« Et en plus, ils ont gagné ? »
Couvinois d’adoption, Benjamin Hennot, le réalisateur de «La bataille de l’Eau noire», reste fasciné par sa rencontre avec les acteurs de l’époque.
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Publié le 22-09-2015 à 06h00
Benjamin Hennot, pourquoi réaliser un film sur le combat des Couvinois de 1978?
Je n’aime pas l’exotisme, aller chercher les choses loin. Les gens qui vont en Afrique, ça m’a toujours posé un problème éthique: tu es riche, ils sont pauvres, et tu as beau être gentil avec eux, tu ne changes rien à la situation. Si tu ne parviens pas à trouver des intensités dans ta rue, tu ne les trouveras nulle part. C’est pour ça que tous mes films se déroulent dans un rayon de 50 kilomètres.
La bataille de l’Eau noire, alors?
Tous les films que j’ai réalisés traitent de sujets auxquels je m’intéressais déjà. Quand je me suis installé à Couvin – par choix, parce que, gamin, je venais en vacances avec mon oncle chaque année – j’ai entendu parler de cette histoire. Je n’en croyais pas mes oreilles! Et en plus, ils ont gagné? Dingue. C’est la plus grande victoire écologique de Belgique, et personne ne le savait.
Vous avez retrouvé facilement les acteurs de l’époque?
J'en ai rencontré énormément, au moins 70. Ça va du coup de fil «Non merci, je raccroche» au chef de la police de Couvin, qui m'a confié que ses hommes, à l'époque, on ne pouvait pas compter dessus. Eux aussi ne voulaient pas du barrage, ils étaient dans le coup. Alors, il fallait faire venir des flics de Dinant, et même de Bruxelles…
Certains ont-ils refusé de témoigner ?
Certains. Ils avaient un peu peur que je fasse du Strip-Tease. Mais moi, je ne fais pas du snobisme de la classe moyenne qui vient filmer et se sent supérieure. Je vais chercher le truc positif, le fait qu'ils se sont battus courageusement contre le gouvernement, qu'ils ont gagné, et qu'ils sont encore fiers d'en parler 30 ans après.
On sent encore cette flamme à travers leurs témoignages…
Oui, mais ça, j’ai dû aller le chercher. Parce que dans un premier temps, face à moi, j’avais des individus dans la tonalité d’aujourd’hui, faibles et isolés. Tristes que le mouvement n’existe plus…
Et puis?
Après, quand ils se remettent dedans, les visages s’illuminent et ça pétille. Et c’est ça que j’ai gardé, l’énergie de l’époque.
Qu’est-ce qui faisait leur force? Pourquoi ont-ils gagné?
Ils acceptaient tout le monde. Même les violents, prêts à en découdre. Ils leur disaient juste: «Là, c'est pas le moment, ça va desservir le mouvement». Du coup, le groupe, sans être violent, devenait menaçant. Chez eux, même les trouillards avaient un rôle. Ils n'étaient pas dans un égalitarisme stupide, juste complémentaires. Quand tu veux saboter, tu envoies ton champion en sabotage, pas l'instituteur qui ne sait pas planter un clou. Chez eux, il y avait des gars qui savaient écrire des textes pour la radio, d'autres qui savaient la planquer, d'autres encore qui savaient la faire fonctionner. Ensemble, ils étaient plus forts, c'est aussi simple que ça.
«La bataille de l’Eau noire», documentaire de Benjamin Hennot (1h15). Sortie ce mercredi.