"L’obésité est une maladie avec un impact sur la survie", dit la Verviétoise Laure Klein, chirurgienne au CHC Heusy
Chirurgienne à la clinique CHC Heusy, Laure Klein est spécialisée dans les opérations digestives, notamment bariatriques. Oui, l’obésité est une maladie qui comporte de gros risques pour la santé. Elle les explique et présente le Citep, le Centre interdisciplinaire du traitement de l’excès pondéral du groupe CHC. Interview dans le cadre des "Rencontres du samedi".
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Publié le 25-03-2023 à 07h44
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Dr Klein, le 4 mars dernier, c’était la Journée mondiale de l’obésité, instaurée depuis 2020. L’obésité étant d’ailleurs aujourd’hui reconnue comme maladie. Une bonne chose qu’elle le soit?
Tout à fait. Dans la société actuelle, avec l’hyperconsommation, le capitalisme, le fait d’avoir accès à de plus en plus de produits qu’on n’avait pas il y a 15-20 ans, on a une augmentation du surpoids. Aujourd’hui, on a quasi 50 % de personnes en surpoids en Belgique, donc des personnes qui ont un IMC de 25 (NDLR: l'indice de masse corporelle, donc le poids par la taille en mètre carré), et on est quasi à 25 % d’obésité, donc des personnes avec un IMC de 30. C’est énorme. Pour la comparaison, aux États-Unis, c’est une personne sur deux. Fatalement, vu ces augmentations, on a commencé à voir de plus en plus de maladies métaboliques, donc du diabète, des problèmes cardiovasculaires, des cirrhoses qui ne sont pas d’origine éthylique.
Avec tous ces facteurs de morbidité associés, on a une chute de l’espérance de vie chez les personnes obèses – d'où l’expression « obésité morbide » à partir d’un IMC de 40 –, de 10 à 15 ans. On sait que l’obésité a un impact sur la santé, sur la santé publique, donc c’est tout à fait logique qu'elle soit reconnue comme une pathologie à part entière.
À partir de quand parle-t-on d’obésité?
C’est à partir d’un IMC de 30 kg par m2. C’est la base des critères d’indication d’une chirurgie de l’Inami. Maintenant, personne n’est égal face à un excès de poids. On doit vérifier le tour de hanches, de taille, la masse maigre versus la masse grasse. Une personne bodybuildée de 130 kg n’a pas le même problème qu’une personne en obésité de 130 kg de masse grasse.
Dans la société, on parle de plus en plus de l’obésité. Pourquoi?
Je pense qu’il y a le phénomène d’ambivalence de notre société. À la fois on essaye de sortir de l’image du mannequin mince pour s’attacher à une image plus réelle de la femme mais, en même temps, arrive le moment où, de l’autre côté, on se dit « Je suis en surpoids, je suis obèse, mais je m’assume ». Oui, il y a la mode du mannequinat XXL mais je maintiens que l’obésité est une maladie avec un impact sur la survie. On ne demande pas que tout le monde soit mince bien évidemment, mais il faut prendre conscience de l’impact du poids sur la santé en général.
À côté de ça, c’est moins tabou de parler de l’excès de poids depuis que la chirurgie bariatrique existe et avance. On se dit « Maman l’a fait, ma cousine l’a fait, pourquoi est-ce que je n’irais pas voir le chirurgien? » Après, en Belgique, on a des critères d’indication bien spécifiques pour la chirurgie et on ne sort pas des clous. Mais chaque pays est différent. En Turquie ou en Tunisie, les critères pour opérer ne sont pas les mêmes…
Quelles causes peut-on pointer pour expliquer la hausse du phénomène?
On dit toujours que l’obésité, c’est un camembert avec de multiples morceaux. On sait que les troubles de l’équilibre alimentaire, avec un excès d’acides gras saturés, trop de sucres, trop d’aliments préparés avec des conservateurs, ont un impact. D’ailleurs, l’apport sucré au niveau des aliments a été exponentiel sur les 10 dernières années. Les sodas, c’est la maladie du siècle, par exemple.
