Des encres désormais interdites: nos tatoueurs voient rouge
Une nouvelle réglementation, concernant les encres de tatouage, est entrée en vigueur le 4 janvier. Problème: les encres autorisées sont introuvables. Ce qui exaspère les tatoueurs de la région.
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Publié le 17-01-2022 à 08h00
"Je pense qu'on en a après nous", lance Aurélie Beledsky-Cormann, qui gère le salon de tatouage Encre & Moi, à Welkenraedt.
Un sentiment partagé par de nombreux confrères en ce début d’année 2022.
Depuis le 4 janvier, les tatoueurs professionnels n’ont plus le droit d’utiliser certaines encres et certains pigments, jugés dangereux et cancérigènes par l’Union européenne.
Une réglementation qui est entrée en application alors que les produits autorisés ne sont pas prêts. La plupart sont toujours en précommande ou en rupture de stock.
"On parle beaucoup des couleurs mais il faut savoir que l'encre noire est aussi concernée, explique la jeune femme. Pour ma part, j'avais pris les devants en commandant mes encres à l'avance, il y a deux ou trois mois. Je n'en ai reçu que deux, sur six, le 6 janvier, dont le noir. Je sais travailler pour le moment avec cela. Mais il y a plein de projets que je dois annuler ou reporter parce que je n'ai pas encore reçu les diluants, le blanc. Or je ne peux plus utiliser ceux d'avant. C'est assez handicapant".
Par chance, Aurélie Beledsky-Cormann pratique surtout le tatouage en noir et blanc. "J'ai des collègues qui, eux, sont spécialisés dans la couleur et le cartoon et qui sont très embêtés".
Même son de cloche chez Murky Tattoo, à Verviers. "Cela nous pose énormément de problèmes. Ici, je n'ai pas le choix: je continue de travailler avec mes encres afin de vider mon stock. Après les mois de fermeture imposés par le Covid, puis les inondations dans mon cas, je ne peux pas m'arrêter de travailler", confie Mathilde Crutzen, la patronne.
Un risque que ne souhaite pas prendre sa consœur welkenraedtoise. "Je ne veux pas être dans l'illégalité et m'enterrer avec des amendes", estime-t-elle.
Peu de retour sur les nouveaux produits
Une autre crainte partagée par nos tatoueurs, c'est l'absence d'informations claires au sujet des encres plus "safe". "On a été prévenus au dernier moment et c'est même court pour les marques. Celles-ci nous donnent les noms de couleurs mais on ne sait pas à quoi cela correspond exactement", note Aurélie Beledsky-Cormann.
"On ne sait pas non plus comment elles vont cicatriser ni entrer dans la peau ", poursuit Max Briffoz, de chez Tattoo Kika, à Malmedy. Ce qui est particulièrement contraignant pour les projets de tatouage en cours. "On ne sait pas si le rouge utilisé pour la première partie, par exemple, sera le même avec le nouveau produit, indique-t-il. Il faudra peut-être repasser dessus pour uniformiser le tout. Mais ce sera plus de travail pour nous et plus de douleur pour le client".
Pour pouvoir se faire un avis sur ces pigments, il n'y a qu'un seul moyen: les tester. Le hic, c'est que ces nouvelles encres coûtent entre deux à trois fois plus cher. "Il faut savoir qu'un stock d'encres tourne autour des 1 000€, précise la boss d'Encre & Moi. Tout racheter, ce sera un investissement important."
"Cela ne va pas forcément se répercuter sur nous mais sur le client, complète Mathilde Crutzen. Pour cela, il faut que la clientèle suive. Si on augmente les prix chaque année, cela n'ira pas non plus."
Pour l'instant, celle-ci se montre compréhensive. "On remarque quand même que peu ont été informés de ces changements", conclut-elle.
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Quand on leur demande si les personnes qui sont passées sur le fauteuil de tatoueurs doivent s'inquiéter, ils sont unanimes. "Non. Cela fait dix ans qu'on travaille avec ces encres-là et cela n'a jamais posé problème", déclare Aurélie Beledsky-Cormann, d'Encre & Moin à Welkenraedt.
"Tout est très réglementé, note Max Briffoz de Tattoo Kika, à Malmedy. On recevait des suivis par rapport aux produits; des marques ont été supprimées…"
Les professionnels du secteur déplorent aussi le manque d'éléments concrets par rapport à cette toxicité: "On nous dit que c'est potentiellement cancérigène mais sans amener de preuve."
"Qu'on commence alors par s'inquiéter de ce qui se trouve dans les déodorants qu'on utilise tous les jours ", remarque Mathilde Crutzen, de Murky Tattoo, à Verviers.
Pour eux, il s'agit d'un prétexte supplémentaire pour les empêcher de travailler. "Quand on voit qu'on n'interdit pas la cigarette alors qu'on sait pertinemment que le tabac est cancérigène… Alors, oui, ça rapporte plus. Mais les doses de produits chimiques qu'on a dans nos encres sont tellement dérisoires…", souffle Aurélie Beledsky-Cormann.
Problème pour les tatouages réparateurs
Chez Tattoo Kika, on réalise également le tatouage d'aréoles, pour les femmes ayant été opérées d'un cancer du sein. "Sans les encres colorées, comme le rose, le beige, le brun, cela va être compliqué, regrette Max Briffoz. Pourtant, ces tatouages aident les clientes à revivre, à se sentir à nouveau bien dans leur peau. Ne plus pouvoir le faire aura des conséquences psychologiques importantes chez elles."
Pareil pour les tatouages en pause forcée. "Certains doivent recouvrir d'anciens tatouages. Quand l'été arrivera, ces personnes n'oseront plus le montrer. Cela fera sale, pas fini."
Les professionnels du tatouage craignent également de futurs contrôles. "J'imagine qu'ils ne vont pas tarder à être mis en place. Je n'ai rien contre l'État mais on n'est pas là pour rembourser la dette liée à la crise sanitaire", prévient Aurélie Beledsky-Cormann.
Mathilde Crutzen, elle, pense que certains tatoueurs ne vont pas hésiter à remplir, avec d'anciennes encres, les bidons d'encres autorisées. "En tout cas, peu sont prêts à fermer leur shop pour ça".
De son côté, Max Briffoz a peur que cela laisse encore plus de place aux tatoueurs au noir. "Eux, le service Santé publique n'est pas en mesure de les contrôler."
Qui seront les prochains?
Cette réglementation est perçue par le monde du tatouage comme un affront. "On dirait vraiment que le métier gêne, lance Max Briffoz, de Tattoo Kika. Depuis plusieurs mois, on cherche vraiment à nous embêter". Pas reconnue en Belgique, la profession a, qui plus est, du mal à faire entendre sa voix. Plusieurs pétitions ont été lancées ces derniers mois pour s'opposer à cette nouvelle réglementation. Celle-ci a finalement été instaurée sans grande concertation.
Pour le Malmédien, ces mesures visant à réduire les produits nocifs ne devraient pas tarder à toucher d'autres secteurs: "Je pense à la coiffure, à l'esthétique. Certains composants que l'on retrouve dans nos encres figurent par exemple aussi dans certains vernis."