Une étoile Michelin pour Mathieu Vande Velde, à Francorchamps: "Une fierté de replacer le Roannay sur la carte de ce guide historique"
Mathieu Vande Velde a été auréolé par le guide Michelin Belgique. Il a décroché une étoile et le titre de Jeune chef 2023 pour son travail au Roannay, à Francorchamps. Retour sur cette consécration, sans oublier de parler de ses ambitions et de son passage, en 2021, dans l'émission Top Chef. C'est notre "Rencontre du samedi".
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/1e64cead-842f-4370-911f-b234f3b45de1.png)
Publié le 18-03-2023 à 07h30
:focal(3675x2461:3685x2451)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/NCHYYEJMEJHOTAGWAK5QOFEDKA.jpg)
Mathieu Vande Velde, vous êtes le chef du Roannay (Stavelot) depuis août dernier. Depuis ce lundi 13 mars 2023, votre établissement a décroché une étoile dans le prestigieux guide Michelin Belgique alors qu’il n’en avait plus depuis 1989, quand feu Yvon Aubinet était à la tête des cuisines. Ça fait quoi d’être un chef étoilé?
C’est assez incroyable. On commence à réaliser un petit peu. Lundi soir, on ne réalisait pas encore. On regardait les autres chefs en se disant qu’ils étaient étoilés puis Peter Goossens (NDLR : chef trois étoiles du Hof van Cleve, à Kruisem) m’a dit : « Bienvenue dans la famille ». C’est une fierté, un moteur supplémentaire pour continuer à avancer. Je vois ça comme un feu vert, quelque chose qui nous dit que nous sommes sur le bon chemin.
Avec cette étoile, vous replacez le Roannay au sein de la gastronomie belge, vous en avez conscience?
Sans parler de pression, je dirais que c’est une fierté de replacer ainsi le Roannay sur la carte de ce guide historique. Plus personnellement, c’est aussi la fierté de porter cette veste – il montre la broderie de sa nouvelle étoile rouge – dont j’ai rêvé depuis que j’ai fait mes premiers pas dans la cuisine du Comme chez Soi. J’avais vu ce chef (NDLR : Lionel Rigolet), ses deux étoiles à l’époque, les cuisiniers qui se battaient pour lui. J’avais dit à mon père: « Tu verras, un jour, on l’aura ». Chaque jour, j’ai pensé à ça. Chaque année, j’ai regardé les cérémonies Michelin, dans tous les pays, en Italie, en France… Alors, pouvoir y accéder en tant qu’invité et, encore plus, être lauréat de deux prix, c’est vraiment incroyable.
Vous êtes chef à Francorchamps, sous la gestion de David Martin détenteur de deux étoiles Michelin pour son restaurant La Paix, à Anderlecht. Un chef que vous avez d’ailleurs secondé par le passé. Quels sont les premiers mots que vous vous êtes échangés après l’annonce de votre étoile, si ce n’est pas un secret?
Non (rires). Quand je me suis levé, quand je l’ai serré dans mes bras, je lui ai dit : « Je vous aime et merci ». C’est grâce à des chefs comme ça, qui donnent des opportunités aux jeunes; c’est grâce à des investisseurs comme Monsieur Gehlen (NDLR : Roger Gehlen, du groupe Gehlen) et Monsieur Bosquin (NDLR : Victor Bosquin, de chez Unibox), que c’est possible car ce sont eux qui ont pris le risque de faire confiance à un chef de 24 ans.
Lundi, c’était d’ailleurs une magnifique journée pour l’écurie David Martin puisque Karen, c’est aussi un ancien de chez lui (NDLR : Karen Torosyan, chef du Bozar, à Bruxelles, qui a décroché sa deuxième étoile). Je remercie vraiment David Martin de nous laisser la chance de nous exprimer, de nous permettre de mettre notre patte culinaire dans nos assiettes.

À titre personnel, vous avez également reçu la distinction de Jeune chef de l’année 2023. Une fierté du haut de vos 24 ans?
Oui, mais quand j’étais seul sur scène pour recevoir ces prix, c’était une sensation bizarre. La première image qui m’est venue en tête, c’est celle de tous les gens qui travaillent au Roannay au quotidien et qui font que je sois mis en lumière. C’est un prix qui m’est attribué mais qui est dû au travail de toute l’équipe. En plus de l’équipe, c’est aussi une question de partage avec ma famille, ma compagne. On en riait avec Tim Boury (NDLR : chef du restaurant éponyme, triplement étoilé) mais les trois chefs trois étoiles sont montés sur scène avec leurs femmes. Sans ça, sans l’entourage, on ne saurait pas aller si loin. Ça fait maintenant 7 mois que j’ai rencontré quelqu’un. Elle m’apporte beaucoup de soutien, un regard extérieur aussi sur les changements, sur les moments de pression. Sa famille, sa compagne, ses amis, ses collègues, on pense forcément à eux quand on monte sur scène.
