Reportage : la famille Bouglione se réjouit de faire encore rêver les gens en 2023
Interview de Nicolas Bouglione et de son équipe qui se sont installés à Verviers jusqu’au 21 mai 2023, sur l’ancien site de Belgacom, rue des Sottais à Verviers. Il décrit la vie d’un cirque de nos jours et revient sur sa séparation déchirante avec ses animaux désormais interdits.
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Publié le 10-05-2023 à 07h01 - Mis à jour le 10-05-2023 à 07h09
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Nicolas Bouglione, vous êtes la 5egénération d’artistes de cirque, votre fille est la 6e. C’est quoi la vie dans un cirque en 2023 ?
Pour moi, c’est la plus belle vie du monde. On a notre petit village, on vit ensemble avec des amis pendant une saison. C’est une chouette vie, je pense que tout le monde a réalisé ça pendant le Covid, quand on était en quarantaine. Je suis tombé dans la marmite depuis tout petit, je n’ai connu que cette vie.
Quand vous n’avez connu que ça, vous avez toujours un doute, est-ce que c’est vraiment le bon choix ? Pendant cette période, les vrais passionnés ont réalisé qu’on avait le plus beau métier du monde. Après cet événement, je crois qu’on est encore plus passionné. Imaginez que votre métier, c’est votre hobby et votre passion. On vit sur notre lieu de travail, vous ouvrez la porte de votre caravane et en face de vous, vous avez le chapiteau, c’est magique.
À Verviers vous restez un mois. Pourquoi, restez-vous si “longtemps” dans une même ville ?
Au fil du temps, on se fait des amis et j’aime bien rester plus longtemps, découvrir la ville. Je pense que quand vous avez un bon spectacle, vous pouvez rester. Je me souviens d’une dame à Liège qui est venue voir le spectacle cinq fois en six semaines. Je lui dis que c’est le même spectacle mais elle me répond : “Oui, mais moi j’aime bien !” Ça fait énormément plaisir.
Comment avez-vous vécu l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques en Belgique par l’arrêté royal du 11 février 2014 ?
Pour moi, ça a été très très compliqué, ça a été dramatique. J’étais dresseur d’éléphants et de fauves, après mon dernier spectacle, j’ai chargé mon éléphant (Jenny) dans sa remorque, je l’ai emmené au zoo et je suis revenu sans elle. Le soir, on avait une fête tous ensemble au cirque et moi je suis resté dans mon lit. Je n’avais pas la tête à faire la fête. Je suis né avec elle, on avait seulement un an de différence. Après, je suis rentré dans une dépression, je ne voulais plus travailler au cirque, je voulais tout abandonner. Je restais dans ma caravane. Je conduisais les camions. J’aidais à monter le chapiteau… Je donnais un coup de main, mais je ne faisais plus du tout partie du monde du spectacle, il n’y avait plus de magie pour moi. Ensuite, j’ai adopté des chiens à la SPA […], ça m’a sorti de cette déprime. Et puis finalement, ça devenait trop compliqué, il y avait 90 % du public qui demandait un spectacle sans animaux et seulement 10 % avec. Je me suis dit que j’allais partir sur un spectacle sans animaux, revenir à un cirque plus traditionnel et poétique.