Dans les facteurs modifiables, comme l’alimentation, il y a aussi la sédentarité. Avant, on faisait beaucoup de trajets à pied, la voiture n’était pas autant utilisée. À l’époque, il y avait aussi beaucoup plus de métiers manuels. Aujourd’hui, on n’a plus le temps de bouger. Les gens sont pressés comme des citrons par la société, il y a le rythme de vie quotidien, les enfants, on travaille tard, le week-end, donc ce n’est pas facile d’avoir une activité sportive.
Mais il n’y a pas que des choses qu’on peut changer, comme l’alimentation ou le fait de bouger plus, qui causent le surpoids?
Non. D’ailleurs, la majorité des facteurs de l’obésité ne sont pas modifiables. Il y a d’abord les prédispositions génétiques, familiales. Ensuite, chez certaines personnes, on a le métabolisme en lui-même qui modifie plus le sucre en graisse et inversement. D’où l’importance du rapport entre l’apport calorique quotidien et le brûleur énergétique que représente l’activité physique.
Il y a aussi toutes les maladies endocrines, principalement la maladie de Cushing – qui est un adénome hypophysaire au niveau du système nerveux central – qui perturbe le métabolisme et entraîne un excès de poids. On ne peut rien y faire tant que cette tumeur est en place. Il y a les hypothyroïdies très sévères mais c’est rare, ou encore l’hyperinsulinisme, l’intolérance au glucose, le prédiabète.
Après, dans les causes, il y a tous les traitements à base d’anxiolytiques, d’antipsychotiques, d’antidépresseurs. Dans nos patients, près d’une personne sur deux suit un traitement de ce type. Ça, c’est certain, ça augmente la charge pondérale.
Il ne faut pas oublier non plus les troubles émotionnels de base, comme arrêter de fumer ou de boire de l’alcool, qui font qu’on va compenser sur autre chose, notamment sur la nourriture. Ça, c’est de nouveau sociétal.

Vu le nombre important de causes que vous citez, non, l’alimentation non équilibrée n’est pas la seule responsable de l’excès de poids?
Non. Beaucoup de patients ne comprennent pas leur situation. Ils disent qu’ils mangent sainement mais qu’ils ne perdent pas. Il ne faut pas penser qu’ils mentent. Il y a tellement de facteurs qui peuvent expliquer un excès de poids. C’est pour ça que je ne suis jamais dans la culpabilisation, dans le jugement. Si les patients viennent me voir, c’est qu’ils ont pensé depuis longtemps à leur surpoids, à leur santé. Comme je dis toujours, je fais 15 % du job en opérant, je donne des clés, mais les patients font 85 % du travail.
Quels sont les risques d’un poids trop élevé sur la santé?
Sans parler de l’effet esthétique, les premiers impacts du surpoids sont fonctionnels. On a des lombalgies, des gonalgies – des douleurs articulaires au niveau des genoux, des chevilles –, on est essoufflé quand on monte un escalier, on ne sait plus se pencher pour faire ses lacets, on ne sait plus jouer avec ses enfants… Après ces éléments qui jouent sur la vie quotidienne, les patients, de plus en plus, pensent à leur santé. Le surpoids peut entraîner des insuffisances respiratoires chroniques, des apnées du sommeil, des infarctus, des AVC (NDLR : des accidents vasculaires cérébraux), des AIT (NDLR : des accidents ischémiques transitoires), des insuffisances veineuses, des artériopathies. On a aussi des risques d’augmentation des cancers du côlon, de l’endomètre, et des seins. Ce n’est vraiment pas rien!
Prendre soin de son poids, c’est prendre soin de sa santé?
Complètement et les gens commencent vraiment à s’en rendre compte.
« Non, on n’opère pas systématiquement »
Laure Klein, quel est le fonctionnement du Citep du groupe CHC, le centre interdisciplinaire du traitement de l’excès pondéral?
Le Citep est géré par une coordinatrice, Jenny, qui est une infirmière de la convention diabétique, et, dans le service, on retrouve une psychologue, deux diététiciennes, un endocrinologue, un nutritionniste, deux chirurgiens, l’équipe de gastro-entérologie et celle de l’imagerie médicale.
L’encadrement d’un patient en surpoids ou obèse est donc pluridisciplinaire?
