Ringarde, la clope en 2023 ou véritable fléau? Focus avec la tabacologue du CHR Verviers
Psychologue et tabacologue au CHR Verviers depuis 10 ans, Chantal Goffaux aime à rappeler que « celui qui a envie d’arrêter de fumer a la possibilité de trouver les bons moyens pour y arriver ». Interview dans le cadre des "Rencontres du samedi".
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Publié le 27-05-2023 à 07h30 - Mis à jour le 03-06-2023 à 07h45
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Chantal Goffaux, vous êtes psychologue et tabacologue au CHR Verviers. Mercredi 31 mai, c’était la Journée mondiale sans tabac. Alors, en 2023, la clope, c’est toujours un fléau?
Oui, maintenant on voit que la prévalence diminue au fur et à mesure mais il reste une vingtaine de pourcents de fumeurs en Belgique. 20 %, ça veut dire un Belge sur cinq, donc c’est un chiffre important, c’est plus de 2 millions de personnes chez nous. Avant, on était à 25 %, donc ça a tendance à diminuer. C’est un signe positif.
En 2023, la cigarette attire-t-elle encore les jeunes ou le pourcentage ne les inclut pas forcément?
Je ne suis pas épidémiologiste mais il semble que les jeunes soient moins attirés par la cigarette actuellement. Ça a été un produit « à la mode » dans les années 60-70-80 mais c’est un peu devenu ringard pour les jeunes aujourd’hui. Ça ne fait plus « rêver » d’aller chercher son paquet de Marlboro. Il y a moins de fumeurs chez les jeunes, ce qui est une bonne chose. Pourtant, l’industrie du tabac essaie de les séduire avec des cigarettes électroniques goût bubble gum, goût pina colada et je ne sais quoi, mais c’est un autre débat. La vraie clope qui pue et qui coûte cher, ça ne séduit plus les jeunes.
Une Journée mondiale sans tabac, c’est encore indispensable, même 35 ans après son lancement?
Oui, car c’est le polluant évitable le plus toxique. C’est un problème de santé publique donc oui, il faut en parler.
Hausse du prix, paquets neutres, photos chocs, interdiction de fumer dans les lieux publics, les moyens déployés contre la cigarette sont-ils suffisants?
En tant que soignante, même si ce n’est pas directement mon domaine d’expertise, je dirais que c’est quand même pas mal ce qui est déployé chez nous. On voit, au niveau des statistiques, que ça a diminué la prévalence. Maintenant, on n’est pas dans une politique qui a pour but d’être à zéro fumeur, comme les Australiens par exemple. Mettre les paquets de cigarettes à 30 €, c’est un peu la politique australienne, on n’en est pas là en Belgique. On est plutôt en terres de compromis, comme partout en Europe d’ailleurs.
Se dire que nos politiques sont dans le compromis, c’est dommage selon vous, vous qui êtes confrontée à des patients qui sont en souffrance à cause de la cigarette ou qui voudraient arrêter mais qui n’ont peut-être pas les incitants pour stopper?
Au niveau des incitants, il y a quand même pas mal d’aides. Les patients ont le numéro Tabacstop sur tous les paquets de cigarettes, le 0800/111 00. Il y a des campagnes autour de ce numéro; il y a des CAF, des centres d’aide aux fumeurs, dans pas mal d’hôpitaux de Belgique qui permettent des consultations entièrement remboursées. Donc il y a des choses mises en place, c’est assez correct. Celui qui a envie d’arrêter de fumer a la possibilité de trouver les bons moyens pour y arriver.

Il ne faudrait donc pas durcir le ton pour augmenter le dégoût de la cigarette?
Comment réellement augmenter le dégoût de la cigarette? En augmentant les prix du tabac? C’est une question délicate car on est à la limite entre des questions de santé publique et des questions de liberté personnelle. Je pense que la Belgique donne les moyens nécessaires à celui qui souhaite arrêter de fumer. La seule difficulté, c’est au niveau du prix des substituts nicotiniques. Ça, c’est un problème. Le prix des patchs et leur non-remboursement, ça, ça peut être un petit frein pour une personne qui veut arrêter. Mieux rembourser les substituts nicotiniques, ça pourrait être une amélioration.