L’étoile et le titre de Jeune chef vont-ils changer votre manière de travailler?
Non, du tout. C’est comme se demander s’il y aura la pression de savoir si tel client est un inspecteur du guide Michelin. À aucun moment, on ne se posera cette question. J’estime que chaque client qui passe la porte est un client à qui je vais donner le meilleur. Que ce soit un ami de Monsieur Gehlen, un inspecteur Michelin, Gault&Millau, Fifty Best, ou deux jeunes qui ont économisé pendant des mois pour venir passer un moment ici, l’importance sera la même. Il n’y a qu’une vitesse, comme le dit David Martin. Tant qu’on est exigeant tout le temps, peu importe le client, on sait que ça se passera bien. Des qualités et des défauts à certains plats, tout le monde en trouvera car c’est un métier qui relève de la thématique de l’art. Je ne suis jamais vexé quand un client me dit qu’il a moins bien compris un plat. C’est pour ça que je passe à 3 ou 4 reprises aux tables, pour accompagner les gens et leur expliquer les plats car, parfois, on n’aime pas parce qu’on n’a pas compris.
Le Roannay propose trois menus : la Découverte (75 €), la Forge (105 €) et le 1926 (145 €). Ce sera toujours le cas, dans le tarif actuel?
Oui. Il y a 6 mois, on avait été critiqués sur le fait de mettre des prix assez hauts, sans étoile, alors qu’on venait d’ouvrir. Mais, à un moment, si on veut faire la course, il faut s’acheter une belle voiture. On a mis des tarifs hauts pour aller chercher cette étoile et ça nous permet maintenant de ne rien changer. Quand un restaurant change ses prix parce qu’il a une étoile et que la clientèle râle, je peux comprendre. Depuis l’ouverture, on s’est forgé une clientèle fidèle. Changer les prix aujourd’hui, ce serait dire: « Si vous voulez rester fidèles, payez plus ».
Comment décririez-vous votre cuisine?
On essaye d’avoir une cuisine la plus pure possible et qui soit lisible. Il n’y a rien de plus ennuyant pour un client que de ne pas comprendre ce qu’il a mangé parce qu’il y a trop d’éléments. Nous, on met beaucoup de travail sur le produit mais dans le visuel et dans le gustatif, c’est très net, très précis. C’est pour ça que dans nos menus, on ne met que quelques mots dans les intitulés. Un exemple, le Nigiri sushi: on met Saint-Pierre/riz/champignons. Le client qui lit ça, il sait ce qu’il va avoir, il l’imagine. Après, quand le plat arrive, il y a un étonnement mais, en même temps, il retrouve les éléments cités. Et quand il met les aliments en bouche, il dit « waouh » car entre ce qu’il a imaginé et ce qu’il mange, il y a tout un travail. Pour moi, il faut aller étonner les gens sur des choses qui sont simples à comprendre.

Y a-t-il un chef qui vous inspire?
Il y en a plusieurs. Il y a Lionel Rigolet, du Comme chez Soi, et David Martin du restaurant La Paix. Après, il y a Björn Frantzén, en Suède, que j’aime pour son identité culinaire. C’est un de mes rêves que d’aller manger dans ce restaurant. Il a une cuisine très épurée, très centrée sur le produit, avec des goûts francs. En tant que personne que je rêve de rencontrer, il y a Yannick Alléno, pour tout ce qu’il a réussi à construire et pour sa force et sa rigueur. Il a la prestance qu’ont tous les chefs trois étoiles.
