Viroinval: Léon Woué a passé la main aux Cercles des Naturalistes
65 ans après avoir créé les Cercles des Naturalistes de Belgique, Léon Woué vient de passer la présidence de son bébé à Jean-Marie Boudart. Depuis 1957, l’ASBL a drôlement grandi.
Publié le 24-01-2023 à 06h00 - Mis à jour le 25-01-2023 à 06h29
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À 84 ans, Léon Woué a transmis la présidence des Cercles des Naturalistes de Belgique à Jean-Marie Boudart, l’un des pionniers de l’association environnementaliste.
Basée à Vierves-sur-Viroin, cette ASBL emploie aujourd’hui 46 salariés et peut se targuer d’un fameux bilan, que nous allons dresser ici sous forme d’hommage à celui qui demeure président d’honneur et fondateur.
Un concept canadien
C’est âgé d’une quinzaine d’années que Léon Woué découvre le concept des "Cercles des Jeunes naturalistes", lors d’un voyage au Canada. Ces groupes ont été créés par un certain Frère Marie Victorin, qui donnera son nom au siège social des CNB à Vierves… mais nous n’en sommes pas encore là.
En 1957, Léon Woué revient dans son école, l’athénée de Binche, et propose de lancer un tel cercle à l’adresse de ses congénères. L’établissement accepte et le concept est lancé en Belgique.
Les activités se multiplient et la confiance de l’école est telle qu’un enseignant, Jacques Duvigneaud, propose l’achat d’un terrain à Vierves, village qu’il connaît dans la vallée du Viroin. Un coin dont il n’ignore pas l’intérêt de la biodiversité.
L’école y organise des camps sous tente, puis dans un bâtiment qu’elle acquiert par la suite. Les élèves y vivent des sortes de classes vertes. Pendant les congés, Léon Woué, devenu régent en sciences, propose des séjours axés sur la découverte de la nature.
"La première quinzaine de l’été était réservée à des activités sportives avec les profs de gym, se souvient Jean-Marie Boudart. Le reste de l’été était laissé à Léon Woué."
C’est à cette occasion que le nouveau président a découvert les Cercles des Jeunes Naturalistes, vers 1967-1968. "J’étais élève et je participais au séjour sportif mais, entre les activités dédiées au sport, on a eu l’une ou l’autre activité de découverte de l’environnement, avec Léon Woué. J’ai de suite accroché, si bien qu’en rentrant chez moi, j’ai demandé à mes parents si je pouvais participer au camp du mois d’août, axé sur la nature."
Jean-Marie Boudart secondera Léon Woué, définitivement. "J’y ai passé tous les brevets, jusqu’à devenir dirigeant. C’était l’embryon du futu r brevet de guide nature…"
Une section des Jeunes naturalistes est créée à La Louvière, puis des parents manifestent leur envie d’en faire autant, en débutant par un voyage au Jardin botanique de Meise. Nous sommes en 1970 et les Cercles des Naturalistes de Belgique perdent la référence aux Jeunes: ils s’adressent désormais à tous !
Âgé de 21 ans, Jean-Marie Boudart devient majeur et entre, déjà, au conseil d’administration de l’ASBL.
Dès 1975, les CNB lancent ce qui fera leur grande marque de fabrique: le brevet de guide nature. Léon Woué a tout inventé. "Ça a cogité dès 1967, lors d’une étude sur un terril du Borinage avec des professeurs de Gembloux, explique Jean-Marie Boudart. C’était le début de l’écologie. Je ne parle pas ici de la politique mais plutôt de l’étude de l’écologie. Quand une feuille d’arbre tombe, que devient-elle, à qui cela profite-t-il ? Cela a influencé des générations de scientifiques. Léon Woué a rapidement associé la géologie et la flore et pour cela, la vallée du Viroin est une pépite."
Les activités se multiplient. Grand chrétien, Léon Woué a accès à l’ancien presbytère de Vierves, qui prend le nom de Centre Marie-Victorin. Des centaines de guides nature y sont formés. Des écoles sont accueillies pour des stages avec deux leitmotivs: "la vulgarisation et l’émerveillement". Des études sont réalisées pour des ministères, dont celui de Guy Lutgen, pour lequel il travaillera.
Une place importante dans la région
En 1995, les CNB achètent l’ancienne gare de Treignes pour y organiser ses stages. Un auditoire de 90 places est conçu, tout comme un jardin botanique. Un sentier géologique est aménagé.
Les Cercles gèrent deux Centres Régionaux d’Initiation à l’Environnement, à Binche et à Nismes. Ils travaillent en bureau d’étude, notamment pour concevoir la station d’épuration de Doische.
Les CNB comprennent des antennes locales en Wallonie, animées par les guides formés, ce qui facilite la conception d’un inventaire de 500 000 hectares de biotopes intéressants en Région wallonne, en prévision des futures zones Natura 2000.
Deux coopératives, Divégesem et Divégéco, cultivent et exploitent des plantes locales en alcools et en divers produits, dans le but de se les réapproprier.
Léon Woué, paternaliste, gère "son" personnel de près et est omniprésent sur le terrain de l’environnement dans la région.
On retrouvera les Cercles lors de la création du parc naturel Viroin Hermeton, dont ils seront les instigateurs.
Face à l’écosite de la gare, une ancienne crêperie est achetée, pour créer des logements et une cantine pour les groupes et les stagiaires et désormais, les CNB emploient 46 personnes, majoritairement implantées à Vierves. Parmi elles, cinquante pourcents sont originaires du sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse.
Les formations de guides nature se poursuivent, tout comme l’accueil d’un public scolaire en stage. Mais, à l’heure où les CNB ont activement pu hisser la région au titre de parc national, d’autres défis s’annoncent. Avec désormais Jean-Marie Boudart, 68 ans, de Binche, à la tête du conseil d’administration.