Les méfaits du tabac sur l’organisme sont parfois minimisés voire oubliés. Pouvez-vous les rappeler?
J’ai l’habitude de résumer ces méfaits en disant très clairement que c’est un accélérateur de vieillissement. On est tous amenés à vieillir sauf qu’en tant que fumeur, le toboggan est bien plus raide, avec tous les problèmes de santé qui en découlent. Souvent, quand je parle de cet accélérateur, ça a tendance à parler aux patients. On sait que la capacité pulmonaire va diminuer avec le temps, notre capacité cardiaque aussi. Toute la santé va se détériorer avec les années mais, en fumant, ça va se faire beaucoup plus vite et plus intensément. Le tabac, il faut le rappeler, agit sur absolument tous les organes. Chaque bouffée est répercutée dans tout le corps. On n’y pense peut-être pas mais au niveau ophtalmologique par exemple, ça a un impact. Ça va vraiment de l’œil jusqu’aux doigts de pied, par la vascularisation. Le tabac affecte tout, c’est un polluant intégral.
On est dans une société qui valorise le bien-être, l’alimentation saine, l’activité physique… Est-ce important de dire que chaque clope allumée est un accélérateur de vieillissement et qu’il est dangereux pour la santé?
Les patients savent que c’est dangereux. Après, il y a le fait de savoir qu’on a un comportement de santé qui est mauvais et avoir le désir de changer. Ce sont deux choses différentes mais l’information, les patients l’ont. Dans les consultations, je n’appuie pas spécialement sur ce qui n’est pas bon avec le tabac car ça nuit à l’alliance thérapeutique. Ça ne fait rien avancer du tout. Ce n’est pas ma politique et on sait que ça n’a pas d’efficacité. Ce dont ont besoin les patients, c’est des moyens adaptés pour arriver à arrêter de fumer.
Quels sont les meilleurs arguments à avancer à un fumeur pour qu’il arrête?
Les meilleurs arguments, ce sont ceux du patient lui-même. L’important, c’est que ça ait du sens pour lui. J’ai toujours en tête une petite balance avec les avantages et les inconvénients pour le patient de fumer. Le patient qui est prêt, c’est celui qui commence à avoir de plus en plus d’inconvénients dans la balance. C’est à ce moment-là qu’il peut se dire « Allez, j’y vais car ça commence à me déranger, moi ». Cela doit correspondre à des motivations intérieures. Dès la première consultation, on analyse le stade de préparation au changement, pour voir où en est le patient, car c’est déterminant par rapport à la prise en charge.
Dire stop à la clope : « Les choses ne sont pas magiques, il faut du temps »
On parlait des arguments à avancer pour arrêter de fumer mais est-ce qu’il y a des prises de conscience médicales? Des tests respiratoires pour se dire qu’on a atteint une certaine limite?
Les tests les plus évocateurs sont les tests pneumos où les patients se rendent ainsi compte qu’ils ne sont plus qu’à « X % » de leur capacité pulmonaire. On parle ici de la spirométrie, qui permet vraiment d’évaluer la capacité pulmonaire. C’est un indicateur qui aide à faire prendre conscience. Souvent, les patients ont peur de se retrouver avec une petite bonbonne d’oxygène à traîner derrière eux.
Médicalement parlant, il y a aussi les radios mais, pour moi, la plus frappante, c’est l’évaluation de la capacité pulmonaire. C’est un chiffre qui parle, notamment par rapport à la moyenne qu’ont les autres personnes sans fumer. Dire « Vous n’êtes qu’à 30 % de votre capacité », ça fait réfléchir. Ça aide à faire le déclic que de se dire « J’ai donc perdu 70 % de ma capacité respiratoire ».

