Dominique Buchet: « On manque cruellement de familles d’accueil » à Verviers aussi!
Verviers n’échappe pas au grand manque de familles d’accueil sur son territoire. Une problématique abordée par la directrice du service, Dominique Buchet.
Publié le 14-01-2023 à 08h00
Dominique Buchet, vous êtes directrice du service familles d’accueil de Verviers situé rue de Bruxelles. Combien d’enfants sur le territoire que vous couvrez sont en attente d’une famille d’accueil ? Et plus globalement en Belgique ?
C’est difficile de chiffrer pour Verviers mais en tout cas, pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, on estime que 600 enfants à peu près sont en attente d’une famille d’accueil. Ici, à Verviers, notre service est agréé pour 108 prises en charge d’enfants. Je dirais qu’on a un tiers d’enfants de 0 à 6 ans, un tiers de 6 à 12 ans et un tiers de 12 à 18 ans. Mais on n’arrive pas aujourd’hui à répondre aux besoins de la division. Je peux recevoir des demandes de Liège, Charleroi, Mons, Bruxelles etc. Quand j’ai 37 demandes et que je ne parviens à répondre à Verviers qu’à deux d’entre elles, c’est quand même interpellant et touchant.
Des enfants de quel âge sont principalement en attente d’un nouveau foyer ?
Des enfants de tous les âges, mais on a énormément de demandes pour les bébés de zéro à un an, pas moins de 130 sur l’année 2022. On manque cruellement de familles d’accueil pour répondre à cette problématique qui s’est accentuée ces dernières années.
Comment l’expliquer ?
La société est de plus en plus complexe. Les familles sont en difficulté de manière importante. Le problème économique ne résout rien mais à côté de cela, il y a aussi le profil des familles en elles-mêmes, du système familial qui a un rôle d’éducation, de construction de l’identité des enfants. Les familles qui ont des difficultés au niveau du quotidien ont des difficultés pour répondre aux besoins des enfants. On ne place pas des enfants pour des raisons économiques évidemment, il y a toujours des raisons et des problématiques multiples et on constate que les parents des enfants pour lesquels on cherche des familles d’accueil sont des personnes isolées socialement, familialement, qui n’ont pas ou peu de réseau fiable sur lequel compter pour les aider dans leur rôle parental et qui ont vécu eux-mêmes une jeunesse ou une enfance difficile, sans modèle parfois d’un milieu familial équilibré, sain et serein.
On parle bien d’enfants dont la garde a été retirée aux parents par un juge ?
La porte d’entrée se fait toujours par le service d’aide à la jeunesse (SAJ). Par exemple, un hôpital constate des maltraitances, des fractures récentes ou anciennes, il informe le service qui est dirigé par un conseiller de l’aide à la jeunesse qui va évaluer la situation et proposer des mesures d’aides aux parents. Le principe dans la législation est d’obtenir l’accord des personnes qui ont l’autorité parentale dans ces mesures proposées. Cela peut être un accompagnement dans le milieu de vie, soulager la prise en charge quotidienne via la fréquentation d’une crèche, une aide à la gestion financière, un internat pour les enfants plus grands. Si les parents refusent la mesure d’éloignement et que le conseiller manifeste toujours des inquiétudes, il transmet le dossier au tribunal de la jeunesse qui va trancher sur l’éloignement ou pas et c’est le directeur du service de protection de la jeunesse qui va appliquer la mesure que ce soit une orientation vers une institution ou vers une famille d’accueil. On est, nous, mandaté par le conseiller de l’aide à la jeunesse ou le directeur du service de protection de la jeunesse.
La priorité pour nous est alors de rechercher une prise en charge familiale ou dans le réseau amical et social de l’enfant, de la famille. Cela représente un tiers des enfants. Ensuite, si on ne trouve pas, on oriente vers les familles d’accueil sélectionnées et en troisième lieu, vers un milieu institutionnel.
Dans la région verviétoise, quelles sont les raisons les plus fréquentes pour lesquelles les parents se voient destitués de la garde de leur enfant ?
Dans notre service, on voit des abandons, des négligences et parfois des maltraitances ou des abus. Qui sont constatés par les hôpitaux, les crèches, l’ONE. Il y a aussi des cas de figure où les inquiétudes sont déjà bien présentes dès la naissance de l’enfant ou même avant sa mise au monde.
Quelles sont les raisons qui expliquent le manque de candidatures pour devenir familles d’accueil d’après vous ?
Déjà, malgré toutes les campagnes de promotion qu’on peut réaliser, l’accueil familial est très peu connu. On se rend compte que l’adoption est un concept plus connu dans la société, tout le monde identifie bien un projet d’adoption tandis que le projet d’accueil non. Je pense que la mesure provisoire peut être un frein, puisqu’on parle bien d’une mesure d’un an qui est renouvelable et évaluable. Il y a une insécurité qui peut planer malgré un engagement sur le long terme. Il y a cette réunion annuelle qui requestionne.
