« Ce n’est pas à l’enseignant de subir, d’avoir au mal au ventre avant une réunion de parents », affirme Pierre-Yves Jeholet
« Les rencontres du samedi (3/3) » : dernier volet de notre interview de Pierre-Yves Jeholet sur les défis du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment ceux qui gravitent autour du secteur de l’enseignement. "Enseigner aujourd’hui, ce n’est pas comme il y a 20 ans", constate-t-il.
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Publié le 01-04-2023 à 18h00 - Mis à jour le 01-04-2023 à 00h06
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Pierre-Yves Jeholet, en tant que ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, vous avez eu chaud ces derniers jours au sein de la majorité MR-PS-Écolo, autour de la thématique des cursus de médecine. Un débat qui a abouti la semaine dernière en habilitant les universités de Namur et de Mons à proposer un master médical. Que retenez-vous de cette crise? Que vos partenaires de majorité peuvent rapidement passer d’alliés à ennemis?
Il faut toujours garder son sang-froid et rester zen et serein dans de telles circonstances. Qu’on le veuille ou non, ce sont les aléas de la politique. Ce dossier était devenu passionnel. Ce que je retiens, à nouveau, c’est que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a pu travailler au-delà des différences des uns et des autres. On a pu élargir le débat pour trouver des solutions par rapport à la pénurie de médecins généralistes. On a pu revoir le système des habilitations qu’on donne aux écoles et aux universités en ayant une bonne maîtrise de l’argent public et en responsabilisant les établissements. Donc, la leçon à retenir, c’est qu’il y a toujours un compromis, et ce n’est pas une compromission. C’est ce qui a permis de ne pas faire tomber un gouvernement pour un sujet certes important mais qui allait toucher quelques étudiants. Les citoyens n’auraient pas compris, par rapport aux enjeux de la législature, qu’on s’enlise dans une crise pour ça.
Nous sommes vraiment au sein d’un gouvernement qui sait prendre ses responsabilités et surtout qui avance dans ses compétences. Et notre bilan est déjà bon. On a un Pacte d’excellence, on a pris nos responsabilités dans les rythmes scolaires, on a accéléré dans l’école numérique, on va investir 1,5 milliard € dans les bâtiments scolaires, on a revu l’enseignement supérieur avec une revalorisation de la recherche à hauteur de 80 millions € par an, on a lancé un vaste plan de création de 5200 places d’accueil de la petite enfance, dont 210 pour l’arrondissement de Verviers à l’horizon fin 2026. Et je peux multiplier les autres exemples.
Vous vous êtes donc réconcilié avec Paul Magnette, le président du PS?
Les citoyens nous demandent de continuer à travailler, pas de se mettre en campagne électorale. La campagne permanente n’a pas de sens. Je ne me suis jamais fâché personnellement avec lui mais l’idée d’une majorité alternative qu’il a mise sur la table, c’est un chantage qu’on ne peut pas accepter. Les différends au sein du gouvernement, on les a toujours gérés, qu’on continue et qu’on me foute la paix, sans couteau sous la gorge, sans menace.
L’enseignement est une compétence communautaire avec de gros enjeux. L’évaluation des profs, qui crispe, elle est nécessaire, avec des sanctions à la clé?
C’est un dossier qu’on sait sensible mais qui a été concerté depuis le début. Je rappelle qu’il y a eu des discussions entre la ministre et les syndicats avant que le dossier ne passe au gouvernement. Ensuite, il faut dire la vérité aux citoyens et aux enseignants. Le cœur de ce projet, c’est l’accompagnement et l’encadrement des enseignants, la formation et l’amélioration continue. Dans le cadre du Pacte d’excellence, cette évaluation était incluse parce qu’elle contribue à l’amélioration de notre enseignement, pour les élèves. Il y a une évolution sociétale et, enseigner aujourd’hui, ce n’est pas comme il y a 20 ans. Il y a des choses aujourd’hui qu’on ne connaissait pas avant : la déresponsabilisation des parents, le manque de respect… Et ce n’est pas à l’enseignant de subir, d’avoir mal au ventre avant une réunion de parents. Le respect doit être total et rendre ce respect et cette confiance aux enseignants, c’est notre devoir. Constater qu’un enseignant sur trois quitte l’enseignement endéans ses cinq premières années, c’est déduire qu’il y a un problème. Donc l’accompagnement est important. Et ça doit être pris par les enseignants comme une opportunité, pas comme une menace. Quand on dit que ce n’est pas normal d’être évalué par ses pairs, c’est faux. Il y aura une responsabilisation de la direction, oui, et des enseignants expérimentés accompagneront les jeunes profs, c’est du tutorat. Après, c’est le pouvoir organisateur, pas le directeur ou le chef d’école, qui sanctionnera. Au final, c’est aussi normal que les enseignants soient évalués dans l’exercice de leur travail.

