Semaine du cerveau | Jeunes : inquiétant, leur rapport à l’alcool ?
Le "binge drinking", c’est-à-dire boire beaucoup en peu de temps, reste la norme chez les jeunes. Dans le cadre de la Semaine internationale du cerveau, le Dr Pinto évoque les raisons et les risques de ce mode de consommation.
Publié le 17-03-2022 à 08h00
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Emmanuel Pinto, vous êtes psychiatre et chargé de cours adjoint à l’ULiège. Vous travaillez aussi au Centre Louis Hillier, de l’Intercommunale de soins spécialisés de Liège (IsoSl). En quoi les modalités de consommation d’alcool chez les jeunes ont-elles évolué?
On est passé à un mode de découverte de l’alcool qui, auparavant, se faisait plutôt en famille mais aussi dans le cadre d’activité d’adolescents, comme les mouvements de jeunesse. C’était quelque chose de progressif et non pas, comme trop systématiquement aujourd’hui, une forme de découverte plus brutale, paroxystique, avec une consommation excessive, rapide, plutôt dans un cadre festif. Cela fait référence à une culture importée du monde anglo-saxon, le binge drinking ou le fait de boire beaucoup d’alcool en une petite période de temps de manière à atteindre l’ivresse, la défonce, le plus rapidement possible. C’est la tendance qu’on a constatée ces 10 ou 15 dernières années et qui est maintenant un mode de découverte de l’alcool prédominant. On remarque que, dès 12 ou 13 ans, il y a une proportion assez significative de jeunes qui ont déjà expérimenté une ivresse aiguë. Dans la tranche d’âge 15-18 ans, un tiers, de manière régulière, au moins une fois par mois, consomme de cette manière-là.
A-t-on pu déterminer ce qui a pu provoquer ce basculement de mode de consommation?
Il y a d’abord une «contamination» d’une façon de consommer de l’alcool très répandue dans les pays anglo-saxons. Il y a aussi des facteurs plus généraux, environnementaux, liés au fait que l’adolescence, qui n’était déjà pas une période facile, l’est peut-être encore moins maintenant. Les jeunes d’aujourd’hui sont pris en tenaille entre les exigences des parents et en même temps, des perspectives d’avenir qui sont assez floues avec une perte progressive de structures contenantes, encadrantes, qui permettaient auparavant de structurer le passage à l’âge adulte. L’individualisme, une valeur très cardinale dans notre société, met sur les jeunes une pression supplémentaire. Je pense qu’il y a là un malaise fondamental chez les jeunes. Ils apprennent à fuir en quelque sorte, tout en ayant un sentiment d’appartenance à un groupe. Enfin, entre aussi en ligne de compte la politique extrêmement agressive, sur le plan marketing, des producteurs d’alcool qui s’adaptent au marché et à la consommation des jeunes. Ils proposent des produits formatés, très sucrés, qui ont une teneur d’alcool aussi importante qu‘une autre boisson alcoolisée. Ces producteurs proposent une stratégie publicitaire qui les valorise. On leur offre là aussi une identité factice. De ce point de vue, l’industrie se place comme un acteur central du marché des psychotropes. On note aussi que les jeunes filles ont tendance également à consommer de la même manière que les garçons.
Quels dégâts cela peut-il causer?
Les conséquences immédiates en état d’intoxication, on les connaît. C’est la prise de risque, des relations sexuelles non protégées, parfois non-consenties, un risque de bagarre et d’accidents de la route, qui reste la première cause de mortalité chez les jeunes. C’est aussi la possibilité de s’initier à d’autres substances, sans compter le coma éthylique, une chute avec traumatisme crânien… Le mélange avec des boissons énergisantes, qui permet de continuer à boire sans être assommé et de rester vif, pousse à boire encore plus. Cela peut provoquer parfois des délires aigus paranoïaques, qui disparaissent mais peuvent exposer les jeunes à des conduites dangereuses. À moyen terme, le problème est plus d’un point de vue neuropsychologique avec des facultés cognitives qui commencent à être altérées. Leurs capacités de concentration et de mémorisation peuvent être altérées. À leur âge, leur cerveau est encore en maturation. Il est donc plus sensible à la neurotoxicité de l’alcool. Ça peut mener à un manque d’attention à l’école ou à l’apparition de dépression, d’anxiété. Pour certains, qui cumulent un certain nombre facteurs de risques, il y a aussi la possibilité d’entrer dans une dépendance réelle à un âge plutôt jeune. Avec toutes les conséquences que la maladie implique.
Maximum 10 verres par semaine
Qu’est-ce qu’une consommation responsable d’alcool?
Pour un adulte en bonne santé, on considère qu’il ne faut pas boire plus de 10 verres par semaine, avec 2 jours sans alcool. Au-delà, on entre dans une zone à risques, avec une augmentation du risque de développement de maladies cardio-vasculaires, cancéreuses. Des indications montrent une corrélation très nette entre le nombre de verres consommés par jour et l’apparition de maladies physiques. Plus on consomme et plus on s’expose aussi à un risque de dépendance. La limite recommandée actuellement est plus stricte qu’il y a encore 2 ou 3 ans. L’idée est évidemment de ne pas boire ces 10 unités d’alcool le même jour. Pour rappel, une unité est égale à 10 g d’alcool pur, donc 25 cl de bière à 5°, 12 cl de vin à 12° et 4 cl de vodka ou de whisky.