"La thyroïde est le chef d’orchestre de nos cellules", rappelle Geoffrey Ancion, médecin nucléariste de la Polyclinique de Heusy
La thyroïde, petite glande au rôle essentiel dans le corps humain, ne fonctionne pas correctement chez tout le monde. Pour le Dr Geoffrey Ancion, à Verviers, il est primordial d’en prendre soin.
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Publié le 13-05-2023 à 08h02 - Mis à jour le 13-05-2023 à 08h22
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Docteur Geoffrey Ancion, vous êtes médecin nucléariste spécialiste de la thyroïde à la Polyclinique de Heusy. Pouvez-vous nous expliquer la mission qu’a la thyroïde dans notre corps ?
La thyroïde est une glande qui se trouve à la base du cou dont la fonction est essentiellement de produire des hormones thyroïdiennes. Celles-ci sont produites et délivrées quotidiennement dans la circulation sanguine en fonction des besoins du corps. Par le biais des vaisseaux, elles vont aller créer une action dans toutes les cellules. Elles ont un peu un rôle de chef d’orchestre des cellules qui composent elles-mêmes les organes. Suivant la cellule dans laquelle l’hormone thyroïdienne intervient, la fonction sera différente. Si elle arrive dans la cellule du cœur (du myocarde), elle va plutôt avoir une fonction de contraction ; dans les cellules neurologiques, elle créera une autre action… C’est, en quelque sorte, l’énergie, le carburant des cellules. C’est elles qui permettent le bon fonctionnement des différents organes. Elles ont un rôle ubiquitaires: elles agissent partout.
Quand il y a une dysrégulation du taux des hormones thyroïdiennes, en trop ou en trop peu, les symptômes seront divers et variés puisque cela agit sur tout: les intestins, le cœur, le cerveau, les échanges de calories, la peau, le thermostat corporel… Je dis toujours que cela impacte aussi bien le "corps physique" que le "corps psychologique". Comme cela touche le cerveau, cela peut en effet induire des problèmes psychologiques voire psychiatriques.
Pourquoi cette glande se dérégule-t-elle ? Quelles sont les pathologies les plus fréquentes ?
Quand on examine la thyroïde, on regarde deux choses. La première, c’est comment elle est: on peut avoir des troubles anatomiques comme un goitre, des nodules… La deuxième, c’est comment elle fonctionne. C’est là qu’on peut constater une dysrégulation. Il y a deux volets: l’hypothyroïdie et l’hyperthyroïdie, à savoir trop peu ou trop d’hormones thyroïdiennes. La plupart des dysrégulations, au moins à 90%, sont des hypothyroïdies. Un petit 10%, ce sont alors des hyperthyroïdies. Les hypothyroïdies sont généralement soignées par un complément d’hormones thyroïdiennes à prendre tous les matins.
Les hyperthyroïdies, c’est plus compliqué. Il faut diminuer le fonctionnement de la thyroïde, la calmer. Il y a principalement trois possibilités: une prise d’un médicament qui diminue son fonctionnement, une chirurgie (forcément, si on l’enlève, la thyroïde ne va plus hyperfonctionner) avec un traitement de substitution à base d’hormones thyroïdiennes et, enfin, une gélule d’iode radioactive, qu’on appelle iode 131, qu’on administre oralement sous couvert de quelques règles de radioprotection. Car, quand on est irradié, on irradie un peu les gens autour de nous. Les contacts doivent donc être évités pendant une quinzaine de jours, en fonction de la dose. Comme la thyroïde est une éponge à iode, l’iode 131 va dans la thyroïde qui se fait alors piéger puisqu’il ne s’agit pas d’iode froid mais d’iode radioactif. Elle va détruire une partie de la masse des cellules thyroïdiennes. Ainsi, cela diminuera le fonctionnement de la thyroïde.
Quels sont les signes et symptômes qui doivent alerter ?
Il faut savoir que les symptômes d’un dysfonctionnement thyroïdien sont tout à fait aspécifiques. Puis, le problème, c’est qu’on peut avoir tous les symptômes d’une maladie thyroïdienne et ne pas l’avoir. Comme on peut ne pas avoir de symptômes de trouble thyroïdien et avoir réellement un problème. Ce qui est un peu complexe. C’est donc plus un syndrome, soit un ensemble de symptômes, qui doit nous alerter. Ceux-ci seront différents s’il s’agit d’une hyperthyroïdie ou une hypothyroïdie. L’hypothyroïdie, c’est une fatigue que j’appelle "molle". L’hyperthyroïdie est une fatigue plutôt nerveuse. On dépense une quantité d’énergie anormale, même la nuit. Le cerveau est toujours sur "on". On n’arrive pas à récupérer. En hypothyroïdie, classiquement, on prend du poids de manière inexpliquée ; on peut faire trop de cholestérol ; le cœur bat plus lentement ; on est constipé ; on a des problèmes de concentration ; on peut être déprimé et frileux… En hyperthyroïdie, c’est l’inverse. On a des vapeurs ; le cœur bat vite ; on perd du poids ; on est irritable.
