L’acteur calaminois Bouli Lanners: "J’ai trop de projets… Il me faudrait une deuxième vie"
Bouli Lanners, comédien et réalisateur originaire de La Calamine, est encensé après avoir reçu un César et trois Magritte. Il revient sur sa folle actualité, en gardant toujours les pieds sur terre. Il parle de ses attaches en région verviétoise mais aussi de ses combats, comme la lutte contre le réchauffement climatique. Interview dans le cadre de nos "Rencontres du samedi".
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Publié le 11-03-2023 à 07h00 - Mis à jour le 11-03-2023 à 09h59
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Bouli Lanners, vous êtes sous le feu des projecteurs depuis votre César reçu le 24 février dernier pour votre rôle dans "La nuit du 12". Lors de cet événement, dans votre discours de remerciement, vous avez notamment cité cette phrase devenue déjà culte « Putain, je viens de Liège quand même ! ». Et Plombières et La Calamine, on n’en parle pas ?
(rires) Alors, une bonne fois pour toutes, je vais mettre les choses au clair. Je ne suis pas de Plombières du tout. Je suis né à Moresnet-Chapelle parce que c’était là qu’était l’hôpital et c’était avant la fusion des communes. Donc je ne suis pas né à Plombières, je n’y ai jamais habité. Je suis de La Calamine. Je vois partout que je suis soi-disant de Plombières, mais non. Ce n’est que depuis la fusion des communes que Moresnet-Chapelle fait partie de Plombières mais je n’ai rien à voir avec Plombières, même si j’aime beaucoup m’y promener. Je suis de Liège depuis mes 17 ans, donc je suis un Calaminois d’origine ardennaise mais ma base affective et culturelle est à Liège.
Ce clin d’œil à vos racines, à votre ville, c’était important de pouvoir le faire dans une cérémonie comme les César ?
Ce n’était absolument pas calculé. Cette phrase, c’est un vrai cri du cœur. Il n’y avait pas de stratégie de communication derrière, c’est sorti comme ça, comme une blague. Mais en même temps, les plus belles phrases sont celles qui viennent du cœur. Celle-ci a fait rire beaucoup de monde et je crois qu’elle a fait du bien à Liège. Et à travers Liège, c’est toute la province, toute la Belgique même.
Depuis que vous l’avez prononcée, elle a un sacré impact, en tout cas, cette phrase… On la voit partout.
Il y a des gens avec des tee-shirts, j’ai vu des gens avec des sacs, des gens avec des casquettes à Bruxelles. Je pense que, simplement, sans le faire exprès, ça a mis un peu de baume au cœur dans une période qui n’est pas la plus drôle. Et Liège est triplement impactée dans une situation post-Covid, en plein milieu du chantier du tram et en plein cœur d’une crise énergétique. On est dans un climat relativement morose donc ça fait du bien d’avoir une petite pique qui sort comme ça et qui fait du bien à tout le monde.
Être césarisé, entendre son nom comme lauréat, pour un acteur, qu’est-ce que ça provoque au fond de soi ?
Ça provoque un chaos émotionnel mais, à la base, je déteste la compétition, je déteste ce genre de cérémonies comme Cannes, les César, les Magritte, parce qu’on est mis en concurrence, en compétition. À la base, on fait un métier qui n’est pas destiné à la compétition, on ne fait pas un film pour battre un autre. Dans le sport, je peux comprendre mais pas dans une profession artistique. Mais une fois qu’on y est, on joue le jeu et force est de constater que quand on est nominé, quand on l’emporte, ça fait du bien. Je sais aussi que ceux qui n’ont pas gagné sont tristes, donc la victoire de l’un induit un sentiment de tristesse chez les autres alors qu’ils ne le méritent pas parce que dans le monde des films, il n’y a pas de perdants. Mais évidemment que ça fait plaisir de recevoir un César. Ça va rayonner en Belgique, à Liège, ça va m’aider pour la suite mais, à la base, je ne suis pas friand de ce genre d’exercice.

Le week-end dernier, après le cinéma français, c’est le cinéma belge qui vous a une nouvelle fois encensé à la cérémonie des Magritte où vous avez raflé trois prix. C’est une saveur autre que d’être récompensé dans son pays ?
La première fois, oui, mais ici, c’est la troisième fois que je reçois le prix du meilleur film et de la meilleure réalisation. Là, maintenant, il faut arrêter. Ça me pose beaucoup de questions par rapport à mon métier de réalisateur que je compte mettre un peu de côté. En fait, c’est peut-être bien de recevoir ces prix à ce moment de ma vie, peut-être à un moment où je vais clôturer un volet de ma vie. Ça me fait plaisir d’avoir reçu ce prix de meilleur réalisateur à cet instant, car il a une portée symbolique encore plus forte mais, maintenant, place aux jeunes !
