Il y a bientôt 3 ans, le Covid bouleversait nos vies et aujourd’hui? "Il est devenu une maladie comme les autres", dit Philippe Devos
Le Hervien Philippe Devos est chef de service adjoint des soins intensifs du MontLégia (groupe CHC), à Liège. Il a été un des lanceurs d’alerte sur le coronavirus. Trois ans après, il évoque le chemin parcouru. Interview dans le cadre de nos " Rencontres du samedi ".
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/1e64cead-842f-4370-911f-b234f3b45de1.png)
Publié le 28-01-2023 à 08h00 - Mis à jour le 28-01-2023 à 15h59
:focal(545x372:555x362)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WSYGH2TBVVHGXPCWMWOKGQS27E.jpg)
Docteur Philippe Devos, en ce début d’année 2023, trois ans après l’apparition du Covid-19, où en est la situation ? Tous les indicateurs sont en tout cas en baisse…
Comme on s’y attendait, le Covid est devenu une maladie comme les autres. C’est-à-dire qu’on doit être vigilant aux montées de Covid, tout comme on l’est face aux montées de grippe. On sait que parfois, une année, il peut y avoir une grippe plus sérieuse, qui nous mette en difficulté. La dernière, c’était H1N1 d’Onkelinx (NDLR: en 2009, Laurette Onkelinx était alors ministre de la Santé) qui finalement n’a pas amené au niveau de problème attendu.
Comme on a presque tous, voire tous, une petite immunité, le Covid est vraiment devenu une maladie comme les autres. Ça ne veut pas dire qu’elle est totalement anodine mais ça ne veut pas dire que c’est un tsunami. Ça veut dire qu’il faut en tenir compte comme on tient compte du reste. Si on est une personne fragile, évidemment qu’il faut être prudent, mais comme ces personnes le sont avec les autres maladies.
Aujourd’hui, le coronavirus met-il encore la pression sur les unités hospitalières ?
Non, c’est le manque d’infirmiers qui met la pression sur les unités hospitalières. La maladie la plus difficile à gérer pour le moment, c’est la désertion du monde des soins. C’est un vrai mal, il est mondial. C’est ce qui m’inquiète pour la capacité qu’auront les hôpitaux à soigner les gens dans 5 à 10 ans.
Donc ce n’est pas le coronavirus.
Non, ce n’est plus le coronavirus. Ça l’a été au moment du déclenchement mais je pense sincèrement que sans mesures fortes, on aurait été dans des situations dramatiques où la surmortalité n’aurait pas été due au coronavirus mais plutôt à tout ce qu’on n’aurait pas su admettre à l’hôpital. En plein pic Covid, il n’aurait pas fallu faire un accident de voiture si on avait laissé les choses aller, il fallait agir. Maintenant, si on l’avait fait peut-être un peu plus tôt, si on avait mieux anticipé, on aurait peut-être eu une meilleure capacité de réaction mais avec des peut-être… Peut-être qu’on n’aurait jamais eu à confiner car finalement, le masque et le reste, ça n’a pas profondément changé nos vies mais se retrouver confiné plusieurs semaines…
Depuis l’apparition de la maladie et quand on regarde comme elle se présente aujourd’hui, peut-on dire que la vaccination a fait le job pour limiter les formes graves du Covid ?
Oui. Une vaccination, son premier job, c’est d’éviter que les gens se retrouvent à l’hôpital et ça, on a réussi. Après, arrêter la circulation du virus, ça, ce n’est pas carton plein. Pour les gens qui ont été vaccinés, ça a fonctionné et on ne peut que s’en réjouir.
Dans ce pays, le souci, c’est qu’il n’y a pas assez de prévention. On fait plein de thérapeutique mais la prévention n’est pas assez installée. Si ça faisait 20 ans que la prévention était installée comme il se doit, il n’y aurait même pas eu de débat sur la vaccination. L’OCDE (NDLR: l’Organisation de coopération et de développement économiques) dit qu’on est le 3e meilleur système de santé au monde – en fonction des années, on est entre le top 3 et le top 5 – mais on perd tous nos points dans la prévention. On a par exemple beaucoup plus de cancers que dans les autres pays mais quand quelqu’un l’a, il a beaucoup plus de chance de guérir que dans les autres pays. Le mieux, ce serait quand même de ne pas l’avoir, non ?
On a l’impression que parler du vaccin contre la grippe ne pose pas de souci mais parler de celui contre le Covid…
Oui, c’est vrai. On peut dire qu’on a moins de recul mais, en même temps, comme c’est une nouvelle souche chaque année contre la grippe, on n’a le recul que d’un an, chaque année. C’est la même technologie de fabrication mais ce n’est pas le même vaccin. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en termes de bénéfice, on est largement au-dessus du risque. Même avec les vaccins qui sont un petit peu moins sûrs, qui ont un peu plus d’effets secondaires, on reste dans une balance entre le bénéfice et le risque qui fait qu’on n’a plus aucun doute sur le fait qu’il faut se faire vacciner.
Maintenant, vu le manque de moyens de l’État, il faut qu’il trouve comment marteler le message vers les populations à risque. Il faut trouver un moyen de cibler la communication et là, sensibiliser les généralistes et les inclure dans le système, c’est une bonne solution car au début on les a complètement bypassés. À un moment, les pharmaciens pouvaient vacciner mais pas les généralistes, c’était le monde à l’envers. Il y a une tentative de rétropédalage des ministres, tant mieux, car je suis convaincu que les médecins généralistes ont un rôle à jouer dans la prévention.
Au sein du personnel soignant, certains enseignements ont-ils été tirés de cette crise ?
