Serge Marcy, bâtonnier au barreau de Verviers: "Je crois fermement au rôle social de l’avocat"
Serge Marcy est le bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Verviers. Ce qui le guide ? La communication ; le rôle social de l’avocat ; et le respect de la déontologie dans le métier. Interview dans le cadre de nos "Rencontres du samedi".
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Publié le 04-03-2023 à 08h02
Me Serge Marcy, vous êtes le bâtonnier du barreau de Verviers depuis septembre 2022. Quelle est, en 2023, votre vision de la justice ?
Je dirais que la justice est indispensable, même absolument indispensable. L’incroyable évolution de la société vers un individualisme grandissant est génératrice d’un besoin de justice. Il est assez grave que les gens règlent leurs comptes à coups de poing ou de couteau au coin d’une rue. La seule manière d’arrêter ça, c’est la justice. Par les décisions de justice, par le mécanisme de la justice, grâce au rôle majeur des avocats, on peut résoudre les problèmes de notre société.
Comment envisagez-vous votre fonction de bâtonnier ?
D’abord, dans la communication. C’est pour ça que je suis pour les échanges, les contacts avec la presse, les médias. Ils ont eux aussi leur rôle à jouer quand on veut faire passer un message. Nous vivons au siècle de la communication et si on ne communique pas, on n’existe pas. Vu l’importance que je donne à la justice pour faire face aux problèmes de notre société, il est crucial pour moi de faire cette démarche, de communiquer.
Je pense que jusqu’à présent, au barreau de Verviers, on ne communiquait pas assez. Sur le rôle de l’avocat, par exemple. Ce n’est pas celui qu’on voit à la télévision, ce n’est pas la personne qui porte une robe, ce n’est pas qu’un faiseur de procès. Mon idée, quand j’ai commencé le barreau, c’était de me dire que si mon rôle d’avocat, c’était "simplement" de participer à la résolution d’un conflit, c’était un peu court. Le rôle de l’avocat, par sa position, c’est d’aider – au sens exact du terme – la société à se pacifier, pour justement éviter qu’on se poignarde au coin d’une rue.
Plaider dans un divorce, ce n’est pas juste transmettre un jugement à la justice de paix ; c’est sortir de l’échange avec une sorte de pacification, avec le sentiment que le problème a été vu, écouté, compris, et sans sentiment d’amertume. Vous savez, comme avocat, en agissant de la sorte, je pense avoir fait plus de réconciliations que de séparations. Souvent le problème, ce n’est pas qu’on n’aime plus l’autre. Ça peut être un problème d’argent, de communication, de travail… Je crois donc fermement au rôle social de l’avocat.
Quelle est la richesse du barreau verviétois ?
C’est un barreau très équilibré, avec des avocats qui ont des spécialisations diverses et pointues. C’est un barreau qui peut donc recouvrir l’ensemble des besoins de la clientèle. Il compte près de 150 avocats – contre 1 100 à Liège ; 6 500 à Bruxelles ; une quarantaine à Eupen –, ce qui est un très bon nombre.
Ce qui fait sa richesse, c’est aussi que les contacts entre les avocats sont très bons. Il y a du respect, la connaissance des uns et des autres. Quand vous négociez quelque chose entre deux parties, bien sûr que la règle de droit peut dicter la solution, mais c’est aussi le cas, avec une plus grande qualité encore, quand vous avez du rapport humain, de la discussion entre les parties.
Aujourd’hui, il y a de nouveaux avocats qui n’ont pas de cabinet, qui louent des bureaux à l’heure, qui font tout par téléphone, par mail. Ce n’est pas du tout une manière de fonctionner que j’apprécie. Comment voulez-vous consulter dans ces conditions ? Il y a un contact indispensable qui doit se faire entre un avocat et son client, pour créer du lien, pour tisser une relation de confiance. Et je pense que mon barreau, que j’aime vraiment beaucoup d’ailleurs, est constitué de gens qui ont ces qualités d’écoute. Le barreau de Verviers est doté d’une très belle ouverture d’esprit.
La déontologie dans le métier d’avocat est un de vos chevaux de bataille. Pourquoi et comment doit-elle s’exprimer ?
