Laforêt : ancien policier, Éric fait désormais parler les arbres, les pierres… et l’Ardenne (vidéo)
Dans une autre vie, Éric Vincent fut policier. Notamment spécialisé dans les auditions de victimes mineures. Désormais, il propose des balades guidées originales. C’est tout un patrimoine ardennais qu’il fait parler.
Publié le 10-05-2023 à 15h57 - Mis à jour le 10-05-2023 à 15h59
Deux possibilités: on participe à ses balades "événements", dont l’agenda est relayé par l’office de tourisme de Vresse et sur le site Web communal, ou on le contacte directement. Tout est possible. On paye le guide au chapeau, comme on le ferait pour un artiste. L’ancien policier, désormais installé en permanence dans le village de Laforêt, a suivi une formation de guide nature, une autre de guide forestier, mais il se définit avant tout comme un "guide naturophile et épicurieux". Il sort en tout cas des sentiers battus.
Avec Éric Vincent, tout en marchant, on "lit" la nature, les relations de cette dernière avec l’humain. Il fait parler les paysages, les animaux, les villages. "Tout ce qui raconte quelque chose est patrimoine", explique l’ancien policier. Déjà à l’époque, dit-il, "j’aimais écouter, apprendre ". Il fut notamment spécialisé dans les auditions de victimes mineures. Il lisait dans les gens, il lit aujourd’hui l’Ardenne, au gré de promenades qui sont aussi "naturellement" thérapeutiques. Sa plus grande récompense ? Qu’à l’issue d’une balade, on lui dise: "Je ne regarderai plus la forêt sous le même angle."
Comprendre le paysage
Voilà pour le concept. Avec différents thèmes possibles et qu’on peut même lui suggérer. Samedi dernier, Éric a emmené un groupe en immersion dans la "forêt jeune pionnière, avant de s’avancer dans la forêt plus ancienne et multiséculaire". Il évoque entre autres un moment de méditation, et même la dégustation de feuilles de hêtre (quand elles sont jeunes, elles sont comestibles). Ça a l’air de planer un peu, expliqué comme ça. Il faut refaire avec lui une partie de cette promenade pour comprendre ce qu’il propose. Suivons-le.
Départ de l’un des plus beaux villages de Wallonie, le bien nommé Laforêt. On grimpe un sentier et au-dessus d’une colline: waouh ! Un superbe point de vue sur la Semois. On se retourne, le bourg ardennais, on le vérifie, est lové dans un immense écrin arboré. "Ferme les yeux", lance le guide. Puis: "Rouvre-les." Il vient de sortir une photo ancienne prise au même endroit, il y a 50 ou 60 ans. Il y a beaucoup moins d’arbres qu’aujourd’hui. Explication ; à l’époque, il y avait une série de petites fermes familiales. Le moindre lopin exploitable l’était. Puis la société a évolué. Une forêt a naturellement repoussé… une forêt pionnière. Plus loin, le massif est exceptionnel par son ancienneté. On est dans le parc naturel de la vallée de la Semois, où l’on croise le pic noir et (avec énormément de chance) le lynx.
Une étrange pierre à marier
On comprend le paysage, calmement. On ne le consomme pas. Un peu plus loin, en pleine forêt, un rocher émerge du sol. Anecdote: le décor a servi lors du tournage de la série policière belge Ennemi public. Il est mystérieux à souhait. La roche émergée s’appelle le "Griolou". Éric Vincent s’en sert comme estrade pour le raconter. "Grioler", en patois local, ça veut dire "glisser". De fait, la partie lisse de la roche a servi de toboggan très spécial ; c’est une "pierre à marier", comme on en trouve plusieurs dans le coin. Bien des couples s’y sont frottés. Cela fait remonter à des rites de fécondité immémoriaux. Plus loin encore, sur la roche aux corbeaux, la chrétienté a mis son totem, un calvaire. C’est une "croix de rogation", du latin "rogare", demander. Il y a quelques dizaines d’années, on y venait en procession pour implorer la fécondité des champs. Les druides ont eu leurs successeurs.
Il suffit de gratter un peu pour raconter et comprendre l’Ardenne. Gratter au sens premier du terme aussi. En creusant un peu le sol, en des endroits que le guide connaît, on tombe sur les traces de fabrication de charbon de bois. C’était le métier des "fauldeux", avant que la houille ne s’impose comme combustible pour les petites forges que l’on trouvait dans la région.
Chaque détail permet une immersion plus intelligente et plus connectée au monde d’hier et d’aujourd’hui qu’une randonnée sportive.
En redescendant dans le village, arrêt sur de l’aubépine, dans une haie ceinturant une propriété, le long d’un chemin qui menait jadis à l’"alpage" de Laforêt, où l’on emmenait paître le bétail. L’épineux est toujours là, c’est l’ancêtre du fil barbelé.
Plus bas, dans le patelin, Éric s’arrête devant l’annexe d’une vieille maison superbement restaurée. C’était un saloir et un séchoir de viande. Le propriétaire en a refait le toit en "faisiaux": des ardoises sommaires (les plus belles partaient à la ville) particulièrement lourdes, plantées dans de l’argile. Tout ce qui raconte quelque chose est patrimoine. Et quand c’est raconté par Éric, l’avantage, c’est que ce n’est pas ennuyeux. Il privilégie l’interaction avec les participants et une approche sensorielle.
Vite Dit
Partage d’une passion
Les promenades "événements", c’est par exemple comme samedi dernier "Au cœur de la forêt ardennaise". Il suffit de s’inscrire. On peut aussi contacter directement Éric, pour des balades "clé sur porte" patrimoniales, naturalistes, ou davantage "contes et légendes". Tout ou presque est possible sur base d’une discussion préalable. Cela vaut même pour les tout petits groupes: la semaine prochaine, le guide emmène un couple en balade, sur le thème des pierres à marier. Infos sur www.semoisnature.be
Un village, ça se lit aussi
Vous n’êtes pas un minimum sportif ? Il existe une petite balade de 2,5 km, baptisée "de la forêt à Laforêt". Elle permet de "lire le village", et de le comprendre. Un exemple ? On y trouve d’anciennes fermes, avec une structure traditionnelle, séparées en trois: un corps de logis, une étable, une grange. Un modèle remis en cause vers 1850, une période hygiéniste, pour cause d’épidémies, avec un fort soupçon de trop grande proximité entre l’homme et l’animal. Ça ne vous rappelle rien ?