Quel est le 1er réflexe à avoir ?
Quand on a l’impression que, cliniquement, on a un problème de thyroïde, il faut aller voir son médecin pour faire une prise de sang qui inclut les hormones thyroïdiennes et, si possible, les anticorps susceptibles d’attaquer la thyroïde. S’il y a un problème avéré de thyroïde, il est préférable d’aller voir un spécialiste: soit un nucléariste spécialiste en thyroïde, soit un endocrinologue.
Est-on parvenu à déterminer les causes de ces affections ?
Oui et non. On se pose toujours des questions, effectivement. La grande majorité des causes d’un dysfonctionnement de la thyroïde sont, dans nos pays, d’ordre génétique. Par contre, dans le monde, le plus grand responsable de l’hypothyroïdie est la carence en iode. En Belgique, nous ne sommes pas dans une zone où on peut prétendre qu’il n’y a pas de carence du tout. On est dans une zone qu’on appelle de subcarence (NDLR: de légère carence). Quand on consomme du sel, il vaut donc mieux utiliser du sel iodé pour toute la famille.
On a l’impression que de plus en plus de personnes présentent des problèmes de thyroïde. Un sentiment justifié ?
C’est controversé mais je pense effectivement que l’incidence des problèmes thyroïdiens augmente. Il y a aussi une amélioration des techniques de dépistage et une conscientisation populaire et médicale de ces problèmes. Actuellement, et surtout depuis Tchernobyl, on y fait davantage attention. Depuis 1986, les médecins sont conscientisés par la thyroïde alors qu’ils ne l’étaient pas forcément autant, auparavant. Quand on fait une prise de sang aujourd’hui, on inclut plus souvent, voire systématiquement, les valeurs des hormones thyroïdiennes.
Mais ce n’est pas Tchernobyl qui fait que maintenant, il y a plus de problèmes de thyroïde. Il y en a eu plus au moment de l’accident mais il s’agissait de cancers de la thyroïde sur les enfants et les adolescents, pas chez les adultes. Maintenant, ce sont plutôt des maladies, des dysfonctionnements que l’on détecte. Ce n’est donc pas lié.
Enfin, il faut également tenir compte des perturbateurs endocriniens, qui jouent un rôle là-dedans. De fait, on baigne dedans. La couleur de nos vêtements, ce sont des perturbateurs endocriniens. La peinture sur les murs aussi, tout comme les colorants dans l’alimentation, les colorations capillaires ou le maquillage… Quand on chauffe un bol en plastique inadapté dans le micro-ondes, cela dégage également des perturbateurs endocriniens. On ne sait pas les éviter mais, si on peut manger davantage bio, local, veiller à utiliser des peintures plus naturelles…, c’est déjà une bonne chose. À ce moment-là, on pourra peut-être diminuer leurs effets, par moindre exposition.

"Il y a bien une prédisposition féminine"
Les femmes ont plus de risques de développer une maladie thyroïdienne. La génétique et la grossesse n’y sont pas étrangères.
Peut-on dire qu’il y a des prédispositions génétiques à ces troubles ?
La plupart du temps, oui. Il arrive que cette prédisposition se suffise à elle-même pour entraîner un dysfonctionnement de la thyroïde. Cela peut survenir à tout âge. Je suis, par exemple, déjà des enfants. Mais plus on vieillit, plus le risque de survenue des dysfonctionnements thyroïdiens augmente. Maintenant, on s’est rendu compte que cela pouvait survenir après une infection virale ou encore, et cela est l’une des grandes causes, à la suite d’une grossesse. Cette dernière va induire beaucoup de dysfonctionnements, soit pendant, soit après l’accouchement.
Est-ce pour cela qu’on recommande justement de surveiller le fonctionnement de la thyroïde en cas de grossesse ?
Effectivement. En général, le gynécologue doit s’en soucier. Avant une grossesse, c’est important parce qu’avoir un dysfonctionnement de la thyroïde est l’une des causes principales d’infertilité, de stérilité. Si on a une hypothyroïdie non traitée, il y a des chances pour que l’on n’arrive pas à tomber enceinte. Si on arrive quand même à l’être, il est alors très important d’être traitée, surtout en début de grossesse, au moment de la formation du cerveau du fœtus. Le taux des hormones thyroïdiennes influence très fortement les bonnes connexions neuronales en début de vie. C’est un phénomène irréversible. Donc si la maman n’est pas bien dosée en début de grossesse, il y a des risques de déficience intellectuelle. L’équilibre thyroïdien du foetus dépend en effet du bon taux d’hormones de la maman, celles-ci passant par le placenta.