La déontologie dans le métier est absolument indispensable. Notre métier, ce n’est pas être un mécanicien du droit. On ne reçoit pas un message comme quoi un ménage est en panne et qu’il faut juste remettre un peu d’antigel pour le relancer. Notre métier, c’est recueillir des confidences, des secrets. Et ce secret professionnel est primordial. Si j’apprenais une violation de ce secret, je serais impitoyable. Et on m’a déjà entendu gueuler (sic) sur le sujet. Les courriers que les avocats s’échangent sont eux aussi strictement confidentiels. Je ne voudrais pas que des passages soient utilisés. Ce secret professionnel, c’est le garant de notre métier, c’est l’âme de la profession.
Et confidentialité et confiance vont de pair.
Évidemment. Imaginez un peu si un client pense que son avocat va aller raconter tout ce qu’il lui confie. La confidentialité est vitale et elle représente un gros morceau du pan déontologique du métier. Ne pas se battre pour le respect de cette confidentialité, c’est se tirer soi-même une balle dans le pied.
En octobre dernier, on vous a vu monter au créneau avec plusieurs avocats verviétois pour dénoncer la condition des femmes en Iran. La question de la liberté individuelle est pour vous primordiale ?
Tout à fait, en respectant le fait que sa liberté individuelle ne peut pas altérer la liberté des autres. Pourquoi avons-nous manifesté il y a quelques mois ? Tout simplement parce qu’il est inacceptable aujourd’hui, même totalement inacceptable, que quelqu’un, un homme ou une femme, n’ait pas le droit de porter un chapeau si il ou elle en a envie. Comme d’autres barreaux l’ont fait, on s’est dit que ce serait marquant si nos consœurs se coupaient une mèche de cheveux et nous les avons toutes envoyées à l’ambassade d’Iran. On n’a pas encore reçu d’accusé de réception de notre courrier... Nous, les avocats, c’est aussi notre rôle que d’être des lanceurs d’alerte. Il ne faut jamais oublier que l’indifférence tue. Dans le même ordre d’idée, nous sommes aussi allés manifester à Bruxelles pour Monsieur Vandecasteele (NDLR: Olivier Vandecasteele, cet humanitaire belge détenu en Iran depuis un an). Nous avons manifesté, nous manifestons et nous continuerons à nous manifester.
État du palais de justice: "C’est assez hallucinant d’avoir une telle infrastructure à Verviers"
Palais de justice en piteux état et prison toujours inexistante: les infrastructures judiciaires verviétoises posent question.
Le palais de justice de Verviers fait malheureusement grise mine. Tristesse, de travailler dans cette infrastructure qui se laisse aller ?
Vous avez bien deviné. Ce qui est lamentable, c’est que la justice soit le parent pauvre de notre régime alors qu’elle a un rôle essentiel, fondamental. On annonce des budgets mais on ne voit pas grand-chose. Et Verviers n’est pas le seul palais dans le cas. Regardez Namur où on a dû fermer une partie des lieux ; Dinant n’est pas mieux ; et ne parlons même pas de Bruxelles qui est carrément du registre de la légende.
À Verviers, on sait les raisons qui ont fait bouger le palais. Le poids du béton plus le poids des archives, il fallait se douter que ça n’allait pas tenir. C’est un triste constat qu’on doit faire aujourd’hui malheureusement mais le barreau s’est battu et se bat encore. Nous avons par exemple créé la fondation "Janson" pour défendre le palais. Nous avons aussi alerté tous les politiques locaux et ils nous soutiennent. Le ministre de la Justice a déclaré que des budgets étaient débloqués mais on attend. Si on peut envisager des premiers travaux de restauration, pour ce qui est de la réhabilitation complète, je ne sais pas trop où on en est. On a vu des gens de la Régie des bâtiments et ils parlent de 2030… Si on fait le parallèle avec la prison, c’est la même chose. On n’a pas de nouvelles non plus. Le ministère de la Justice n’est peut-être pas moins considéré qu’un autre mais on a l’impression que c’est un second couteau quand même.
Ça vous agace ?
Profondément car pour réaliser toutes les choses dont on a envie, il faut des locaux, des outils. C’est assez hallucinant d’avoir une telle infrastructure à Verviers.
À Verviers, il est aussi impossible d’assurer la sécurité pour la tenue de certains procès, c’est une perte de visibilité pour la justice verviétoise que de devoir organiser des audiences ailleurs ?
