Covid en région verviétoise: les dirigeants des hôpitaux de la région, entre souvenirs et avenir
Verviers, Heusy, Malmedy, Eupen. Nos représentants d’hôpitaux tirent le bilan de deux années Covid.
Publié le 10-03-2022 à 07h55
"Dès les premières images en Italie, on se doutait que ça allait arriver ici, les tenues de sécurité impressionnantes lorsque les patients étaient véhiculés, les files et le son des sirènes d'ambulances encore et encore lors de la deuxième vague… C'était un dimanche, j'étais dans mon bureau et je me demandais où on allait pouvoir les mettre. C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'est née l'idée de construire une unité auxiliaire d'hospitalisation pour augmenter nos capacités". Lorsque Stéphane Lefebvre, le directeur général du CHR Verviers, se replonge dans 24 mois de crise, ce sont les premières images qui lui viennent à l'esprit. "On était dans une tout autre dimension. On était pris de vitesse par quelque chose qu'on ne connaissait pas. On était face à de l'inédit et on vivait une sorte de sentiment de stupéfaction." S'il doit tirer un bilan de cette période, il souligne "l'épuisement du personnel dans son ensemble, soignant et de l'entretien sanitaire. Le bilan psychologique est assez lourd, il est lié au dévouement exceptionnel. On se souvient d'applaudissements mais aussi du débat sur la vaccination du personnel soignant, la grosse confrontation à la mort. Tout cela a créé beaucoup de dégâts sur le plan humain." Ces deux années n'ont pas eu que des côtés négatifs, affirme Stéphane Lefebvre qui pointe l'excellente "collaboration entre hôpitaux et réseaux. Nous n'avons jamais autant travaillé ensemble que pendant cette période". Par ailleurs, le CHR Verviers a su aussi "démontrer" sur le plan local "une formidable capacité de réaction. On a su faire face à une crise sans précédent, cela démontre la force de notre institution et de nos collaborateurs". Plus largement, le directeur insiste sur la nécessité de tirer des leçons de la crise "plutôt sur l'aspect gestion, dit-il. Ma plus grande crainte est qu'on ne dresse pas ce bilan. La lasagne institutionnelle en Belgique est toujours aussi dramatique. Tout a été et est excessivement complexe sur le plan de l'organisation. Il faut une simplification dans le processus décisionnel. Il a été dit que les choses changeraient mais jusqu'à présent, on n'a pas changé grand-chose". Du côté de l'institution verviétoise, on en tire en tout cas des enseignements, une prise de conscience des "limites de l'infrastructure". La volonté de construire un nouvel hôpital étant née "du bilan de la crise également".
CHC Heusy: «Éprouvantes mais fédératrices»
S'il y a bien une chose qui a marqué positivement Frédéric Carrier, directeur de la Clinique CHC à Heusy (il prenait doucement le relais de Claudio Abiuso à la tête de la Clinique pendant la crise), c'est "l'élan de soutien extraordinaire des Verviétois. Cela a marqué les esprits au sein de la clinique. Aussi, l'élan de solidarité entre professions et interprofessions, l'attention particulière du corps médical pour le personnel infirmier. Tout cela a été exacerbé par la crise". Cela fait partie des bénéfices de la crise… auxquels se côtoie le moins bon de la crise, "la détresse du personnel dans l'impossibilité un moment donné de s'en sortir face à l'afflux massif de patients". Tristement inoubliable.
«Dans une toute autre dimension»
Sans oublier "le courage sur la durée. Une vague, deux vagues, on peut encore dire que c'est notre boulot, mais cinq vagues, on est dans une tout autre dimension". Le moment le plus difficile dont il se souvienne, c'est la deuxième vague et la perte de patients qui va avec, tout comme celle d'un collègue médecin "très apprécié et connu sur le site." Une période qu'il n'est pas près d'oublier. Tout comme ces deux dernières années dans leur ensemble qu'il résumerait en deux adjectifs: "éprouvantes mais fédératrices". Désormais, place à "l'avenir", dit-il. "On veut être optimiste. J'en veux pour preuve qu'on redémarre pleinement notre activité sur le site et on mène une réflexion sur des travaux d'investissement. On repart en projet et ça fait du bien", conclut-il.
Hôpital d’Eupen: «Deux ans qui laisseront des traces»
Isabelle Finck est directrice du département infirmier à l'hôpital d'Eupen. Alors hygiéniste au temps fort de la crise, elle retient de ces deux dernières années, "des décès, beaucoup trop", s'attriste-t-elle et "une grande peur de l'inconnu. On ne connaissait pas ce virus. On n'avait aucune idée des mesures de protection à prendre. On ne pouvait s'appuyer sur aucune étude scientifique". Des mois et des mois de questionnement, "est-ce que cela va durer? Combien de temps? Comment s'en protéger? On travaillait à tâtonnement, on décodait les événements au jour le jour". À côté de cela, elle reste éminemment marquée par la détresse des familles. "Les visites très vite interdites. Cela laissait les gens dans une grande souffrance psychologique. C'était terrible. Et ce n'est pas notre métier de laisser les gens souffrir. On ne savait pas si on allait pouvoir aider tout le monde de la même façon, c'était le pire." Une période éprouvante tant sur le plan physique que sur le plan psychologique avec, au-delà des défaites, de nombreuses victoires, tient-elle à préciser. "L'hôpital a été hyperperformant dans la recherche de matériel de protection. On n'est jamais tombé à court contrairement à d'autres petites structures du pays qui ont été rapidement dépassées." Aussi, Isabelle Finck salue la rigueur et la cohérence de l'institution tout au long de la crise Covid à travers l'organisation des visites "d'une personne une heure par jour et par patient. Il était nécessaire d'avoir des règles tout en restant le plus humain possible. Et on allait parfois à contre-courant d'autres hôpitaux". Deux ans "qui laisseront des traces" mais où la solidarité a été le maître mot au sein de l'hôpital. "L'ensemble des services collaboraient, c'était beau à voir malgré le drame. Je n'oublierai jamais ça." Si les masques commencent à tomber et les chiffres à diminuer, la directrice ne pense pas que la bataille est définitivement terminée. "On va devoir intégrer le virus dans notre quotidien. Et d'autres émergeront malheureusement. J'espère que ce sera le plus tard possible."