De plus, la patiente élimine plus d’iode, via les urines. Comme l’iode est à la base de la fabrication des hormones thyroïdiennes, il faut absolument veiller aussi à ce que la maman présente un bon taux d’iode. Quand on prend des vitamines pour la grossesse, il est préférable de prendre non seulement de l’acide folique mais aussi de l’iode.
Après la grossesse, une personne qui n’a pas du tout de problème de thyroïde peut, comme je l’ai dit, déclencher une dysthyroïdie après l’accouchement. La grossesse est un événement qui amène un stress très important pour la thyroïde de la maman, qui doit produire des hormones pour deux.
On dit que les problèmes de thyroïde touchent plus souvent les femmes… Est-ce vrai ?
Je viens de donner une grosse partie de la réponse. On pense en effet qu’au niveau de la génétique, de base, il y a une prédisposition féminine. Et qui est-ce qui accouche ? Ce sont les femmes. Pour ces raisons, on n’est pas égaux et il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes qui ont des problèmes de thyroïde. Grosso modo, pour la maladie de Hashimoto, qui est une maladie auto-immune de la thyroïde (l’une des grandes causes d’hypothyroïdie), on dit que 10% des femmes dans le monde en sont atteintes pour un peu moins de 5% des hommes.

"Un des cancers qui évoluent le moins rapidement"
On détecte plus de cancers de la thyroïde qu’auparavant mais ils se soignent relativement bien.
Le cancer de la thyroïde est-il plus fréquent qu’auparavant ? Se soigne-t-il bien ?
Le cancer thyroïdien, en fonction du type de cancer et du stade auquel on le découvre évidemment, est un cancer qui se guérit dans une grande majorité des cas. C’est un des cancers qui évoluent le moins rapidement. Il existe quatre sortes de cancers de la thyroïde: le papillaire, le folliculaire, l’anaplasique et le médullaire. Le plus fréquent, à hauteur de 70-80%, est le cancer papillaire. Pour les deux premiers stades, le taux de guérison est de quasi 100%. On passera à 50% pour le 4e stade, le plus sévère, avec des métastases. Le cancer anaplasique a, lui, un taux de guérison très mauvais mais il est très rare – je n’en ai vu qu’un seul dans ma carrière. On en détecte de plus en plus parce qu’on les détecte à temps et qu’on fait plus d’examens. Et c’est tant mieux.
Les traitements pour un dysfonctionnement de la thyroïde doivent-ils être pris à vie ?
La plupart du temps, quand on est en hypothyroïdie et qu’on doit prendre des hormones thyroïdiennes de substitution, oui. J’ai vu pas mal de patients qui essayaient de les arrêter. Dans 99% des cas, à un moment donné, ils doivent les reprendre. Quand on décide de commencer un traitement, je ne me base jamais sur une seule prise de sang. J’essaie toujours d’en avoir une deuxième car c’est un traitement définitif. Je préfère être sûr qu’il n’y ait pas eu une erreur de labo ou qu’il ne s’agit pas d’une hypothyroïdie transitoire. C’est rare mais ça arrive. Dans le traitement médicamenteux de l’hyperthyroïdie, en général, cela dure un an ou deux. Quelqu’un qui a eu un traitement pour l’hyperthyroïdie va souvent, mais non systématiquement, développer par la suite une hypothyroïdie.
Outre le traitement médicamenteux, que peut-on faire en faveur de sa glande thyroïde ?
C’est très compliqué. Comme toujours, il faut avoir une alimentation saine. Il faut utiliser du sel iodé. C’est préventif. Il faut aussi avoir une alimentation équilibrée en zinc et en sélénium, qui sont les deux cofacteurs essentiels et nécessaires à la fabrication des hormones thyroïdiennes. À titre personnel, quand j’ai essayé de traiter des hypothyroïdies, notamment chez des jeunes, par des éléments naturels, comme un ajout d’iode, c’est très rare que seul ce traitement suffise. On doit donc souvent passer à des hormones de substitution. Attention, les gens confondent souvent les hormones thyroïdiennes et les hormones gynécologiques. Mais cela n’a rien à voir. Il n’y a pas de risque d’augmentation des cancers, de risque de complications cardio-vasculaires, de phlébites, avec les hormones thyroïdiennes… Que du contraire.
Avoir une activité physique régulière est-il aussi important pour ce type de pathologie ?
C’est important pour son métabolisme. Et la thyroïde est à l’origine de celui-ci. Clairement, avoir une activité physique régulière améliore la vascularisation de tous les organes, dont la thyroïde. Quand on améliore cette vascularisation, on améliore aussi l’oxygénation des cellules et donc le fonctionnement de celles-ci. Cette activité physique est donc aussi importante pour une multitude d’autres choses que le fonctionnement thyroïdien.