Bordignon : « L’enseignement a subi le rouleau compresseur idéologique »
Secrétaire régional intersectoriel de la CGSP à la retraite depuis ce 1er septembre, Michel Bordignon revient sur 40 ans de lutte sociale.
- Publié le 03-09-2016 à 06h00
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Michel Bordignon, dans quel état d’esprit êtes-vous, quelques heures après votre départ à la pension, au soir du 31 août dernier?
Depuis jeudi, on me demande souvent si ma vie n'en est pas trop bouleversée. Mais ce n'est pas le cas: quand j'y réfléchis, l'unique réel changement est que je peux dorénavant me lever à 9 h 15 plutôt que 6 h 30, voire 5 heures (rires). Plus sérieusement, je sors de neuf années (NDLR: depuis son rôle de secrétaire CGSP Enseignement pris en 2007) au cours desquelles j'ai été payé pour militer. C'était du militantisme professionnel. Or, je ne compte nullement stopper mon implication syndicale. Le changement majeur est là: je ne serai plus payé pour.
À votre poste de secrétaire régional intersectoriel de la CGSP Verviers (qu’il campait depuis 2010), vous avez connu une fin de carrière assez mouvementée…
En 2016, nous avons constamment été en marche, entre les actions sur le terrain et les congrès, plus habituels. Ce fut une année très riche au niveau syndical. Au-delà des divers coups de massue assénés par le gouvernement Michel, la question était de savoir si nous, les syndicats, pouvions encore riposter. Nous avons justement tiré un premier bilan le 23 août. La conclusion est que notre force de frappe est toujours bien présente, que le mouvement ne s’essouffle pas malgré les nombreuses sollicitations depuis 2014. Notamment sur Verviers, où nous avons encore réuni environ 450 militants.
Depuis votre première affiliation à la CGSP Enseignement en 1974, où vous étiez alors en rhéto mais déjà idéologiquement convaincu (il avait, et a toujours, sa carte de membre au Parti communiste), vous en avez pourtant connu d’autres. Quelles époques vous ont spécifiquement marqué?
Je me souviens des grandes luttes des années nonante, avec les longues grèves. Ainsi que des combats, dans l’enseignement, pour l’obtention d’un statut officiel, décrété seulement en 1994. Sont-ils des bons ou mauvais souvenirs? Difficile de trancher: nous n’avons pas obtenu tout ce que nous désirions, mais les nombreuses actions nous avaient permis d’accueillir beaucoup de nouveaux membres, d’intéresser les gens à la chose politique.
Comment analysez-vous l’évolution de la situation sociale depuis les années septante?
Depuis le choc pétrolier de 74, on observe une constante régression économique et sociale – excepté chez quelques privilégiés. La population est lésée à trois niveaux: économique et social, donc, mais aussi (et surtout) idéologique. C’est une constante depuis lors: le rouleau compresseur idéologique TINA (There is no alternative) de Margaret Thatcher marque toujours durement la société, y compris les milieux de gauche – regardez ce qu’il se passe actuellement en France. Et de plus en plus, d’ailleurs.
À quel point cet interminable virage idéologique a-t-il marqué l’enseignement (domaine le concernant directement, lui qui fut professeur de français, d’histoire et de morale)?
L’enseignement a été lui aussi touché par ce rouleau compresseur. D’autant qu’il s’agit d’un métier particulier, dans lequel on est de base déjà fort isolé: vous sortez rarement de votre école. Chacun travaille de manière individuelle: son bureau, sa classe, son programme, ses élèves, etc. L’individualisme, qui prend une place toujours plus importante au sein de notre société, s’y marque dès lors plus facilement.