Je donne cours à l’Insas (NDLR: l’Institut national supérieur des arts du spectacle, à Bruxelles) et, chaque année, il y a 10 étudiants réalisateurs qui sortent de l’école et quoi, il y a 200 réalisateurs sur le marché, ils doivent aussi être mis en lumière. En fait, je ne veux surtout pas être le vieux réalisateur qui fait le film de trop. Ce serait un échec. Il faut aussi pouvoir se remettre en question. Je compte consacrer plus de temps à l’écriture et au jeu, qu’à la réalisation.
Lors des Magritte, c’est votre casquette d’acteur qui a été mise à l’honneur, mais aussi celle de réalisateur pour "Nobody has to know". Entre les deux, votre cœur balance ou c’est l’acting qui prend le dessus dorénavant ?
Jusqu’à présent, c’était l’équilibre parfait mais, maintenant, j’ai d’autres projets qui nécessitent pas mal de temps dont l’écriture. J’ai aussi recommencé à peindre, puis j’ai aussi des rôles plus importants. Avant, j’ai souvent dit non à des rôles parce que je n’avais pas le temps car mes films m’en prenaient énormément. En ce moment, j’ai aussi ce projet d’ouverture d’un théâtre de marionnettes, en novembre, avec mon épouse (NDLR: Élise Ancion) qui est la fille du théâtre Al Botroûle, la fille de Jacques (NDLR: Jacques Ancion, décédé le 24 octobre 2022, était le fondateur de ce mythique théâtre de marionnettes liégeois). On a hérité de cela et on veut le faire revivre, dans un esprit de tradition, de transmission. Tout ça prend du temps. En fait, j’ai trop de projets… Il me faudrait une deuxième vie (rires).
Depuis le début de votre carrière, vous avez multiplié les rôles, les genres. Vous ne vous êtes jamais cloisonné. Cette diversité, c’est ce qui vous motive ?
C’est très gai de pouvoir toucher à tout. D’ailleurs, avant d’être réalisateur et comédien, j’ai fait un peu tous les métiers dans le cinéma. J’ai été machiniste, artificier pour des films de guerre, régisseur, accessoiriste de plateau… Ça a été très riche de pouvoir toucher à tout. Maintenant, c’est clair que comme tout le monde qui travaille dans l’artistique, qui a fait les Beaux-Arts, il faut gagner sa croûte. J’ai été barman, j’ai même tenu un resto. J’ai fait 36 000 travaux, oui, mais c’était enrichissant et je ne regrette rien. Aujourd’hui, pouvoir multiplier les casquettes dans une profession artistique, c’est un grand luxe. J’en ai bien conscience donc je veux en profiter au maximum et en faire profiter les autres aussi au maximum.
Ses racines, sa famille, le Cwarmê: oui, la région verviétoise compte encore
Vos origines sont en région verviétoise, à La Calamine donc. Vous y revenez souvent ?
J’y reviens pratiquement toutes les semaines. J’ai gardé beaucoup d’attaches là-bas. Ma mère habite toujours à La Calamine, ma sœur habite à Dolhain, ma nièce à Ensival. Je fais de la randonnée donc j’en fais énormément dans la région et je l’adore.
En fait, ça a été très riche pour moi, et je m’en suis rendu compte après, de grandir dans un village comme La Calamine car c’était interfrontalier. Il y avait cette mixitude entre la Belgique, l’Allemagne et la Hollande. J’étais dans une commune qui avait été neutre, avec une histoire très particulière, avec une ouverture d’esprit tellement grande. Je me suis toujours dit qu’il y avait beaucoup de tolérance à La Calamine. Je m’en suis rendu compte en arrivant dans d’autres villes, en France notamment, où les gens sont beaucoup plus fermés. Donc quelle chance pour moi d’avoir grandi à La Calamine, quand elle était encore un poste-frontière très vivant (NDLR : son papa était d’ailleurs douanier au poste de Tulje), ce qui n’est malheureusement plus le cas maintenant. La Calamine est devenue une ville-dortoir avec, j’ai l’impression, un manque de vision sociétale de la part du bourgmestre assez hallucinant. Je tiens à le dire car quand j’étais petit, il y avait par exemple plus de 60 ou 70 bistrots à La Calamine, il y avait des commerces partout. Aujourd’hui, on ne retrouve plus tout ça et tout le monde a la nostalgie de cette époque. C’est dommage que les pouvoirs publics ne prennent pas plus les choses en main. Je pense notamment au centre même de La Calamine. On a un patrimoine magnifique et il n’est pas remis au goût du jour. C’est dommage car l’histoire de La Calamine est quand même très particulière. David van Reybrouck a écrit ce petit roman, Zinc, qui explique la vie de la famille Rixen qui change cinq fois de nationalité selon les générations. La Calamine est ainsi un peu le départ de l’Europe. Ce n’est pas anodin. C’est dommage de ne pas mettre cette histoire plus en valeur.

Dernièrement, on vous a aussi vu du côté du carnaval de Malmedy, comme nouvel intronisé dans l’Ordre du Cwarmê. Ça vous plaît d’être un acteur du folklore régional et local ?