Malmedy: «Les hôpitaux de proximité, un rôle à jouer»
Deux ans "difficiles et intenses", débute Stephan Dubois, directeur du Centre Hospitalier Reine Astrid de Malmedy lorsqu'il évoque la crise. "Nous n'étions pas préparés à vivre ça. Il a fallu une grande capacité d'adaptation de tous, il a fallu faire face à un manque d'équipements. On était devant une maladie de laquelle personne ne connaissait rien, personne n'en connaissait les tenants et les aboutissants." Ce dernier applaudit "la force du personnel, son engagement. C'est vraiment une grande fierté. Ils ont connu une charge mentale et physique très importante, la fatigue qui s'est installée de vague en vague". Au-delà de l'aspect humain, Stephan Dubois se souvient aussi de la lourdeur administrative, "on devait rentrer plein de statistiques pour Sciensano (NDLR: L'Institut scientifique de santé publique). On ne sait pas bien si tout cela était pertinent". D'un point de vue financier, le directeur souligne "la réaction assez rapide au niveau régional et fédéral pour compenser le manque de recettes suite à la diminution des activités – en avril 2020, on a été à l'arrêt total pendant deux mois –". Le défi financier étant plus que jamais au centre des préoccupations aujourd'hui, à l'heure "où on a encore du mal à retrouver le rythme d'avant la crise. Il faut le temps que la confiance se réinstalle, que la crainte de se rendre à l'hôpital disparaisse", à l'heure où les coûts énergétiques continuent de grimper. S'il y a bien un élément positif à retirer de cette période particulière, "c'est la prise de conscience que les hôpitaux ont un réel rôle à jouer".
Syndicat: «On va vers une catastrophe»
À la question de savoir comment Lina Cloostermans, coordinatrice soins de santé CSC Services publics, résumerait ces deux dernières années vécues par le personnel soignant, c'est le mot "horreur" qui sort spontanément de sa bouche. L'horreur des décès, l'horreur de la crainte, l'horreur de "devoir aller au feu sans munition", dit-elle, comme pour symboliser "le manque de matériel pour se protéger" au début de la crise. Une crise qui a mis en lumière, expose-t-elle, la problématique du désinvestissement dans les soins de santé. "Cela a montré qu'il y a urgence. On prône la qualité des soins mais il faut en donner les moyens". Les moyens humains et financiers.
La syndicaliste regrette que la pandémie n'ait pas permis "de tirer suffisamment de leçons". "Le Covid a aggravé la situation. La pénurie de personnel s'est aggravée alors qu'on manquait déjà de bras. On a alerté tout le long – et encore aujourd'hui – les autorités fédérales et régionales sur la pénibilité du métier, le manque d'effectifs, les problèmes de recrutement, l'accessibilité aux formations de soins. Et on n'a jamais été tellement entendu depuis. Ils ne prennent pas la mesure de ce qui se passe. Ils font mine de tirer des leçons mais dans les faits…". Alors, oui, ajoute-t-elle, "le budget Fonds Blouses Blanches a été débloqué mais il n'a aucun impact sur le terrain parce que le Covid a poussé beaucoup de professionnels à quitter le métier. Et la pénurie existait déjà avant. Donc les moyens pour renforcer les équipes n'ont fait que remplir des trous qui existaient déjà."
«La cerise sur le gâteau»
Lina Cloostermans se souvient aussi du tremblement de terre causé par l'obligation vaccinale du personnel soignant. "C'est la cerise sur le gateau", commente-t-elle. "Et notre ministre de la Santé (Frank Vandenbroucke) continue avec ce projet. La situation risque encore de s'aggraver, avec des licenciements sans préavis ni indemnités. La loi pourrait être applicable en juillet. C'est plus qu'alarmant. Je ne suis pas anti-vaccin mais je pense qu'il faut prendre en compte l'évolution de la situation épidémiologique. Au lieu de les remercier, on va les mettre dehors".
Un bilan Covid qui est loin d'être rose pour la syndicaliste, regrettant aussi "la lenteur du cabinet du ministre. C'est affolant. Le budget a été octroyé seulement début de cette année (2022) pour des mesures qui auraient dû être prises en 2021. On n'est vraiment pas pris en considération. On va vers une catastrophe. Qui va soigner les gens?".