Pour Pierre-Yves Jeholet, la valeur travail doit reprendre une place centrale : « Le chômage, ce n’est pas une rente à vie »
« Les rencontres du samedi (1/3) » : ministre-président MR de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Hervien Pierre-Yves Jeholet livre ses clés pour répondre aux préoccupations des citoyens. Travail, chômage, pouvoir d'achat, climat... Il se lâche, sans détour. "Le chômage, ce n’est pas une rente à vie. C’est une aide temporaire, dans un moment difficile qu’on peut traverser", affirme-t-il notamment. Premier volet de notre interview.
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Publié le 01-04-2023 à 07h30 - Mis à jour le 01-04-2023 à 00h02
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Pierre-Yves Jeholet (MR), parmi les préoccupations des citoyens, il y a la hausse du coût des énergies. Les témoignages de familles qui se privent de chauffage ou de nourriture pour payer leurs factures sont nombreux, est-ce normal, en Belgique, en 2023?
Mes fonctions m’amènent à quitter le pays pour d’autres continents ou d’autres pays européens et je constate que la situation de souffrance est la même, sans commune mesure parfois avec ce qu’on vit en Belgique. Ceci étant, il y a des situations très difficiles pour certains ménages parce que nous subissons et nous avons subi plusieurs crises. D’abord, il y a la crise sanitaire qui a impacté les citoyens. Il y a eu de la souffrance financière et matérielle mais aussi morale et psychologique. Après cette crise, on a subi les inondations. Elles ont conduit à des situations catastrophiques pour certains ménages, parfois déjà plus précarisés. La troisième, c’est la guerre en Ukraine, aux portes de l’Europe, qui a un impact sur le prix de l’énergie, donc sur les factures des ménages, des entreprises, des commerçants, des artisans.
Et là, à chaque niveau de pouvoir, nous avons pris des mesures. Le fédéral a par exemple réduit la TVA sur le gaz et l’électricité; en Fédération Wallonie-Bruxelles, nous avons aidé les écoles, la culture, les clubs sportifs à prendre en charge une partie de l’explosion du montant des factures. S’ouvre alors le débat sur le volet énergétique. On a été trop dépendant par rapport à notre approvisionnement. C’est pour ça que tout le débat sur le nucléaire est important. Je suis évidemment favorable au développement des énergies renouvelables et si on peut tendre un maximum vers ces énergies demain, c’est parfait, mais on sait qu’on n’y est pas encore.
Parce qu’on a perdu trop de temps?
Je pense que la guerre en Ukraine a fait comprendre à certains que le nucléaire était encore indispensable par rapport à l’approvisionnement et pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de black-out. Ce qui serait catastrophique. Et, sans nucléaire, c’est clair que dans les mois, les années à venir, on aura des factures énergétiques plus élevées. Le débat sur le nucléaire est donc utile. Au sein du Mouvement réformateur, nous avons été les premiers à insister sur l’importance du maintien du nucléaire et on constate, aujourd’hui, que toutes les formations politiques y adhèrent.
Des primes ont été accordées aux citoyens, oui, mais peut-on les maintenir sur le long terme?
C’est toujours une question de choix. Heureusement, on voit que le prix de l’énergie a fortement diminué mais on sait qu’il faudra toujours payer pour l’énergie. Croire qu’elle sera moins chère demain, ça ne correspond pas à la réalité. Il faut donc faire en sorte qu’elle coûte le moins possible. Je rappelle que l’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas. On l’a vu pendant la crise sanitaire. Les ménages ont pu faire des efforts, les entreprises, le secteur associatif, les écoles…
Ça a toujours été ma ligne de conduite, et je suis très sensible à la transition climatique, je suis pour une écologie incitative et pas punitive. Trop souvent, les écologistes ont cette vision dogmatique. Ils culpabilisent de manger de la viande, d’avoir une voiture… Quand je suis devenu bourgmestre de Herve, une des premières mesures que j’ai prises en 2012, c’est d’avoir une attention particulière à la consommation énergétique. En quatre ans et demi, on a diminué, dans les bâtiments communaux, notre consommation de 35 %. C’est une des mesures dont je suis le plus fier. Il y a trop de beaux slogans, de belles paroles, il faut des actes. Il faut qu’on responsabilise les citoyens, qu’on agisse en acteurs de la transition climatique et environnementale.

Le pouvoir d’achat est aussi un débat qui crispe. Vous comprenez la colère des citoyens face aux prix qui explosent dans les grandes surfaces?