J’adore la tradition. Je fais la différence entre la tradition et le folklore et je suis plus proche de la tradition mais le folklore est nécessaire pour maintenir la tradition. Je suis né à La Calamine, le carnaval fait partie de ma vie (rires). Être intronisé au Cwarmê, que je ne connaissais pas tant que ça, c’était très drôle. J’y ai croisé des gens hyper sympathiques. J’ai par exemple passé ma journée avec Christian Piot, ancien gardien de but du Standard et de l’équipe nationale que j’adulais quand j’étais petit et qui est un Monsieur tellement gentil. Pour moi, c’est le Salvatore Adamo du foot tellement il est gentil. Et j’aime les gens gentils, les belles âmes comme lui.
Les festivités du 15 août à Liège, c’est aussi une tradition que vous aimez…
Oui, en effet. Quand j’étais jeune, le 15 août, il commençait déjà le 11 (rires) mais aujourd’hui la Commune a réduit fortement le côté populaire de la fête. Avant, les gens pouvaient servir du péket chez eux, les gens ouvraient leurs fenêtres et servaient les passants. Aujourd’hui, avec les nouvelles réglementations communales, tout ça a été amoindri, tout a été codifié. Il faut faire partie de l’horeca pour avoir le droit de servir du péket. Du coup, on a perdu quelque chose de convivial, de populaire. Même le 15 août à Liège n’a plus la même force qu’il avait avant.
Bouli Lanners, homme de combats: "Je me fais beaucoup d’ennemis pour ça"
Vous n’avez jamais caché votre engagement dans plusieurs combats, comme la lutte contre le réchauffement climatique. Vous avez peur de la tournure que prend notre planète ?
Oh oui… Il ne faut pas oublier que le problème du réchauffement climatique n’est pas un problème isolé. C’est un ensemble de problèmes qu’il faut régler. Et on ne peut pas régler un problème en en créant un autre. Ce qui me fait peur, c’est un manque de vision globale. On a fait croire aux gens qu’on pouvait consommer autant qu’on le voulait, en ne polluant pas. Mais c’est faux. La seule façon de s’en sortir, c’est de décroître, de diminuer notre consommation d’énergie à tous les niveaux.
On a une classe politique qui continue de dire que le nucléaire ne pollue pas. Le nucléaire ne nous rendra pas indépendant puisqu’on n’a pas d’uranium en Belgique. On n’a pas la garantie d’avoir l’indépendance énergétique, c’est un leurre. Et tous les déchets que ça génère ? On a aucune solution. Donc on repousse un problème qui resurgira dans un siècle ou deux. Je pense qu’on est très mal partis car on segmente les problèmes. Le problème général, c’est simplement l’activité humaine. Donc il faut réduire tout ce que l’activité humaine produit. Ali Baba, la 5G, le Bitcoin… Tout ça, ce sont des décisions qui vont à l’encontre de ce qu’il faudrait faire. Ces décisions sont énergivores alors qu’on dit qu’on doit consommer moins.
Nos politiques ne prennent pas assez leurs responsabilités, ne pensent pas assez au futur ?
En 2003 a été votée la loi de sortie du nucléaire. À partir de là, la transition énergétique aurait dû être mise en place. Tout le monde sait l’argent que ça coûte donc personne ne l’a fait. On est en 2023, et on va prolonger les centrales nucléaires et Georges-Louis Bouchez veut reconstruire des petites centrales. Ça veut dire que personne n’a pris la mesure de ce qu’il fallait faire dès 2003. Il y a 20 ans.
En 20 ans, on aurait pu créer des filières d’énergies renouvelables mais rien n’a été fait car ça coûte et personne n’a envie d’investir là-dedans. Donc, aujourd’hui, on a les mêmes problèmes, dont le problème d’approvisionnement mais on n’en a jamais eu depuis qu’on en parle. On fait peur aux gens. Dire qu’il y aura des soucis d’approvisionnement, ce n’est pas dire que ce sera la fin du monde. Je reviens de l’île de Lewis (NDLR: en Écosse) où j’ai tourné mon film (NDLR: Nobody has to know). Là, les coupures de courant, les gens s’en accommodent très bien. Ils s’arrangent et puis c’est tout. Quand on était petit et qu’un orage éclatait ? On coupait l’électricité et on allumait des bougies. Je ne comprends pas le stress permanent autour de ça. Enfin si, c’est le stress de ne pas pouvoir charger son iPhone, en fait…
Le fait d’être une personnalité publique, ça aide à faire entendre sa voix ?
Ça aide à faire entendre sa voix mais ça agace les gens. Les gens m’aiment bien comme comédien mais dès que je me mêle du nucléaire, les gens n’aiment pas. Je me fais beaucoup d’ennemis pour ça. D’un point de vue stratégique, c’est contre-productif, c’est pour ça que c’est très difficile d’arriver à convaincre des collègues chanteurs, musiciens, comédiens de s’impliquer dans les combats sociétaux car ils savent très bien qu’ils vont perdre une partie de leur public. Moi je m’en fous. Je suis trop vieux maintenant, je me fais des ennemis et tant pis. Mon ADN, ce n’est pas un ADN de comédien, c’est un ADN d’être humain, de citoyen. Donc j’exprime mon point de vue.