Tout à fait. Comme on sait que l’obésité est plurifactorielle, c’est logique que la prise en charge soit multimodale. Auprès de chaque spécialiste, on va chercher les causes des troubles alimentaires, sans jamais faire culpabiliser. Dans les consultations au centre, on va donner des clés, des bons conseils pour changer certaines habitudes du quotidien quand c’est possible (diminuer les féculents, mieux s’hydrater, faire attention à l’aspartame…).
La chirurgie n’est donc pas une fin en soi?
Non. J’ai des patients qui viennent me voir sans connaître les critères d’indication d’une chirurgie. Selon l’Inami, le premier critère, c’est un IMC de 40 ou de 35 s’il y a un facteur de comorbidité (diabète de type 2 avéré, apnées du sommeil, hypertension artérielle). On tient aussi compte des antécédents de chirurgie de l’obésité, par exemple s’il y a eu pose d’un anneau gastrique par le passé. Donc oui, parfois, les gens sont très frustrés que je leur réponde par la négative mais non, on n’opère pas systématiquement. D’où l’intérêt de notre centre et de tous les spécialistes qu’on y retrouve pour traiter le surpoids et l’obésité. Eux aussi permettent d’insuffler une motivation supplémentaire pour perdre du poids par soi-même, sans acte invasif.
Après, les gens qui viennent me voir et qui rentrent dans les critères font rarement marche arrière. Ils attendent depuis tant d’années, ils sont tellement éreintés par les régimes à répétition ou les frustrations de ne pas manger, que l’opération est «la» solution. La chirurgie, c’est vraiment pour ceux qui sont arrivés au bout du bout.
Si on passe par la case bistouri, quelles sont les différentes options?
Il y a énormément de techniques différentes mais nous, en Belgique et surtout dans la province de Liège, on a le by-pass et la sleeve. Dans les deux cas, l’objectif, c’est de diminuer la capacité d’ingesta alimentaire. Dans la sleeve, on crée un tube qui a une continuité anatomique et donc on réduit la capacité de distension de l’estomac ; dans le by-pass, on crée une poche, un néogastre de 4 cm3 qui, lui, n’est plus du tout anatomique, et on ajoute une malabsorption, donc on court-circuite entre 1m50 et 1m80 d’intestin. Dans le by-pass, on bouleverse carrément l’anatomie du patient.
Privilégie-t-on une technique par rapport à l’autre?
Moi, j’adhère aux deux. Certains confrères et mentors, au CHU notamment, font plus de by-pass. Ici et au MontLégia, on pratique plutôt la sleeve car c’est un acte plus rapide, avec moins de complications. Mais les études montrent que la perte pondérale est identique dans les deux cas.

On parle d’opérations, donc il y a des effets secondaires?
Bien sûr et je suis toujours très franche sur le sujet car le patient doit prendre conscience que ce n’est pas anodin. Dans les deux cas, il y a le risque d’une fistule anastomotique, donc un trou dans la couture qui peut entraîner très vite des complications (abcès, choc septique…).
À moyen terme, des deux côtés, on peut avoir des carences alimentaires, donc il faut vraiment avoir un suivi diététique rapproché. On peut aussi avoir des ulcères anastomotiques, donc des ulcères sur les coutures, d’où on prescrit des antiacides pendant 3 à 6 mois.
Ensuite, sur la sleeve, l’effet secondaire principal, c’est le reflux gastro-oesophagien, même si tout le monde n’en a pas. Il y a aussi le risque de sténoses.
Avec le by-pass, on est plutôt sur des carences vitaminées, d’oligoéléments. Il y a aussi des risques d’anémie. Enfin, il y a la possibilité d’avoir une hernie interne. Ça concerne plus ou moins 1 personne sur 10.
D’où l’importance du suivi?
Bien sûr. En phase postopératoire, il faut revoir le chirurgien, l’endocrinologue et la diététicienne. La psychologue, c’est une fois après l’opération.