Ce que je souhaite, c’est diminuer la facture du caddie, pas diminuer le caddie. Je veux donc rendre du pouvoir d’achat aux gens. Pendant la crise Covid, on a eu un retour à la consommation locale, artisanale. On doit continuer à soutenir nos producteurs locaux. L’autre message à faire passer, c’est sur l’e-commerce. Évidemment qu’il faut vivre avec son temps mais il faut aussi responsabiliser les citoyens. Je l’ai fait avec mes enfants. Je ne leur ai pas interdit mais j’ai suscité le débat en disant «Oui, il y a l’e-commerce mais il y a aussi des tas de commerçants qui existent près de chez nous». Consommer local, ça a aussi des répercussions sur l’emploi et sur l’environnement.
Après, va-t-on pouvoir diminuer le prix de certains produits? On dit qu’on va diminuer la TVA sur les fruits et légumes, je n’y suis pas favorable. Certains veulent taxer davantage la viande, le poisson ou les produits laitiers, je suis évidemment opposé à ça. Évidemment qu’il faut agir sur les prix mais on sait qu’on n’en a pas toujours la maîtrise.
Mais c’est faisable?
C’est difficilement faisable puisque, le plus souvent, ce n’est pas au niveau belge que ça se négocie mais au niveau européen. Ce qu’il faut faire, puisqu’on est dans le peloton de tête en termes de taxation sur le revenu du travail, c’est rendre du pouvoir d’achat. Comment? Par la réforme fiscale et par la réforme du marché de l’emploi.
C’est-à-dire?
Par rapport à la réforme fiscale, il faut diminuer les impôts et la fiscalité qui pèsent sur le travail, et pour tous les travailleurs, pas que les bas revenus. Oui, il faut créer l’écart entre les personnes qui travaillent et les allocataires en tous genres. Je suis pour une réforme fiscale qui récompense le travail. On a ce problème aujourd’hui que l’écart entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas est trop faible.
Et pour payer cette réforme fiscale, il faut réformer le marché du travail. Aujourd’hui, avec le vieillissement de la population, on doit avoir plus de personnes qui travaillent. On a un taux d’emploi beaucoup trop faible. Il faut arriver à un taux de 80 % dans le pays. C’est indispensable. On a des poches de chômage trop élevées. Il y a 140 métiers en pénurie en Wallonie et à Bruxelles, avec le paradoxe que le taux de chômage y est trop important. Il faut former et qualifier les personnes au chômage pour les remettre au travail. Si elles ne le font pas, outre la dégressivité des allocations de chômage, c’est normal que la question de la limitation de ces allocations dans le temps se pose. C’est un défi en Wallonie mais il ne faut pas que ce soient toujours les mêmes qui contribuent à l’effort pour l’ensemble de la population.
Pour vous aussi, comme pour votre président de parti Georges-Louis Bouchez, à la pension, c’est «inacceptable» qu’un chômeur gagne plus qu’un travailleur qui a cotisé toute sa carrière?
Évidemment. Il y a des personnes au chômage qui ne l’ont pas choisi, oui, mais le chômage, ce n’est pas une rente à vie. C’est une aide temporaire, dans un moment difficile qu’on peut traverser. Vous travaillez, vous n’avez pas droit à un logement social, à telle prime mazout mais ceux qui ne travaillent pas ont la possibilité d’avoir tous ces avantages, ça ne va pas. Les gens ne comprennent plus cela. On ne veut condamner personne mais, à un moment, il y a un minimum d’efforts à faire vis-à-vis de la collectivité quand la collectivité, elle, fait tant d’efforts. Il y a urgence à remettre la valeur travail au cœur du débat.

Parlons climat. Le dernier rapport du Giec, ce groupe d’experts des Nations unies, est plus qu’alarmiste. Avec un réchauffement climatique qui s’accélère, des phénomènes météorologiques qui vont bousculer le monde, des émissions de gaz à effet de serre qu’il faut réduire, comment agir pour éviter que la planète fonce droit dans le mur?
L’environnement dans lequel on vit, les enjeux climatiques sont essentiels. Je pense qu’il y a une prise de conscience du monde politique, du monde des entreprises et des citoyens car c’est un problème qu’on va régler ensemble. Je l’ai dit, je n’aime pas les slogans, les «y’a qu’à…», l’écologie punitive. Il faut conscientiser les gens à faire des efforts et être des acteurs responsables. On l’a aussi vu dans nos entreprises qui ont déjà énormément investi dans le développement durable. Mais on doit aller plus loin et les politiques ont une responsabilité aussi. À chaque niveau de pouvoir, il faut agir. En Fédération Wallonie-Bruxelles par exemple, à mon initiative, on a voté un décret et un plan d’action de transition climatique. Il y a une coordination de tous les secteurs de la Fédération pour voir ce qu’on peut faire, et ce qu’on devra faire demain, par rapport aux bâtiments, aux marchés publics, à la consommation énergétique, à la sensibilisation.
Dans cet enjeu, il faut susciter une politique de l’envie, pas de la culpabilisation.
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