Il y a aussi toute la question de l’accueil familial dont l’intérêt est de grandir avec ses deux familles et pas dans une famille à l’exclusion d’une autre. Soit par des rencontres soit en parlant de ses parents, ses racines. C’est un concept qui, au niveau psychologique pour l’enfant et sa construction est identitaire, est important mais qui peut être mal vécu par la famille d’accueil.
Le parent ou les parents d’accueil peuvent aussi avoir peur de perdre l’enfant auquel il/ils s’attachent ?
On veut combattre l’idée qu’on retire un enfant du jour au lendemain d’une famille d’accueil. Autant on prépare l’arrivée de l’enfant de manière progressive sans lui faire vivre une rupture de son milieu de vie, autant si un retour dans sa famille de naissance était envisageable, on prépare les choses aussi: droits de visite encadrés, demi-journée avec l’enfant, week-end, semaine. Le travail est également progressif.
Les projets de réintégration familiale sont-ils courants ?
L’éloignement, au niveau législatif, est une mesure exceptionnelle qui doit durer le moins longtemps possible. L’objectif est bien sûr que l’enfant puisse revivre avec ses parents. Mais dans les faits, et dans la majorité des cas, les enfants restent très longtemps dans les familles d’accueil. L’accueil familial se fait le temps nécessaire mais le temps nécessaire est souvent jusqu’à la majorité et au-delà. Ce sont des placements de longue durée.
À défaut de suffisamment de familles d’accueil, où sont ses enfants ?
Ils sont pris en charge soit par l’hôpital, soit par des familles d’accueil d’urgence, de court terme, des milieux institutionnels spécialisés dans la petite enfance ou pour les enfants plus grands. La difficulté, c’est que si on ne trouve pas de place à plus long terme, ces enfants peuvent passer de solution en solution, de lieu en lieu et doivent vivre plusieurs ruptures avant qu’on trouve un milieu sécurisant. Or, pour la construction d’un enfant, il faut éviter les ruptures et lui apporter un lieu sain et équilibré le plus rapidement possible.
« On accepte tous les profils de famille »
« C’est la vie d’un enfant qui est en jeu »
Devenir famille d’accueil, un engagement à ne pas prendre à la légère on imagine…
C’est la vie d’un enfant, d’un être humain qui est en jeu. C’est un engagement très important. Les motivations des candidats émanent d’une action de solidarité, d’engagement citoyen pour venir en aide à un enfant dans le besoin, à des parents en difficultés.
Refuser des candidats familles d’accueil, cela vous arrive souvent ?
On lit évidemment beaucoup de commentaires sur des articles sur la recherche et la pénurie de familles d’accueil disant qu’on est trop sévères. Mais quand on refuse, on a nos raisons qui sont difficiles à expliquer et parfois à entendre pour les candidats. Si on sent par exemple des fragilités particulières, on ne mettra pas en danger les familles. Si on sent que les enfants de la famille ne sont pas prêts, on propose de postposer le projet. On a à peu près entre 60% et 70% de familles qui abandonnent la procédure donc on garde un pourcentage assez minime de potentiels candidats. Et parmi eux, on en refuse oui.
Quelles pistes sont envisagées au niveau local pour tenter de convaincre des familles de se lancer dans cette aventure humaine ?
Je pense que faire connaître l’accueil familial, c’est l’objectif premier. Cela doit se faire par des campagnes d’information régulières et récurrentes. Essayer de faire en sorte que l’accueil familial soit connu autant que l’adoption, ce serait notre idéal. Malgré ces grosses campagnes mises sur pied, rappelez-vous à Malmedy (NDLR: La « Chambre d’Amy » s’était installée sur la Place Albert 1er – soit un conteneur représentant la chambre d’ami vide qui pourrait être occupée par un enfant) en mai 2022, on est toujours en déficit de familles d’accueil.
Le meilleur vecteur ce sont les familles d’accueil en exercice qui vont témoigner, en parler à leurs proches. Je tiens d’ailleurs à dire qu’elles sont disponibles pour informer de potentiels candidats de l’aventure humaine formidable que cela représente de changer la vie d’un enfant avec des joies et des difficultés.
Un mot, celui de la fin, sur ces joies et difficultés ?
Observer l’évolution de l’enfant, offrir des moments d’insouciance, l’amener à devenir un adulte responsable, partager ses réussites, ce sont des grandes joies. Les difficultés sont celles d’accepter un enfant qui vient d’ailleurs, qui a d’autres racines, une histoire personnelle, accepter qu’il crée des liens avec sa famille d’origine, de le partager avec une autre famille.