Sans animaux, c’est possible ?
Je pense que quand on le fait par passion et avec le cœur tout est possible. Mais j’avoue qu’après mes animaux, je ne pensais pas continuer le cirque. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à eux, ils sont tout le temps avec moi dans mon cœur. J’avais vraiment une relation particulière avec eux. Je n’ai jamais obligé un animal à faire ce qu’il n’avait pas envie de faire. Je ne faisais pas ça pour attirer le public, j’étais avec eux par passion, mais c’est difficile à comprendre quand vous ne faites pas partie de ce monde-là.
Et qu’est devenu Jenny ? Et les autres fauves ?
Je les ai placés dans des refuges à Bousval (NDLR : dans la province du Brabant Wallon), une panthère à Dublin, une à Prague, d’autres au zoo d’Olmen (NDLR : maintenant appelé Pakawi Park, situé à Anvers) avec mon éléphant. Ce qui est triste, c’est que comme c’étaient des panthères qui étaient élevées au biberon dans ma caravane, elles étaient avec moi jusqu’environ 6 mois, j’étais comme leur papa. Au bout de deux semaines dans les refuges, elles se sont laissé mourir. Mon éléphante, elle, est décédée le 21 décembre 2022. J’étais en train de monter mon chapiteau pour le cirque de Noël et on m’a téléphoné pour me dire qu’elle n’allait pas bien du tout. J’ai abandonné le montage et je suis parti. Elle est morte comme ça, dans mes bras… Mes animaux, tous les matins et tous les soirs, je pense à eux.
Et les dompteurs, que sont-ils devenus ?
Il y en a énormément qui travaillent dans des zoos. J’ai un très bon ami qui est responsable au zoo d’Olmen, c’était un très grand dresseur. Il y en a d’autres qui travaillent à Pairi Daiza. J’avoue que j’ai pensé un moment à travailler dans un zoo, mais ça aurait été une vie complément différente…
Comment voyez-vous l’avenir ?
Avant, les emplacements étaient beaucoup plus spacieux. Maintenant, on a de moins en moins d’espace dans les villes, parfois on rentre au millimètre près, c’est pour vous dire. L’avenir est un peu préoccupant de ce point de vue là. Par exemple à Verviers, ça fait 13 ans qu’on n’est plus venu. Et comme la parcelle est en vente (NDLR : le site rue des Sottais), c’est peut-être la dernière fois qu’on vient ici. Cette situation nous a poussés à être autoportant, c’est-à-dire à monter sans mettre de piquet, pour être capable d’installer le chapiteau sur des places en centre-ville. Mais même comme ça, c’est difficile. En plus, ça devient compliqué d’avoir des autorisations dans certaines villes à cause de l’incompétence de certains autres cirques. Mais la place qu’on a ici à Verviers, c’est exceptionnel. C’est une forme de reconnaissance de la part de la Ville, je suis vraiment fier d’être ici et que la Ville m’ait donné cette possibilité !
Découvrez quelques images du spectacle qui se déroule à Verviers
Bouglione et la Belgique, une rencontre ?
“Bouglione et la Belgique, ça a toujours été une histoire d’amour. Mon arrière-grand-mère est née sur la place Flagey, à Ixelles, et elle est décédée à 107 ans, il y a à peine 5 ans. Quand j’étais plus petit, on venait passer tous les hivers en Belgique. Dans mes souvenirs d’enfance, on se produisait à la place Flagey, de là on repartait à Marseille et on recommençait la saison là-bas. Depuis plus de 30 ans on n’a plus quitté la Belgique, en fait depuis mes 10 ans on est en Belgique. C’est pour ça que je me considère Belge, tous mes amis sont ici. C’est bien simple, quand je quitte la Belgique, je ne me sens plus chez moi”, sourit Nicolas Bouglione.
Votre famille continue de voyager ?
“Il y a deux cirques Bouglione en Belgique, le mien et celui de mon papa, Alexandre Bouglione. Il y a aussi un cirque stable à Paris qui appartient à mes cousins : le Cirque d’Hiver. C’est d’ailleurs là qu’ils ont tourné le célèbre film Trapèze (NDLR : sorti en 1956 réalisé par Carol Reed, avec Gina Lollobrigida, Tony Curtis et Burt Lancaster). Avant, on voyageait encore un peu, mais maintenant, on reste en Belgique. Par exemple mon grand-père, Joseph Bouglione, lui, est déjà allé au Brésil avec son cirque, vous imaginez ? Il a embarqué tout son cirque sur un bateau. Dans la famille, on n’est pas obligé de devenir artiste de cirque. Par exemple, au début je voulais devenir vétérinaire donc pas du tout dans le monde du cirque. Et puis tout doucement, je me suis occupé des animaux et c’est devenu ma passion. Mon père ne m’a pas poussé, ça doit venir du cœur justement.”

Le lien avec le public passe aussi par les réseaux sociaux
“On a encore des échanges avec les personnes après le spectacle mais c’est aussi beaucoup sur les réseaux sociaux maintenant. C’est magique d’avoir des retours encore comme ça en 2023. Pour épater le public il faut quand même en faire de nos jours. J’ai essayé de créer un cirque plus chaleureux, plus familial en étant plus proche du public. Et je pense qu’il le ressent, c’est plus poétique. Ma plus belle récompense, c’est de lire les commentaires le soir dans mon lit. Je me dis qu’on ne fait pas tout ça pour rien. On arrive encore à faire rêver les gens”, pointe Nicolas Bouglione. Pendant le show, les spectateurs sont invités à partager les clichés sur Facebook, Instagram ou TikTok… “Cette nouvelle communication nous pousse aussi à nous améliorer.” En un an, c’est déjà plus de 12 000 personnes qui suivent la Page Facebook Cirque Nicolas Bouglione.
Rony rêve depuis tout petit de faire rire les gens

Rony, est clown depuis qu’il a accompli ses 18 ans : “Faire rire les enfants et les adultes, c’est mon rêve depuis que je suis petit. J’ai découvert ce métier à travers un clown que j’admirais dans le cirque où j’ai grandi. Je le regardais tout le temps et il avait remarqué que j’étais intéressé. Quand il est devenu plus vieux, il m’a dit qu’il voulait que je le remplace, alors j’étais heureux. Ma passion, c’est le cirque, je suis né dedans. Avant, le rôle du clown passait beaucoup par la parole, les blagues, etc. Maintenant c’est plus basé sur l’action et les mimiques. Parce que les personnes qui viennent voir le spectacle parlent différentes langues et pour échanger avec eux le mieux c’est d’insister sur les gestes comme ça tout le monde comprend. Depuis que je suis avec Bouglione, il y a de nombreux enfants qui ont grandi et ils viennent me revoir. Ça fait toujours plaisir quand ils se souviennent de ton nom et de ton travail. Et ça, ça n’a pas de prix de les voir heureux.”
Yosvany est tombé dedans un peu par hasard