"C’est Léon Woué lui-même, pendant le confinement du Covid, qui a suggéré de passer la main. J’étais alors vice-président mais rapidement, j’ai compris qu’il m’était impossible d’exercer 50 métiers sur une seule journée comme le faisait Léon. Nous avons donc nommé deux autres vice-présidents, l’un dédié aux jeunes et l’autre aux antennes de Bruxelles, très nombreuses. Puis, en juillet dernier, Léon a démissionné et j’ai été nommé à sa place en septembre."
Cette passation de pouvoir a déjà considérablement fait évoluer les choses au sein de l’ASBL, qui se lance de nouveaux défis (à lire par ailleurs), sans toutefois renier l’énorme chemin parcouru à la suite de Marie Victorin et Léon Woué.
Les grands chantiers actuels des Cercles des Naturalistes
Le changement de direction aux Cercles des Naturalistes engendre inévitablement des changements de cap. Voici les défis que les CNB se sont lancés…
La principale activité des Cercles des Naturalistes de Belgique reste conforme au projet initial de Léon Woué dès la fin des années 1950: offrir un panel de stages de découvertes de la nature aux jeunes. Chaque année, environ 5000 stagiaires participent à des découvertes proposées par les CNB, à Vierves, Neufchâteau (avec une ouverture à l’astronomie) ou ailleurs. L’aventure va se poursuivre, y compris pour des adultes.
Deuxième produit phare des Cercles: la formation de guides nature. Les cursus, depuis cette année, désertent un peu les auditoires pour davantage de terrain, en plus petit groupe, dans plus d’endroits en Wallonie. L’objectif est aussi d’accueillir plus de stagiaires, en constatant que 600 personnes manifestaient de l’intérêt pour ces cursus en 2020, sans trouver de place disponible. Actuellement, 14 formations de 15 guides sont organisées annuellement. La moitié poursuit son parcours jusqu’au mémoire et à l’obtention du brevet tant convoité. Donne-t-il des accès à des professions, ce diplôme ? "Un petit sondage a conclu qu’entre 2/3 et 3/4 des détenteurs du brevet ont pu décrocher un job dans un CRIE, une Maison du tourisme, une administration communale, au DNF ou dans une ASBL environnementale grâce sans doute au fait qu’ils possédaient ce diplôme, nous explique Quentin Hubert, coordinateur des CNB. Même dans les entreprises privées, certains engagent des guides nature juste pour défendre une étiquette environnementaliste…"
Un autre grand projet pour cette année: la mise en réseau de ces nombreux guides avec le public et les écoles. Une plateforme permettrait dès lors de trouver le guide nature, spécialisé dans un domaine voulu ou sur un territoire déterminé, en quelques clics. Ce "Booking. nature" réunirait les guides des CNB, ceux de Natagora et les "gids" de Natuurpunt en Flandre.
Les CNB comptent 60 sections locales qui organisent la gestion de sites naturels ou des balades de découverte de la nature. À l’interne, les Cercles ont prévu de renforcer les liens avec ces antennes et avec ses 4600 membres.
Un autre constat a été dressé par les équipes: "Alors que nous existons à Vierves depuis plus de 50 ans, nous n’avons que peu de contacts avec le village, explique Quentin Hubert. Nous nous sommes donc fixés pour objectif de trouver une meilleure place à Vierves."
Davantage de liens avec l’extérieur, cela se traduit aussi par des contacts accrus avec les musées de Viroinval et les autres associations environnementales. Cet objectif s’est déjà en grande partie concrétisé par la conception du dossier de candidature au titre de parc national. Tout au départ, Natagora et les CNB avaient chacun phosphoré leur projet dans leur tête: l’un à Virelles et l’autre à Viroinval. En conjuguant les compétences et la force des deux "concurrents", le dossier du parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse a pu être rédigé avec une qualité saluée par les experts internationaux membres du jury. Cette collaboration ne pourra que se poursuivre, puisque les CNB, Natagora et d’autres associations de la région sont présentes dans la structure de ce parc national.
Par ailleurs, au lieu de subventions pérennes, la Région wallonne subsidie de plus en plus les acteurs de terrain à coups d’appels à projets. Les CNB devront donc s’adapter à cette façon de travailler en étant en capacité d’y répondre dans les délais parfois courts. Dans ce cadre, les Cercles participent actuellement à l’étude d’aires protégées en Wallonie, à l’étude de friches urbaines avec l’université de Gembloux ou encore à la formation de conservateurs de réserves naturelles pour la Wallonie.
Parallèlement à tous ces développements et ces évolutions, l’administration de l’ASBL devra aussi évoluer. Un autre défi indispensable !
Les CNB restent les CNB
Fallait-il changer de nom ? Tout a démarré d’une discussion lors du festival du film Nature de Namur. Léon Woué, Jean-Marie Boudart et le journaliste nature de la RTBF, Tanguy Dumortier, sont attablés. Ce dernier y va franco: " Vous devriez changer de nom. Les Cercles des Naturalistes de Belgique, cela ne dit rien à personne. CNB non plus. " Il se lève et interpelle des passants: " CNB qu’est-ce que c’est pour vous ? " Le résultat est cinglant: personne ne connaît. Une réflexion a donc été menée, l’an dernier, lors d’une assemblée des responsables des sections: quel nom trouver pour les CNB ? Une série de propositions ont afflué avant que CNB reste plébiscité, finalement, mais en partageant le constat de Tanguy Dumortier: " Vous avez le savoir-faire mais il vous manque le faire savoir. " Objectif, désormais: se faire connaître à l’extérieur. Hors du seul spectre des naturalistes déjà formés ou en devenir…