La Ducasse d’Ath exclue de l’Unesco : et maintenant ?
On peine à entrevoir les conséquences de la suppression de la Ducasse d’Ath de la liste de l’Unesco, une décision qui n’évacue pas la question fondamentale.
Publié le 05-12-2022 à 07h21 - Mis à jour le 05-12-2022 à 07h29
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Toutes les mines athoises, ou presque, étaient réjouies, le vendredi 25 novembre 2005 quand l’Unesco reconnaissait la Ducasse (et d’autres événements folkloriques) comme un chef-d'œuvre du patrimoine immatériel de l’humanité. On saluait la vivacité de la tradition athoise et le long travail ayant mené à cette reconnaissance.
Dix-sept ans plus tard, la Ducasse a été rayée des tablettes de l’Unesco en quelques minutes pour un élément (jamais remarqué auparavant par les représentants de l’institution ?) certes de plus en plus discuté dans la société actuelle.
Dans un premier temps (vendredi), le représentant de la Belgique à Rabat a mis en évidence le travail de réflexion et d’éducation initié à Ath à travers un "projet pilote". "Il y a un engagement pour aller de l’avant et nous sommes conscients de l’importance du problème. On est en train de changer la loi sur le patrimoine immatériel afin d’inclure les principes éthiques qui sont ceux de l’Unesco. Il y a un débat fort en Belgique par rapport au racisme et aux discriminations."
Un sursis refusé
Mais une vague de fond, portée surtout par des pays africains (mais pas seulement) a ensuite emporté cet appel à un dernier sursis, jusqu’en 2023. "Notre rôle n’est pas d’arbitrer les us et coutumes d’une communauté, mais notre responsabilité est de ne pas honorer les coutumes faisant l’éloge du racisme" a notamment dit le représentant du Rwanda. "Chaque édition de la Ducasse d’Ath sous l’égide de l’Unesco est une édition de trop. Être noir n’est pas un déguisement, encore moins s’il est censé faire peur!"
Le Belgique a modifié son positionnement. "Je comprends les inquiétudes ; pour éviter les questions juridiques, nous décidons le retrait de la Ducasse d’Ath de la liste de l’Unesco" a alors indiqué le représentant de la Belgique.
"Nous assurons que notre État va poursuivre le travail de sensibilisation contre le racisme, pour s’assurer que cette expérience serve de leçon pour l’avenir et mène à un changement durable des mentalités" a-t-il encore souligné.
L’exclusion de la Ducasse d’Ath a été adoptée à l’unanimité, même si la représentante de la France a exprimé une crainte (partagée par d’autres) : "parfois la sanction extrême mène à une surradicalisation..."
C’est sans doute une crainte que l’on peut formuler en regard des réactions exprimées dans la cité des Géants (même si les géants, dans ce débat, ont disparu du devant de la scène).
Ces réactions ( "au diable l’Unesco!", "Tout est donc réglé",...) traduisent encore en quelque sorte l’impossible "dialogue" entre les sphères internationales de l’Unesco et la communauté locale. On ne parle pas la même langue. Les uns devraient accepter le fait que les acteurs athois n’ont aucune intention raciste ; la seconde devrait pouvoir considérer que la scène est blessante quand on ne dispose pas des codes pour la vivre/lire.
Tendre l’autre joue ?
L’impression est donc celle d’un gâchis dont on ne peut mesurer actuellement tous les contours. Quelles ont été les retombées de la reconnaissance Unesco pour la Ville d’Ath ? Et à l’inverse quelles seront les conséquences du retrait ?
Il n’y a aucune retombée financière directe. Mais si la reconnaissance a pu faciliter l’obtention de certains subsides (auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles par exemple), le retrait pourrait-il jouer un rôle inverse ?
Si certain(e)s pensent que le débat est clos, c’est évidemment à tort. Il semble plus que jamais ouvert, dans la société "mondiale" qui est la nôtre. La Ville d’Ath a d’ailleurs opportunément confirmé de suite la création de la commission du folklore pour mener un débat et donner une orientation à l’avenir.
Parmi les récentes recommandations de la commission spéciale "Passé colonial" de la Chambre portées par Wouter De Vriendt (président), figure un paragraphe particulier pour le folklore. "À l’instar du Parlement Européen invitant les États membres à “dénoncer et à décourager le maintien de traditions racistes et afrophobes”, la Commission Spéciale recommande que soit entamé un travail de réflexion à l’échelle nationale qui doit aboutir à une évolution des pratiques folkloriques afin de vider celles-ci de toute représentation raciste."
Reste évidemment à voir à quel rythme et avec quelle portée telle recommandation pourrait être mise en pratique. Mais on connaît aussi les déclarations du représentant belge auprès de l’Unesco (allant dans le même sens).
Une chose est certaine. Les pressions vont rester vives auprès des autorités communales d’Ath. La Ville a reçu une claque. Doit-elle prendre le risque de tendre l’autre joue ?