Saint-Valentin dans un foyer pour personnes handicapées: non, Cupidon ne fait pas de différence…
Des millions d’amoureux célèbrent leur fête, en ce jour de Saint-Valentin. A l’Albatros à Couvin aussi, les couples sont à la fête. Car Cupidon ignore totalement le handicap lorsqu’il décoche ses flèches…
- Publié le 14-02-2023 à 05h50
- Mis à jour le 14-02-2023 à 06h58
Jean-Claude et Mireille comptent déjà plus de trente années de vie de couple et pour la Saint-Valentin, nul doute que les deux amoureux célébreront une fois de plus l’amour qui les unit.
Rien ne différencie leur lien affectif de celui qui rassemble des millions d’autres binômes sur la Terre, si ce n’est qu’ils habitent tous deux à l’Albatros, un foyer occupationnel pour personnes handicapées situé à Petite-Chapelle.
Dans ce véritable village adapté aux différences, environ 370 personnes sont encadrées jour et nuit par un personnel aux petits soins. Parmi ces résidents, on dénombre 66 couples, 35% de la population du centre, rien de moins.
Les éducateurs ont appris, au fil du temps, à accepter, encadrer et même soutenir ces unions hors du commun.
"Au départ, l’institution était réservée aux hommes, nous expliquent Fabienne Beauchot et Olivier Ruelle. Elle est responsable du service Éducation permanente et lui, psychologue chargé aussi de la"Vie affective et sexuelle". Dès l’arrivée dès premières filles, en 1990, a surgi la question de la vie affective. Nous avons dès lors visité une institution mixte et, dans un premier temps, nous avons décidé de ne pas fixer de règles pour d’abord cerner leurs attentes."
Inévitablement, des couples se sont créés. La vie à l’Albatros n’est finalement pas si différente qu’ailleurs. "Des éducateurs étaient plus ouverts que d’autres sur ce point et finalement, les rendez-vous se fixaient chez les filles, car les résidents savaient que les relations amoureuses y étaient mieux acceptées par les éducateurs."
Des années plus tard, les foyers sont tous mixtes. Et un vade-mecum encadre les relations affectives à l’Albatros. "Il a été élaboré avec toutes les équipes et fait partie du projet pédagogique. Il est réévalué régulièrement. On y a ajouté la notion d’homosexualité, par exemple."
De l’information avant un peu d’intimité
Quand deux résidents tombent amoureux, ils n’ont donc aucune raison de se cacher. Chacun sait, à Petite-Chapelle, que l’amour n’est pas un tabou. "Nous comptons quatre référents pour la vie affective. Dès qu’un couple se forme, avant toute relation intime, nous l’informons sur une série de notions liées à la vie amoureuse: le respect, la fidélité, la sexualité. La question du consentement est aussi abordée car il faut s’assurer, suivant leur degré d’autonomie et de discernement, qu’il n’y ait pas d’abus. Tout est individualisé."
Les amoureux peuvent alors prétendre à des moments d’intimité, qui seront eux aussi encadrés. "L’infirmerie veille sur les aspects médicaux, comme la contraception. On ne peut pas contraindre quelqu’un à y recourir mais la plupart des résidents y souscrivent. Les psychologues doivent parfois intervenir, en soutien. Renoncer à avoir des enfants est dur pour certains. Ils doivent en faire le deuil. Nous leur expliquons, par ailleurs, que l’Albatros est un foyer pour adultes. S’ils ont un enfant, ils devront quitter l’institution, alors qu’il n’existe aucune infrastructure pour de telles familles en Belgique…"
Du logement en couple
La déception de ne pas pouvoir enfanter s’amenuise cependant grâce à la possibilité de vivre en couple, d’habiter et de dormir ensemble. "Cela nécessite aussi un accompagnement, d’eux et parfois des autres résidents. Certains sont comme des ados et voudront frapper à leur porte ou regarder par le trou de la serrure: il faut protéger leur vie de couple !"
Un mariage est difficile à entrevoir mais par contre, l’Albatros a mis en place une cérémonie d’officialisation du couple. Alain Dambroise, directeur général, tient alors le rôle d’officier d’état civil en célébrant l’union, devant deux éducateurs à choisir pour témoins. Diplôme d’honneur, fête au sein du foyer et même des faire-part à envoyer aux proches couronnent l’événement: tout est fait pour se rapprocher d’un réel mariage.
Accompagner les familles aussi
Finalement, ce sont parfois les familles qu’il faut encadrer: "Le projet pédagogique leur est présenté dès l’entrée et le vade-mecum en fait partie. Ils acceptent donc notre philosophie en matière de relations affectives. Si un couple se forme, nous travaillerons aussi avec les familles, mais toujours en soutenant l’enfant. Nous rappellerons que nos résidents ont le droit de faire des choix dans leur vie amoureuse, y compris celui du partenaire. Cela a déjà posé quelques soucis de loyauté, des résidents se demandant s’ils doivent s’écouter eux ou écouter leurs parents qui refusent la relation. Notre position est qu’ils doivent suivre leur choix, quitte à garder un jardin secret propre à l’institution…"
La plupart du temps, cela se passe heureusement fort bien et des couples passent le week-end et même des vacances chez les parents et/ou beaux-parents.