Il faut relativiser les choses sur cette question. Quand les palais ont été construits ou rénovés, on n’a jamais intégré la possibilité d’avoir des procès qui allaient requérir un important niveau de sécurité. À une certaine époque, quand on imaginait les palais, on ne pensait pas à ces besoins de sécurité, ce sont des exigences nouvelles mais c’est un manque pour Verviers, oui, de ne pas pouvoir organiser de "grands" procès. Il y a une résonance locale avec les procès. Quand les faits se sont produits dans la région, quand les accusés sont du coin, ça a tout son sens que le procès se déroule dans notre région.
Verviers ne compte plus non plus de prison. Il est temps qu’elle en récupère une ?
Le développement de la criminalité est tel que le nombre de mandats d’arrêt ne diminue évidemment pas. Se rend-on compte de ce que ça représente d’amener les détenus de Lantin ? Quand un juge d’instruction doit interroger un détenu, il faut le faire venir jusqu’à Verviers, ça crée des problèmes supplémentaires, des frais en plus en véhicules pénitentiaires par exemple.
Récupérer une prison à Verviers, c’est aussi une question de respect pour les détenus ?
Oui, évidemment. Il y a la différence entre avoir une maison d’arrêt et une maison de peine, comme son nom l’indique, qui est le lieu où le condamné purge sa peine. Au départ, tous les détenus ne sont pas condamnés et, dans ce cas, ils sont présumés innocents. Se retrouver en détention provisoire, présumé innocent, à 50 ou 60 km de chez soi, ce n’est pas du tout évident. Avoir au moins une maison d’arrêt à Verviers, c’est super important, c’est même indispensable. Tout détenu, même s’il est condamné, homme ou femme, doit bénéficier d’un certain respect.
"Ces journées portes ouvertes visent à désacraliser le système"
Donner de la visibilité, rendre la justice accessible au public: une nécessité pour le bâtonnier.
Le samedi 11 mars prochain, c’est le retour des portes ouvertes au palais de justice, une bonne chose ?
Oui et c’est super important car c’est une des manières pour nous de montrer ce qu’est un palais de justice, une audience, de montrer comment on fonctionne. Cette journée, c’est une organisation du jeune barreau et je l’en remercie.
Quel programme pourra-t-on retrouver ?
Il y aura d’abord la possibilité d’avoir des entretiens personnalisés, des consultations, le tout gratuitement. Ensuite, il y aura des conférences et surtout deux "faux" procès, un civil et un pénal. Je présiderai d’ailleurs celui au civil. Dans ces procès, on part d’une hypothèse et on joue le jeu, avec un peu d’humour aussi.
Cette visibilité auprès du grand public, vous y tenez ?
Cette visibilité compte énormément. Peu de gens savent par exemple que les audiences au tribunal sont publiques, sauf s’il y a atteinte aux bonnes mœurs ou si ça a trait aux mineurs. Ces journées portes ouvertes visent aussi à désacraliser le système. Ça me rappelle une initiative prise juste après les inondations, quand j’étais vice-bâtonnier. J’ai désigné toute une série d’avocats pour qu’ils organisent, gratuitement, des consultations dans les communes sinistrées. Tout était anonyme, pour éviter toute récupération éventuelle. Lors de la première consultation, j’ai aussi directement dit aux sinistrés qui avaient perdu leur voiture d’aller déposer plainte pour perte ou vol de la plaque d’immatriculation. Il n’aurait pas fallu que des personnes mal intentionnées utilisent ces numéros de plaque pour commettre un braquage par exemple. Par ces actions, on voulait montrer que dans les moments difficiles, l’avocat rend aussi service, donne des conseils liés à son expertise professionnelle. L’avocat est d’abord là pour aider. Quand les gens comprennent ça, ça supprime cette peur d’aller vers les avocats.
Vous comprenez que la justice puisse effrayer ?
Oui car les gens connaissent la justice à travers la TV généralement. Dans les émissions, les films, les séries, on montre des trucs imaginaires, qui peuvent être anxiogènes car on parle souvent de faits très graves, de choses sanglantes mais la justice, ce n’est pas que la cour d’assises. À la TV, on nous montre ce qui fait recette, c’est loin de la réalité de terrain d’un avocat.
Plus d’infos sur les journées portes ouvertes dans les palais de justice sur www.avocats.be