Moi, je revois beaucoup les gens. 15 jours après, un mois, 3, 6, 9, 12, 24, vraiment jusqu’à deux ans après l’opération. Mais c’est le début qui compte surtout car les gens sont stressés, il y a des douleurs, des problèmes de transit. On vérifie qu’ils prennent leurs vitamines, leurs antiacides. On assure aussi un gros suivi pour les patients avec des problèmes de diabète ou de thyroïde. Et puis, il faut s’assurer que tout soit bien compris. On met par exemple en garde sur la consommation d’alcool car il y a une absorption très rapide dans le by-pass, donc les gens peuvent être «imbibés» beaucoup plus rapidement ; ou sur le désir de grossesse car la pilule contraceptive n’est plus aussi efficace après un by-pass.
L’objectif, avec le suivi, ce n’est pas de manger comme un moineau à vie, c’est de récupérer un équilibre alimentaire et d’avoir une activité physique plus conséquente. Car on le dit et on le répète : il y a aura une courbe exponentielle dans la perte de poids jusqu’au 3e mois, moment où elle va s’aplanir. C’est là que les gens sont frustrés car ils font ce qu’ils peuvent mais ils ne perdent plus autant. Le premier mois, on perd entre 8 et 12 kg ; entre 3 et 6 les mois qui suivent ; puis on peut ne perdre que 1 ou 2 kg. C’est là que l’activité sportive est super-importante. N’importe quoi marche rapide, course à pied, vélo d’appart, natation, fitness, CrossFit… Tant que ça plaît!
« Si autrui n’est pas capable d’avoir du respect… »
Moqueries, méchancetés, la société n’est pas tendre avec les personnes obèses. C’est possible de changer ce regard médisant?
Le problème, c’est que la société voit l’humain comme quelqu’un de beau ou de pas beau ; de musclé ou de pas musclé. La société remarque la petite bouée au niveau du ventre. Elle culpabilise avec des discours du type « C’est de ta faute si tu es gros, c’est toi qui manges ». Il faudrait éduquer les gens sur le fait que l’obésité est multifactorielle. Les gens ne se rendent pas compte que ce n’est pas d’office lié à un problème alimentaire pur. C’est une question d’éducation de base. Comme on le fait pour la sexualité, dans les écoles secondaires, on pourrait prévoir quelque chose sur l’obésité. On pourrait aussi le faire pour le tabac, l’alcool… car l’obésité aussi est un facteur de risque sur la santé, pour tout un chacun.

La télévision, la publicité, les réseaux sociaux vantent la minceur, voire l’ultra minceur. Ça vous agace?
Oui, bien sûr. Mais c’est aussi en fonction des décennies et des siècles. L’idéal de beauté d’avant n’est pas celui de maintenant. Quand on voit Marilyn Monroe, une icône de beauté, elle n’était pas du tout mince, elle avait de belles formes. Alors, on revient à ces formes mais, de nouveau, c’est plutôt petit tronc, grandes hanches et grandes fesses. Alors oui les grandes femmes minces portent de beaux habits mais qui peut réellement porter ça? Que vont penser les enfants et les adolescents? Comment les jeunes vont-ils s’identifier autrement qu’en ayant un état dysmorphique en se disant « Je suis d’office trop gros par rapport aux critères de beauté actuels » ? On essaie de changer mais ce n’est pas encore ça.
Vous l’avez dit, il y a aussi la culpabilité que peuvent ressentir les personnes en surpoids ou obèses. Comment la balayer?
99 % des gens en obésité ont une fragilité psychologique car ces personnes souffrent de se voir, souffrent du regard des autres, subissent des moqueries, sans avoir d’action sur leur poids. Nous, à l’hôpital, on doit aussi avoir une manière adaptée de discuter avec les patients. On ne doit jamais faire culpabiliser, sinon, ça ferme la porte. On doit continuer à les motiver, les encourager à chaque perte du moindre kilo, les féliciter. L’objectif, c’est d’être éducatif et de mettre le patient au centre de sa prise en charge. Il faut lui donner de l’énergie positive.
Sur la culpabilisation, je pense que ça passe aussi par l’éducation. Si autrui n’est pas capable d’avoir du respect, de garder pour lui ce qu’il pense de négatif alors qu’il sait que ça blesse… C’est de l’éducation.