On a appris à gérer les pénuries et c’est tant mieux parce que des pénuries en médicaments, il y en a encore. On a aussi appris à compter sur l’industrie locale. On a appris que quand il n’y a plus de solution, finalement, il y a des solutions.
Par contre, on ne s’est pas encore remis des difficultés et des pressions psychologiques. On a appris qu’on n’était pas assez préparés. Si on avait à nouveau à affronter une vague de la même ampleur qu’en novembre 2020, ça ne se passerait pas aussi bien parce que les équipes soignantes n’ont pas repris leur niveau de résilience d’avant la crise.
La charge mentale et physique que le virus a fait peser sur le personnel ne s’est donc pas envolée ?
Il y a des cicatrices qui ne sont pas encore fermées, non. Je dirais que la plaie ne continue pas à s’ouvrir mais elle n’est pas encore fermée.
L’autre souci, c’est que ceux qui ont eu le plus de difficulté, pour leur santé, ont quitté le navire. Comme on n’arrive pas à les remplacer puisqu’on manque de personnel, ce sont les autres qui doivent travailler à 120% alors que déjà à 100%, c’était difficile. Dans certaines unités, soit on continuait à maintenir tous les lits disponibles et on maintenait la pression à 120%, ce qui est intenable sur le long terme, soit on fermait des lits. Donc, aujourd’hui, dans tous les hôpitaux de Belgique, au total, il y a plus de 2000 lits fermés. Tous les hôpitaux ont fait le même choix car si on demande encore plus au personnel, ils vont tous casser les uns après les autres et, au final, on n’aura plus personne.
Jusqu’à des menaces de mort: « J’ai tout eu ! »
Dès le début de la crise, Philippe Devos a été un des principaux visages du monde médical à parler du Covid dans les médias.
Durant la crise sanitaire, on vous voyait partout, tout le temps. Cette surmédiatisation vous a-t-elle pesé ?
Oui. Entre mars et novembre 2020, c’était 1 à 2 heures, tous les jours, y compris le dimanche. Mais c’était un choix. Quand je voulais être tranquille, je coupais mon téléphone. J’étais président d’un syndicat et répondre aux médias faisait partie de mon travail.
Est-ce uniquement parce que ça faisait partie du job ou est-ce aussi de par votre formation, de par ce que vous aviez lu et écrit comme lanceur d’alerte, que vous aviez envie de partager vos constatations auprès du grand public ?
D’abord, comme représentant d’un syndicat, je voulais défendre la qualité des soins en Belgique. C’était important de dire que les conditions étaient en train de se dégrader. Il y a certains fous sur les réseaux sociaux qui disaient qu’il ne se passait rien dans les hôpitaux. On ne peut pas lire ça sans avoir un sentiment de tristesse, de déception, de colère. J’avais la possibilité de dire aux médias de venir voir ce qui se passait dans les hôpitaux. Je ne pouvais pas regarder les soignants pleurer, souffrir, et moi ne rien dire quand j’avais un journaliste devant moi.
Après quelque temps, j’ai aussi eu toute une série de gens dans la rue, de patients, de soignants, qui venaient me trouver pour dire: "On aime quand vous parlez, c’est du franc-parler, ce n’est pas du charabia médical et c’est équilibré comme message, il y a de l’espoir". Certains me disaient qu’on n’était pas nombreux à avoir cette façon de communiquer donc je me suis dit que j’avais un rôle à jouer.
Cette médiatisation, ça a joué dans le fait de quitter la présidence de l’Absym, en septembre 2021 ?
Ça a tout à voir. Malheureusement, tout ce temps consacré à mon métier a entraîné des bouleversements dans ma vie. J’ai dû faire face à une séparation et une garde alternée. À partir de là, entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle, il ne m’a pas fallu 10 minutes pour choisir de démissionner. Ce n’est pas parce que j’étais fâché avec l’Absym ou autre. Je devais retrouver du temps pour redémarrer quelque chose dans une vie de famille sereine.
Pour votre entourage, cette médiatisation à outrance, cette disponibilité sans faille au cœur de la crise sanitaire, c’était difficile aussi ?
J’ai deux enfants de 11 et 12 ans, j’ai essayé au maximum de les préserver. Et j’ai essayé de leur montrer le côté amusant. Par exemple, mon fils, je l’ai emmené sur les plateaux télé, voir l’envers du décor.
Par contre, les remarques désagréables, j’en ai pris, pas mes enfants, mais mon ex-épouse en a pris et ma nouvelle compagne en prend toujours.
Sur les réseaux sociaux, pas évident non plus de lire certains commentaires…
Les 1 000 contents, ils ne s’expriment pas et les 50 pas contents, eux, ils y vont. J’ai tout eu: lettres de menaces, menaces anonymes téléphoniques de mort… Heureusement, à l’époque, j’avais 45 ans et un peu de bouteille mais ça m’a inquiété sur la manière de gérer les réseaux sociaux vis-à-vis de mes enfants qui vont être adolescents par exemple. Je me suis dit que si même moi, à 45 ans, j’ai été affecté par ça, je n’ose imaginer ce que ça peut être pour un adolescent. J’avais entendu que les réseaux sociaux pouvaient être un fléau, qu’il y avait du cyberharcèlement mais quand on le vit de l’intérieur, on se dit que c’est très violent.
Aujourd’hui, ça va mieux, il y a de moins en moins de gens qui me reconnaissent. On me dit: "Tiens, on n’était pas ensemble en primaire ?" On m’a aussi demandé si je n’étais pas passé dans l’émission Familles nombreuses (rires). C’est amusant, j’en joue un peu et je mets un peu de suspense.