Yosvany Rodriguez, acrobate gymnaste : “J’ai commencé par 4 ans à l’école du cirque à Cuba, fin de l’année 2000 je suis arrivé en France, ça va donc faire 23 ans que je suis dans cet univers. Depuis tout petit, je fais de la gymnastique et ensuite je me suis dirigé vers le patinage artistique. En fait, c’est en allant à l’école du cirque avec un ami que j’ai revu d’anciens professeurs de gym qui enseignaient là-bas. Ils ont insisté, insisté pour que je vienne étudier et je me suis laissé tenter. Et la vie d’un artiste du cirque c’est bien parce qu’on change de ville souvent, on voit plein de personnes, on a la chance de découvrir beaucoup de choses tout en travaillant. Après, les choses ont beaucoup changé depuis que j’ai commencé, il n’y a presque plus d’animaux, c’est un peu dommage pour les enfants. Par exemple, en Amérique du Sud, les cirques en ont encore. D’un autre côté, ça permet à plus d’artistes de présenter leur(s) numéro(s).”
Ernestina et Gino ne se voient pas quitter le cirque

Ernestina, ancienne artiste, est la belle-mère de Nicolas Bouglione : “Je suis dans le cirque depuis que je suis toute petite. Mon papa était clown, c'est comme ça que j’ai découvert ce monde-là. Et maintenant, je suis avec ma fille, j’aide à la caisse… On est très famille chez nous.” Gino, son époux réalisait avant des numéros avec un vélo, il revient sur son expérience : “C’est une vie qu’on ne peut pas expliquer à ceux qui ne le vivent pas. C’est un peu comme les hippies “Free and Wild” (rire) (NDLR : libre et sauvage). C’est une façon de penser complètement différente. C’est une passion et des traditions qu’on essaye de transmettre. Et puis ce sont des émotions incroyables avec le public, un sentiment indescriptible. Quand on devient plus âgés, on ne va pas dans les maisons de repos, on reste avec nos enfants, c’est important pour nous. Alors, on aide en conduisant les camions, en vendant les pop-corn…”
Loyal Mario Rutteli, de l’opéra au chapiteau

Particularité, Mario Rutteli est ténor. L’Anversois raconte : “Je suis chanteur et musicien de formation. Ça fait déjà 15 ans que je suis dans le monde du cirque. Un jour, une amie m’a invité dans le cirque dans lequel elle travaillait. J’ai rencontré le directeur et il m’a dit qu’il aimerait combiner le chant avec son spectacle, une semaine plus tard je rejoignais le groupe. Et maintenant, je suis enrôlé ! Je ne peux pas jongler ou faire des acrobaties mais je peux utiliser la parole. Je présente, je joue la comédie (NDLR : avec les clowns), et ça reste la même chose dans une salle de théâtre ou sous un chapiteau de cirque. En plus ici, on a un contact avec le public, il n’y a pas une barrière comme à l’opéra ou au théâtre et c’est intéressant cette relation. Le rythme de vie ne change pas forcément, la différence c’est qu’avant je dormais à l’hôtel et maintenant c’est dans une caravane !”
Darix, Terence et Ronald, ils ont ça dans leurs veines

Darix, Terence et Ronald réalisent un numéro exceptionnel de patins à roulettes accompagnés de Sandy et Nancy. Les trois frères racontent : “On connaît ça depuis qu’on est tout petit. Nous, on est la troisième génération. On a ça dans le sang. Avant d’être avec Nicolas Bouglione, on est passé par un cirque en Allemagne et les États-Unis, où nous sommes restés trois ans. On remarque que le public en Belgique est assez différent. Par exemple aux États-Unis et en Allemagne, les gens sont plus démonstratifs : ils crient, encouragent, tapent dans leurs mains. Ils sont plus chauds ! (rire) C’est différent ici mais attention le public est tout aussi chouette”, sourient-ils. En plus de présenter un spectacle en famille, Sandy, Darix et Terence proposent aussi un numéro individuel allant de la contorsion au rola bola en passant par un numéro de trapèze dans les airs.
Toutes les dates à retrouver à Verviers

Quand ? Jusqu’au 14 mai à 14h30 et à 17h ; du 17 au 18 mai : à 14h30 et à 17h et le jour de clôture, le 21 mai à 11h et à 15h.
Combien ça coûte ? Trois tarifs différents : les traditionnels gradins, à partir de 7 € pour les enfants et 12 € pour les adultes ; les loges au plus près de la scène, à partir de 15 € pour les enfants et 20 € pour les adultes ; et finalement le carré d’or posté juste en face de l’entrée des artistes, à partir de 20 € pour les enfants et 25 € pour les adultes.
Comment réserver ? Sur le site : www.nicolasbouglione.be ou directement sur place.
Une nouveauté ? Un tout nouveau chapiteau de 2023, le directeur du cirque souhait que le public profite dans les meilleures conditions du spectacle avec des sièges plus confortables.