Son ambition? « Que l’établissement devienne un lieu de référence en Belgique »
L’hôtel-restaurant du Roannay a fait peau neuve après une fermeture de 2 ans et une rénovation totale. L’étoile était votre ambition. Premier pari tenu. Quelle est l’ambition suivante? Une deuxième…
La suite, c’est de se servir de cette première étoile pour continuer à assumer face à la clientèle qui arrive car c’est un peu la folie furieuse avec les réservations ces derniers jours. Le vrai défi sera de garder l’âme du Roannay et de la transmettre aux clients qui viennent chercher un restaurant étoilé. Le Roannay, c’est un magnifique endroit, chic, haut de gamme. Mais, à l’inverse, dans la manière de parler des serveurs, de la cuisine, dans ma manière de parler, on a voulu quelque chose de familial. Je pense que le restaurant purement guindé, c’est fini. Les gens viennent au restaurant gastronomique pour vivre une expérience, pour rencontrer un chef. La vraie difficulté sera de garder cette ligne, alors que la clientèle va changer. Des gens vont venir maintenant parce qu’on a une étoile, avec l’image qu’ils se font d’un restaurant étoilé. On veut dire qu’on a une étoile mais que ça ne changera pas notre manière d’être, de nous exprimer.
Après, bien sûr, deux étoiles, pourquoi pas (rires). Je vous cite des restaurateurs trois étoiles dans mes mentors, je vous parle des trois restaurateurs trois étoiles belges, inévitablement, le rêve personnel, il est assez vite compris.
Avoir votre propre resto, ça vous titille?
Non. En fait, ça me titillait avant. Je m’étais toujours dit que je voulais être indépendant. Pour la petite histoire, après avoir travaillé deux ans à La Paix, j’étais censé aller à Paris, chez Arnaud Donckele, pour son restaurant Plénitude. J’ai reçu un mail me disant qu’il cherchait des sous-chefs, des chefs de partie… L’objectif, là-bas, était d’avoir directement trois étoiles (NDLR : ce qui fut le cas en avril 2022, après 6 mois d’ouverture seulement). J’y suis allé, j’ai passé les tests et j’ai discuté avec lui car il faisait lui-même tous les entretiens. Je lui ai parlé de mon rêve d’être indépendant et il m’a dit qu’il ne l’était pas et qu’il le vivait très bien. J’ai réfléchi et j’ai parlé à mon ami Rémi Colombe qui a ouvert Le Ventre Saint Gris (NDLR : à Uccle) et qui est indépendant. Sur une journée où il va travailler 18 heures, il va y avoir 12 heures en cuisine et 6 heures au bureau à faire de la comptabilité, des ressources humaines, à payer des factures. Moi, sur des journées de 18 heures, je preste 18 heures en cuisine. C’est ce qu’Arnaud Donckele m’avait dit : « Moi, je ne me soucie que de la cuisine et de mes équipes ». Personnellement, je peux avoir un état d’esprit un peu plus léger que les chefs indépendants. Donc ce n’est pas un rêve pour moi d’ouvrir mon propre restaurant.
Où vous voyez-vous d’ici 5 à 10 ans?
Toujours ici, au Roannay, toujours dans ce groupe parce que j’y crois. J’ai une chance énorme d’avoir deux investisseurs à l’écoute. Leur truc, c’est de me demander ce que je vais proposer, de venir le vivre en tant que client et de me dire ce qui va ou ce qui va moins bien. C’est une chance d’avoir ces gens avec un côté humain énorme. Quand ils viennent ici, ils saluent tout le monde, pas seulement moi. Je me sens bien ici, aussi en accord avec les valeurs de la directrice, Valérie China. Et puis, j’aime la région. J’ai rencontré ma compagne ici. Inévitablement, dans 5-10 ans, je me vois toujours ici, en train de continuer à faire évoluer cet établissement pour qu’il puisse grandir encore plus et qu’il devienne un lieu de référence en Wallonie et en Belgique plus globalement. Il faut qu’il soit autre chose que l’hôtel à côté du circuit. Je ne suis pas le chef du circuit. D’ailleurs, l’avantage d’avoir ouvert après le Grand Prix dernier, après la grande saison comme certains disent, c’est qu’on a pu se faire une clientèle locale, d’ici, et c’est elle qu’on veut garder. Les gens du circuit viendront s’y ajouter. Ils ne viennent qu’une fois par an. Je ne vais pas cuisiner spécialement pour eux. Moi, je cuisine pour le mec qui habite au bout de la rue, qui vient ici car il est content pour Francorchamps, pour la région.

Des envies de diversification?
Il y a des envies sur d’autres projets culinaires, d’autres styles. J’ai eu la chance de mettre sur pied un food truck quand je suis sorti de Top Chef (lire en page 21 son ressenti sur cette expérience télé), c’était très enrichissant, j’ai adoré. Ça, c’est quelque chose que l’année prochaine ou celle d’après, je remettrais bien au goût du jour, avec mon image, ma personnalité. Se diversifier en offrant d’autres concepts aux gens, ce serait un plaisir.