Les proches ont-ils un rôle à jouer dans la démarche d’arrêter de fumer ou pas?
Ça dépend. Arrêter de fumer pour faire plaisir à sa femme ou à sa fille, si on rebondit sur ce qu’on disait, on n’est pas du tout dans des motivations intérieures. Arrêter de fumer, ça demande du travail, des efforts, pouvoir supporter certaines frustrations. Si on ne le fait pas pour quelque chose qui a du sens pour soi, ça n’aura pas de sens justement.
C’est donc un cheminement personnel?
C’est vraiment comme ça que je le vois. Par contre, au niveau du soutien, évidemment que l’entourage peut être aidant, mais sans mettre la pression. Il faut être dans quelque chose de bienveillant et il faut laisser du temps. Avec mes patients, on passe beaucoup de temps entre le moment où on diminue la consommation et l’arrêt. Parfois, les proches rouspètent que ça ne va pas assez vite mais les choses ne sont pas magiques, il faut du temps.
Quand on veut dire stop à la clope, que met-on en place?
Quand on passe la porte d’un tabacologue, on fait d’abord un premier entretien de bilan. On va évaluer le contexte psychologique, le nombre de cigarettes, l’ampleur de la dépendance physique à la nicotine, le stade de préparation à l’arrêt, les motivations, l’état de santé en général et la stabilité du poids. Ce dernier point est très important pour la plupart des patients qui ont vraiment peur de grossir en arrêtant la cigarette et c’est un point sur lequel on doit rester attentif. Je ne demande pas de suivre scrupuleusement son poids mais juste de regarder s’il ne faut pas changer de taille de vêtements. Car comme je dis toujours « Il faut que votre vie de non-fumeur soit plus belle que votre vie de fumeur ». Si c’est arrêter de fumer, s’engueuler avec tout le monde, et prendre 20 kg… Ça n’a pas de sens surtout que la personne va certainement refumer car elle ne sera pas heureuse. Je ne traite pas juste des tabagiques mais des êtres humains qui ont une dépendance à une substance.
Vous parlez de dépendance à une substance, donc tout le monde peut arrêter de fumer?
Oui, bien sûr, avec les bons outils parce qu’on a encore une vision assez morale des choses du genre « Quand on veut, on peut », « C’est une question de volonté » mais non, les choses ne sont pas aussi simples. Il faut savoir que quand quelqu’un arrête de fumer seul, sans aide, il n’y a que 5 % de réussite à un an. C’est très faible. La dépendance à la nicotine est une des plus difficiles à arrêter donc il faut les bons outils et le bon encadrement professionnel.
Les patchs, la cigarette électronique, les aimants sur les oreilles… Des soutiens de qualité pour dire adieu à la cigarette ou il ne faut pas du tout les mettre dans le même panier?
Comme dans tout métier médical, il y a des recommandations internationales. On parle de gestion de la dépendance physique et dans ce cadre, il y a trois produits qui ont fait leurs preuves : les patchs; le Champix – mais qui n’est plus sur le marché –; et le Zyban – un antidépresseur qui agit sur les récepteurs et qui augmente le pourcentage d’arrêt. Mais c’est le patch qui est l’aide la plus efficace.

Et les autres…
(silence) Bon, sur la cigarette électronique, il y a à boire et à manger. Elle aurait, selon des études sérieuses, un intérêt dans l’arrêt du tabac. Maintenant, ce n’est pas le traitement de premier choix. Elle est moins efficace que les patchs, il y a plus de risques de rechute, et, chose qui m’embête plus, c’est la question de la toxicité. Les patchs, on les connaît depuis 50 ans, on sait que la sécurité est excellente – il n’y a jamais de problème si ce n’est que ça peut un peu gratter sur la peau – car on est dans une substance naturelle. Avec la cigarette électronique, il y a de la nicotine et plein d’autres choses donc ce n’est pas dénué de risques. Maintenant, c’est une question subtile. Il vaut mieux être sur la cigarette électronique que sur le tabac. Je dis toujours à mes patients que c’est un joker, la cerise sur le gâteau mais pas le gâteau. C’est le patch qui doit être la base du traitement. Au niveau de mes patients, je dirais qu’il y en a un sur dix qui a besoin, à un moment, d’utiliser la cigarette électronique pour aller supprimer les quelques dernières cigarettes qui restent. C’est une toute petite aide et les patients l’arrêtent assez vite. Pour ceux qui l’utilisent sur un long laps de temps, on n’a pas encore assez de recul sur les conséquences. Là où on a le recul suffisant, c’est sur le tabac qui est tout simplement une catastrophe.