Vous comprenez qu’ils se sentent ciblés?
Ils ne le sont pas. Dans tous les secteurs privés et dans la fonction publique, il y a des évaluations. L’évaluation dans la fonction publique est plus dure que ce qui est prévu ici puisqu’il y a un parcours long avant une éventuelle sanction. L’enseignant qui ne veut pas faire d’efforts, qui s’obstine à ne pas s’améliorer, qui dysfonctionne, ça ne va pas. Qu’il y ait une sanction au bout d’un processus qui peut durer jusqu’à 2 ans, ça me semble légitime. On ne serait pas crédible sinon. Même en termes d’image, de fonctionnement dans une école, à un moment donné, si une situation pose souci, si elle est un frein pour le développement qualitatif de l’école, il faut agir. Le but n’est pas de licencier, certainement pas, on est en pénurie, l’objectif du Pacte et de ce qu’il prévoit, c’est améliorer notre enseignement, réduire les inégalités, diminuer les redoublements, diminuer le décrochage scolaire, favoriser la remédiation, et accompagner les enfants de façon plus personnelle. Remettons des valeurs au cœur de l’école. Des valeurs de respect, de mérite, de travail, d’effort.
Les nouveaux rythmes scolaires entrés en vigueur, ils sont la meilleure cadence pour favoriser les apprentissages?
Oui, je le crois. Avoir 5 semaines de cours puis des vacances puis 11 semaines de cours, on a vu combien c’était difficile. Je ne suis pas spécialiste de la santé ou pédagogue mais tout le monde s’est accordé pour dire qu’il fallait une réforme des rythmes scolaires. On a eu le courage de la faire car elle concerne le bien-être de l’enfant. Alors, oui, elle cause des dégâts collatéraux car c’est une réforme sociétale mais on va trouver des solutions. Ça pose aussi souci si on a un enfant dans des communautés différentes mais je ne désespère pas qu’en Communauté germanophone, la réforme passe à la prochaine législature, et que ce soit le cas en Flandre aussi. Je m’engage à essayer de convaincre mes amis flamands. On critique beaucoup cette réforme mais je répéterai sans cesse qu’elle est bénéfique à l’enfant. Et si demain, les trois communautés harmonisent les rythmes scolaires, ce sera bien plus facile. Dans ce dossier, les francophones étaient prêts à avancer en premier lieu et j’en suis fier.

Votre fonction à la Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a 3 ans, vous a placé au cœur de la crise Covid. On se souvient des comités de concertation et des annonces de mesures toujours plus inédites qui ont modifié notre quotidien. Qu’avez-vous retenu de cette crise sanitaire et de son traitement par les politiques?
C’était une période très difficile pour les citoyens, d’abord. Nous, politiques, on n’a pas à se plaindre. Quand je vois comme les secteurs de la culture, du sport, de l’horeca, de l’entreprise, aussi les artisans, les indépendants ont été touchés et ont souffert, on se dit qu’on était dans une privation de liberté jamais atteinte auparavant. Cette souffrance, cette privation de liberté, c’est ce qui me reste.
Ensuite, pour les politiques, ça a été compliqué aussi. Quand on décide de fermer les écoles, on mesure les conséquences que ça va avoir pour les familles et pour les apprentissages. Pire, les rouvrir quand il y a encore des doutes sur la dangerosité du virus… J’ai reçu des dizaines et des dizaines de mails de menaces mais j’ai fait preuve de compréhension car on était dans l’inconnu et je suis moi-même père de famille. Il est vrai que les politiques ont été critiqués, on doit l’assumer, mais je sais aussi que beaucoup ont reconnu le courage qu’on a eu de prendre certaines décisions.
C’est facile aujourd’hui de réécrire l’histoire de la crise sanitaire avec des «On aurait dû faire ceci, ne pas faire cela» car on a avancé, on a appris et, aujourd’hui, les choses ont changé. Le Covid est une grippe. Il y a trois ans, lors des retours des vacances de ski, ce qu’on a retenu, c’est «On est dans une crise sanitaire jamais vue et elle tue». On devait prendre des mesures et assumer de les prendre.
Ce que je retiens aussi, c’est qu’on a pris des décisions lourdes de sens, dans le dialogue, entre francophones, flamands et germanophones. On s’est parlé, on s’est accordé. Il y a eu un dialogue comme jamais il n’y en avait eu. C’est un message que je fais passer par rapport aux nationalistes, à ceux qui veulent la fin du pays. L’avenir de notre pays, c’est ensemble qu’il faut l’envisager.
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