La guerre en Ukraine secoue nos aînés: une Verviétoise retrouve son récit d’enfant de sa journée du 10 mai 1940 (vidéo)
"Tout remonte à la surface", confie Jeanine Thonon, Verviétoise de 88 ans. Depuis jeudi, les images de la guerre en Ukraine la tourmentent et la font "frissonner. Tout cela me fait revivre la première journée de la guerre à Pepinster le 10 mai 1940." Jeanine était âgée de sept ans. "J’ai vu ces avions qui rasaient les toits. Papa a ouvert la fenêtre et a dit: c’est la guerre Jeanine."
Publié le 25-02-2022 à 15h52
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Quelques années plus tard, à l'aube de l'adolescence, elle sort sa plume et décrit son vécu en cette journée tristement historique où elle a dû évacuer avec sa famille sa maison de la rue des Moussets. Avec ce conflit aux portes de l'Europe, elle s'est rappelée qu'elle avait déposé ses émotions sur le papier et s'est mise à fouiller dans ses vieux documents, remettant la main sur quatre pages de récit. "Je n'étais qu'une petite fille mais je me souviens de tout. Ce sont des événements qu'on n'oublie pas." Une histoire poignante, parmi tant d'autres évidemment, qu'elle a souhaité nous partager. "J'avais envie de faire passer un message. On dit toujours que c'est loin mais 2 000 kilomètres, ce n'est pas loin."
Le récit en question
Voici un extrait du texte qui retrace le vécu de Jeanine Thonon. Manuscrite, nous avons tenu à la retranscrire.
"Vendredi 19 mai 1940, trois avions passent si bas qu'ils rasent les toits. Papa a ouvert la fenêtre, m'a tenu dans ses bras. Il m'a dit " Regardez Jeanine, c'est la guerre ". Je me souviendrais toujours de cet instant effrayant, de ces gros oiseaux qui sèment la terreur. C'est la guerre. Les maisons se vident. Leurs occupants fuient, s'en vont les uns après les autres, poussant une charrette, d'autres des filets aux bras et priant. Je dois mentionner quand même que nous habitons à Pepinster, rue du Mousset numéro 32. Chez nous, tout est prêt. Mes parents avaient envisagé. Papa avait fait graver des médailles à notre nom. Il devait se rendre à Nessonvaux chercher sa paie à l'usine. Pendant ce temps, Joseph et André (NDLR: ses frères) aidaient maman à entasser des victuailles dans une voiture d'enfant. […] Qu'arrive-t-il? La maison tremble. Depuis les fondations jusqu'au toit. Nous nous agrippons aux jupes de maman qui prie. Cela n'a duré que quelques secondes. Un nuage de chaux et de plâtre nous brûle les yeux. Une odeur âcre et sèche se répand dans la pièce. Dans la cuisine à côté, un gros bloc de rocher est là, suspendu au plafond, retenu par le plâtra. D'où vient-il? Cette pierre de bonne taille a traversé le toit et deux étages. Nous apprîmes plus tard que les soldats belges avaient fait sauter la grande carrière qui se trouve route de Liège afin d'empêcher les Allemands de passer. Des blocs de rocher avaient été projetés un peu partout. Le principal, nous sommes sains et saufs. Papa qui n'est pas encore rentré. Des gens crient dans la rue, des tuiles et débris de verre jonchent celle-ci. […] Il faut quitter la maison au plus vite. Où aller? Dans le tunnel. Maman enveloppe François dans une couverture. Et nous nous rendons dans ce re refuge où nous sommes accueillis avec joie. Je vois encore cette scène. Nous courrons. Mes petites jambes; j'ai peur mais je ne me souviens pas avoir pleuré. Mais très nerveuse. […] Enfin, papa rentre. Il a eu bien peur de ne plus nous trouver en vie. Il n'y a pas de temps à perdre. Il faut partir. Le Fort de Trancrémont donne et les Allemands peuvent arriver d'un moment à l'autre. Maman jette une couverture sur le piano et l'accordéon. Papa lâche les oiseaux. On ferme la porte et en route. À la grâce de Dieu, nous montons les Mazures. Papa pousse une voiture, maman en pousse une autre. Joseph tire une carriole. […] Nous étions bien à une centaine de personnes marchant dans les sentiers et les bois, priant, pleurant. Allons, courage. Nous arrivons à Liège ce soir. Liège, enfin nous y sommes. On nous indique des maisons où nous pourrons passer la nuit. C'était de bien gentilles personnes. On nous fit prendre un bain de pieds et nous eûmes du chocolat pour souper. Nous n'étions pas seuls. Une autre famille nous accompagnait…"