ? "Des talents techniques et photographiques, bien sûr, mais aussi du contact humain, de l’empathie pour accompagner des familles à l’instant où leur monde vient de s’effondrer".
Les photographes réalisent leurs séances photo de façon bénévole. Le service est gratuit pour les familles. L’association existe grâce aux dons et au soutien de ses partenaires, pour la prise en charge du salaire des employés, les frais kilométriques, les flyers et dépliants pour les hôpitaux, l’organisation de journées de formations, etc.
www.audeladesnuages.be