Existe-t-il d’autres manières d’envisager l'agriculture ? "Je pense que je suis sur la bonne voie"
Ces 2 et 3 septembre 2023, c’est la Foire agricole de Battice. À cette occasion, nous avons réalisé une série de quatre épisodes. Le dernier est consacré aux manières d’envisager différemment son exploitation agricole.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/613d2fad-d263-4084-bf8c-56e8434f6eaf.png)
- Publié le 01-09-2023 à 09h00
Aujourd’hui, Jean-Pierre Deru travaille en polycultures-élevage et ne fait que du bio. «On est complètement autonome, avance l’agriculteur hervien. On produit nous-mêmes la nourriture de nos vaches, en cultivant par exemple des pois protéagineux.»
Il y a ça, mais aussi plein d’autres choses. «J’associe également des cultures, comme le froment et la féverole. Ça a beaucoup d’avantages. Par exemple, la féverole libère de l’azote qui va profiter au froment. Je n’avais encore jamais eu un aussi bon taux de protéine dans mon froment avant cette année. C’est important, car ça permet d’en faire une céréale panifiable. » Il s’est aussi lancé dans la culture de moutarde, qui n’est plus à la mode en Belgique depuis déjà un bon moment.
L’économie biosourcée, un avenir pour l’agriculture ? "On veut relancer la filière de la laine"Et pourtant, il n’a pas toujours envisagé son exploitation de cette façon. Loin de là. «Je suis sorti complètement formaté de La Reid. On ne pensait que «performance». Ma formation au bio, c’était trois lignes à la fin des syllabus.»
Alors, Jean-Pierre Deru a fait comme on lui a appris. Il trayait environ 100 vaches (il en a 45 aujourd’hui) qui produisaient jusqu’à 10 000 litres par an. «Je me souviens quand j’arrivais dans ma salle de traite au matin.C’était gai de voir mes vaches avec de beaux gros pis.»
Et si l’avenir de l’agriculture passait par la préservation des insectes ?Mais en 2008, c’est la crise du lait. «Pour m’en sortir, j’aurais dû traire 250 ou 300 vaches.» Et ces vaches supplémentaires, il aurait fallu leur trouver de la place. «Ça voulait dire construire une nouvelle étable pour 1,5 million d’euros. Donc, j’aurais dû m’engager pour 20 ou 25 ans avec la banque, sans avoir de certitude que 10 ans plus tard, on n’allait pas me dire que, pour m’en sortir, je devrais traire 500 vaches.»
«J’ai préféré arrêter les frais»
Sentant qu’il allait droit dans le mur, il a préféré arrêter les frais. «On a complètement stoppé. Ça a été dur. On s’est posé pas mal de questions.»
Et après mûre réflexion, il en est arrivé à la décision de travailler en autonomie complète. Et un peu plus tard, il a décidé de passer au bio. Mais tout ça ne s’est pas fait sans mal. «Avant ça, je n’avais encore jamais eu de cultures.» Et puis, c’est un mode de travail que les autres acteurs du monde agricole ne connaissent pas. «Quand vous faites du froment-féverole, il faut trouver une structure qui va faire le tri.» Et c’est loin d’être la seule difficulté.
Quels sont les métiers dont les éleveurs ne peuvent pas se passer ? Rencontre avec un maréchal-ferrantUne manière de travailler plus pérenne
Bref, Jean-Pierre Deru n’a pas fait le choix de la facilité. Mais il arrive à s’en sortir. Et aussi, et peut-être même surtout, «je suis plus heureux maintenant qu’avant».
"Je n’irais pas jusqu’à dire à mes enfants qu’ils peuvent reprendre la ferme et que tout ira bien, mais je pense que je suis sur la bonne voie"
Et au final, verdict ? Les exploitations en polyculture-élevage, elles ont de l’avenir ? «Elles sont en tout cas plus pérennes que les fermes spécialisées. Je n’irais pas jusqu’à dire à mes enfants qu’ils peuvent reprendre la ferme et que tout ira bien, mais je pense que je suis sur la bonne voie.»
Foire agricole de Battice: pourrez-vous faire survivre votre ferme? Testez notre simulateur “Dans les bottes d’un agriculteur en Wallonie”Farm for good accompagne Jean-Pierre
L’ASBL Farm for good accompagne les agriculteurs qui souhaitent changer leur manière de travailler.

On l’a compris, travailler comme le fait Jean-Pierre Deru, c’est loin d’être une sinécure. Mais heureusement, depuis 2021, il peut compter sur Farm for good pour l’épauler. «Nous accompagnons les agriculteurs dans leur transition agroécologique, résume Gautier Aubry, agronome. On les encourage notamment à travailler les sols le moins possible et à associer les cultures.»
Et leur travail, c’est aussi de mettre en lien différents acteurs, comme Jean-Pierre et la structure qui va trier le froment et les féveroles. «On met aussi en lien les producteurs et les entreprises qui vont acheter leurs produits. Par exemple, leur moutarde est vendue à Bister.» Pêle-mêle, l’ASBL, qui est aussi une coopérative, travaille également avec Dandoy et les Tartes de Françoise. «On leur propose le froment panifiable qu’ils ont du mal à trouver.» Bref, «on veut recréer ces liens qui ont disparu au fil du temps».
Aujourd’hui, une quarantaine de fermes wallonnes ont rejoint Farm for good. « Mais peut-être que dans un mois, on sera 50 et qu’à la fin de l’hiver, on sera 70.»
Le circuit court, une illusion ?

Ça fait déjà quelques années que Jean-Pierre Deru est passé au bio. Et pourtant, il ne croit pas vraiment au circuit court. «Je ne suis pas contre le principe. D’ailleurs, on l’a aussi fait. Mais on n’arrivera pas à attirer les clients en passant par cette filière-là car les différences de prix avec la grande distribution sont trop importantes. Et les gens ne veulent pas dépenser de trop pour leur alimentation.»
Et même si «on n’arrivera jamais à faire du bio au prix du conventionnel», il est possible de faire baisser les prix pour les consommateurs en négociant des grosses quantités avec les entreprises. Et ça fait partie du travail de Farm for good.
Pour vraiment tout dire
135 hectares de terres
Au total, Jean-Pierre Deru travaille sur 135 hectares de terres, dont 70 de cultures. «J’ai des parcelles à Battice, à Berneau, à Henri-Chapelle et à Bilstain.»
Mais pour autant, il n’a pas d’énormes terres. «Je pense que la plus grande fait cinq hectares.»
Une belle biodiversité
Jean-Pierre Deru peut se targuer d’avoir une belle biodiversité au sein de ses cultures. «Je ne peux pas dire que je n’ai pas de dégâts d’insectes, mais ils sont très limités. J’ai un bel équilibre à ce niveau-là, notamment grâce à la présence de haies.» Pour vous donner une idée, Jean-Pierre a 14 kilomètres de haies sur l’ensemble de son exploitation.