Finalement, la vie amoureuse à l’Albatros est comme dans la vie de tous les jours, avec la drague, les premiers baisers et le grand saut vers une vie de couple. Et donc avec des ruptures aussi. "Ça peut arriver, évidemment. Nous accompagnons notamment pour apprendre à gérer les jalousies. Car la différence ici, c’est que les résidents sont obligés de se voir tous les jours lors des ateliers, même après une rupture. Les difficultés sont donc exacerbées par cette proximité obligée. Alors quand un nouvel amoureux fait surface, ça peut être mal pris. Il y a déjà eu de la bagarre."
On le constate, les flèches de Cupidon donnent bien du travail aux encadrants des "gars de l’Albatros". Le tableau de Fabienne Beauchot et Olivier Ruelle en témoigne, dans leur bureau. Entre les faire-part officialisant les unions, on découvre une liste des couples à suivre: "Elle change en permanence, s’amuse le psychologue. Il y a de nouveau couples et des séparations. Cette liste date du 27 janvier et il y a déjà des ratures !"
À côté de leur accompagnement individualisé, l’institution organise aussi des groupes de parole ouverts à tous. Un sacré suivi à assumer. Mais Cupidon s’en moque. Il continue de décocher ses flèches, avec d’ailleurs l’assentiment des encadrants: restos en tête à tête et petite soirée dansante étaient au programme cette semaine !
Restos et soirée dansante entre foyers, pour la Saint-Valentin
La Saint-Valentin sera fêtée aussi à l’Albatros. Pour certains, ce sera l’occasion de rencontres avec des résidents d’autres foyers.
Six fois par an environ, des résidents de sept foyers pour personnes handicapées se retrouvent pour des rencontres festives. La Saint-Valentin est traditionnellement l’une d’elle: c’était vendredi à La Boulaie à Chimay.
"Nous nous sommes rendu compte que si beaucoup de résidents trouvaient l’âme sœur au sein de notre institution, d’autres restaient un peu sur le carreau, expliquent Fabienne Beauchot et Olivier Ruelle, chargés de la"Vie affective et sexuelle"au sein de l’Albatros. En nous inspirant de l’expérience “Parlons d’amour” à Bruxelles, nous avons décidé de collaborer entre sept institutions de la région, pour permettre à nos résidents de se rencontrer."
Entre eux, ces foyers organisent donc des événements au cours desquels des petits jeux sont organisés, puis un repas et enfin un thé dansant, de manière à permettre des rencontres et des échanges. À Couvin, des fiestas sont mêmes parfois organisées au Lindbergh !

À sept, ces foyers sont Les Goélands à Couvin, La Boulaie de Chimay, l’Heureux Abri de Momignies, l’institut Louis Marie d’Oret, L’Accueil de Froidchapelle, l’Albatros 08 et l’Albatros de Petite-Chapelle. "Nous nous sommes engagés à permettre la poursuite des éventuelles relations au sein des couples formés. À l’Albatros, nous comptons cinq résidents amoureux de pensionnaires d’autres foyers. Dans la mesure du possible, nous leur permettons de venir l’un chez l’autre de temps en temps. Et donc de les conduire chez leur partenaire…"
Si un couple se forme lors de l’une de ces rencontres, il peut se revoir lors des festivités communes, même si les éducateurs sont parfois confrontés au déséquilibre numérique entre les hommes et les femmes candidats à participer à ces festivités. "Il y a, dès le départ, plus de handicapés chez les hommes que chez les femmes. Cela se traduit chez nos résidents. Nous devons donc travailler par liste d’attente chez les garçons, pour éviter les combats de coqs ou, de l’autre, côté, que les filles aient l’impression d’être jetées en pâture."
Le même travail doit être réalisé à chaque entrée dans l’institution, quand il s’agit d’une jeune fille. L’équipe éducative rappelle les notions de respect et de consentement à tous. "Mais nous observons cependant que les nouveaux sont bien mieux informés au niveau de l’enseignement spécialisé. Avant, il fallait parfois expliquer les différences entre un garçon et une fille. Ce n’est plus le cas maintenant."
On le constate, le travail auprès des résidents est constant pour les encadrer dans leurs relations affectives. Le ratio de travailleurs par rapport au nombre de résidents prend tout son sens. Les plus de 350 salariés de l’Albatros ne sont pas de trop pour encadrer leurs protégés.
À noter que l’institution est tellement bien implantée sur le plateau de Rocroi que, ces dernières années, les Jeunesses des villages du coin ont elles-mêmes pris l’initiative d’organiser des après-midi dansants pour les personnes handicapées. Ce fut le cas à Brûly, Gué d’Hossus et Taillette. "Partout, des jeunes y sont sensibles parce que leurs parents travaillent à l’Albatros. Cela a favorisé ces ouvertures…"