Et l’hypnose, les aimants, les aiguilles…
Il n’y a aucune preuve sérieuse de leur efficacité. Attention aux charlatans aussi, vraiment. Toutes les personnes qui partagent leurs méthodes et qui disent qu’elles ont 100 % de réussite, même 90 %, ces personnes auraient le Prix Nobel de médecine. Restons critiques… Au niveau scientifique, ça ne fait pas du tout partie des recommandations et il faut même éviter car ça détourne le patient du circuit de soin. On dit que ça ne peut pas faire de tort, je n’en suis pas si sûre.
« Il y a moyen d’arrêter de fumer sans souffrir »
Chantal Goffaux, comment s’organise le service de tabacologie de l’hôpital de Verviers et qui peut pousser sa porte?
Absolument tout le monde, peu importe sa consommation de cigarettes. Il suffit de prendre rendez-vous et ce sont des consultations entièrement remboursées. Il ne faut donc vraiment pas hésiter à venir nous voir.
Le premier rendez-vous, c’est vraiment l’évaluation, le bilan. J’explique les méthodes qui pourraient convenir à la personne. On ne commence jamais à travailler dans la précipitation. Je dis toujours aux patients de rentrer chez eux et de réfléchir à ce qui est proposé. Au deuxième entretien, on commence à mettre des choses en place. Il y a un suivi qui dépend de chaque patient, c’est très personnalisé. Ça se passe soit avec moi, soit avec ma collègue Catherine Jongen. Moi je vais plutôt faire les prises en charge, en tant que psychologue, et ma collègue va plus se concentrer sur les sensibilisations en chambre, dans les différents services de l’hôpital. Elle axe plutôt son travail sur l’éducation du patient et moi sur la prise en charge.
Il y a donc une évaluation de la dépendance physique à la nicotine et la mise en place d’un traitement adapté si nécessaire; et la prise en charge de la dépendance psychologique où on travaille sur la gestion des émotions, la gestion des tentations et la gestion des envies de fumer.
En général, on est sur un suivi de 6 mois avec une phase de préparation à l’arrêt, d’arrêt puis de maintien. Avec un accompagnement professionnalisé, avec les patchs d’un dosage adapté et avec la thérapie comportementale, on est à 50 % d’abstinence à un an. Et les patients qui le veulent vraiment, ils y arrivent. Il y a moyen d’arrêter de fumer sans souffrir. Beaucoup me le disent : « Si j’avais su que ça se passerait comme ça, je l’aurais fait plus tôt ».

Au niveau du nombre de consultations dans votre service, voyez-vous une hausse, une tendance à vouloir arrêter de fumer? Votre service a-t-il du « succès »?
C’est assez stable et redevenu stable depuis la fin de la période Covid. Pendant le Covid, on a eu une chute terrible des demandes mais aujourd’hui, c’est reparti. Le Covid a eu un énorme impact. On a tellement mis l’accent sur le virus que les gens n’avaient peur que de ça. Mais là, c’est repassé à la normale.
Sensibiliser à arrêter de fumer, ça doit être tous les jours?
Au niveau de la motivation à l’arrêt, pour certains patients, plus on va leur en parler, plus ils seront résistants au changement. J’axerais plutôt la sensibilisation sur les moyens d’action, les aides, rassurer sur le fait de dire « Le jour où vous voulez arrêter, c’est possible et voilà où vous devez aller ».