« Top Chef est un accélérateur qui propulse sur le devant de la scène »
On ne peut pas parler de vous sans aborder votre passage, en 2021, dans l’émission Top Chef. Vous aviez alors été éliminé en troisième semaine. Vous en gardez de bons souvenirs?
Oui, toujours, pourtant beaucoup d’anciens critiquent, se demandent si ce n’est pas manipulé. Moi, je ne me suis jamais posé la question même si j’ai été très déçu de partir si tôt. Le cuisinier qui veut faire un concours de cuisine, il fait le Taittinger, le Bocuse d’or, le Meilleur ouvrier de France, le Prosper Montagné. Le cuisinier qui veut faire un concours télévisé, il fait Top Chef. Il faut rester cohérent avec ce qu’on est, avec le pourquoi on l’a fait. Si on participe, c’est pour aller le plus loin possible et parce que ce côté télé va amener une certaine médiatisation, qu’elle soit positive ou négative. Ça, tout le monde le sait avant de se lancer et je le savais.
J’en discutais avec un des directeurs du Michelin, quand on voit le nombre d’anciens candidats de Top Chef qui font partie de la famille du guide en France et en Belgique, je ne peux pas me dire que ce n’est pas une bonne expérience. Matthias Marc, Mallory Gabsi ou Fanny Rey ont décroché une étoile; Stéphanie Le Quellec, elle, a deux étoiles. Quand j’y pense, quand je pense à tous ces chefs, je me dis que c’est une chance. Top Chef est un accélérateur qui propulse sur le devant de la scène et qui fait qu’aujourd’hui, j’en suis là.
Top Chef, c’est du super-positif et je le disais au producteur de l’émission quand il m’a téléphoné pour me féliciter, ce que j’espère, c’est qu’on fasse une épreuve avec tous les anciens qui ont décroché des étoiles. Ce serait une revanche pour moi aussi de pouvoir revenir. J’encourage les gens à faire cette émission car rien que le fait d’y participer permet d’aller plus loin.
Vous étiez dans l’équipe bleue de Philippe Etchebest. Vous avez gardé des contacts avec lui?
Aucun. Je pense qu’il y a des gens comme lui qui croisent tellement de monde, qui passent dans tellement d’émissions, que c’est normal. Je ne lui en veux pas du tout.

Vous, Mallory Gabsi – également fraîchement étoilé par Michelin France et Jeune chef français 2023 – , Arnaud Delvenne, Julien Lapraille… Ils sont nombreux les Belges à avoir brillé dans Top Chef. Une satisfaction de voir les « p’tits Belges » se positionner dans un tel programme?
Oui, c’est chouette. Et on a un avantage, c’est une réalité, c’est que le Belge plaît. Le Français envers les autres Français, il aime ou il n’aime pas. À l’époque, pendant l’émission, je recevais entre 200 et 250 messages par jour et j’avais 10 % de messages négatifs. Des candidats français recevaient 80 à 90 % de messages négatifs au départ avant de devenir les stars du programme. Mais c’est bien de montrer que nous aussi, on est là. Il y a peut-être le fait que la présence de candidats belges joue pour les audiences en Belgique mais je pense que même sans candidats belges, la Belgique continuerait de regarder le programme.
La saison 14 de Top Chef a démarré début mars. Vous la suivez?
Bien sûr. Je suis Top Chef chaque année. Cette année d’ailleurs, je trouve que les changements apportés sur la conception du concours, c’est fantastique. Comme dans un restaurant étoilé, l’émission se remet en question alors qu’elle marche depuis 14 ans. Elle est plus courte, elle est mieux pensée, elle aborde des thématiques qui parlent aux gens. On est revenu avec des thématiques de food trucks, de street food. C’est aussi montrer qu’il n’y a pas que la gastronomie qui compte. Personnellement, je pense qu’il n’y a que deux types de restaurants : les bons et les mauvais. Il y a des bonnes pizzerias et des mauvaises; il y a des bons bistrots et des moins bons.
On me demande souvent mon resto préféré dans la région et les gens rigolent quand je réponds La Tête de Bœuf, à Aywaille. Le concept de ce mec, son assurance, c’est dingue. J’ai commencé à aller manger chez lui il y a 5 ans. Je faisais la route de Bruxelles pour y aller. Il a un talent incroyable dans les cuissons. Chaque chose qu’on mange chez lui, c’est bon jusqu’au bout, c’est totalement ce que je respecte dans la cuisine.