Bois-de-Villers: un coq de cristal pour un craquelin craquant
Un "coq de cristal", l’oscar wallon des produits de bouche, trône sur le comptoir de la pâtisserie familiale Lefranc, au cœur de Bois-de-Villers.
Publié le 19-12-2021 à 21h54
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Un peu comme dans les cérémonies hollywoodiennes, l'acteur primé, s'il a un peu de cœur et d'humilité, n'oublie jamais de remercier l'équipe sans qui… "On peut avec les meilleures mains d'artisans du monde, mais si on n'a pas les bons produits, on ne pourra pas faire de miracle. Oui, je pense vraiment que j'ai la chance de pouvoir travailler avec d'excellentes matières premières grâce au boulot de mes amis agriculteurs." Frédéric Lefranc, son frère Fabrice et toute la boulangerie familiale viennent en effet de recevoir un "coq de cristal", le trophée ultime pour les produits de bouche wallons.
"Depuis nos débuts en 1995, on ne cherche pas à créer la pièce exceptionnelle, mais qu'on retrouve un bon goût dans tout ce qui sort d'ici, que ce soit un pain, un moka, une forêt noire…" Des qualités gustatives qui passent donc par les produits. "Le lait, on le prend chez Luc Noël, éleveur à Lesve. Il est essentiel pour notre crème pâtissière, nos glaces… Le beurre vient de la laiterie et on le choisit pour sa haute teneur en matières grasses. On doit être à 98%. Dans le secteur, on trouve aussi des margarines avec des arômes qui font penser au beurre. Mais on ne travaillera jamais avec ça, même si c'est deux fois moins cher…" En saison, les fraises de Wépion de chez Warnier garnissent les pâtisseries. "Et le pain qui cartonne le plus aujourd'hui, c'est celui à la Houppe, réalisé avec les drèches de brasserie", s'amuse ce Plantois d'origine qui est aussi à l'aise avec la pelle du boulanger qu'avec la lance du jouteur nautique.
La souplesse de l’artisan
Les frères Lefranc savent que le temps fait aussi la différence. "Il faut laisser le levain faire son travail. Le pain aura un meilleur goût, une conservation plus longue mais il sera aussi bien plus digeste", continue l'artisan de la place de l'Armistice, prêt à partir en guerre pour la défense du bon goût.
Les frères travaillent en tandem, Valérie, l'épouse de Frédéric, assure l'accueil efficace et souriant dans le magasin. "Nous sommes une petite structure familiale et ça nous permet de nous adapter un peu tous les jours. C'est important. En fonction des saisons, les conditions de température et d'humidité ne sont pas les mêmes dans l'atelier. On doit être attentif à ça quand il s'agit de faire lever la pâte, un peu plus ou moins longtemps… Un artisan a la souplesse pour faire ça. C'est moins le cas pour les grosses machines, les grosses structures." Et quand il choisit son lieu préféré pour picorer, le coq de cristal est évidemment très attentif à tout ça.

Pour son craquelin récemment primé comme pour le reste, Frédéric Lefranc n'aura pas deux discours différents. "Il faut des bons produits et… du temps." Pour le craquelin, on pétrira une boule de pâte et de sucre. "Là aussi, c'est une question de timing. Il faut pétrir suffisamment pour que le gluten agisse et forme cette membrane autour de la pâte. Elle devient alors un peu élastique. Mais si vous pétrissez trop longtemps, vous déchirez les glutens et ils ne joueront plus leur rôle." La fine couche supérieure étanche ainsi formée va retenir le CO2 à l'intérieur et la pâte va commencer à lever. Et là aussi, l'artisan devra avoir l'œil pour savoir quand c'est le moment parfait pour enfourner. "Si vous vous trompez, la boule va se déchirer dans le four. L'aspect général ne sera pas beau du tout." Car le craquelin se différencie du cramique, son cousin, par deux éléments. "Il est tout rond là où le cramique sera plutôt carré. Et puis dans ce dernier, on incorpore les petits raisins."
Par contre, le cramique se fait couronner de quelques gros grains de sucre. "Là encore, c'est une question de dosage. Si les grains sont trop importants, cela rompt l'équilibre avec le reste. S'ils sont trop fins, on n'a pas le plaisir de croquer dedans. Or, un craquelin, son nom le fait bien comprendre, faut que ça croque…" Et à ce moment-là, tout le monde craque…

D'un geste souple et précis, Fabrice Lefranc étale avec la spatule le chocolat encore liquide sur le marbre. Il découpe de petits rectangles et ne tarde pas à les décoller pour les cintrer pour leur donner l'apparence de ces sombres feuilles qui garniront cette appétissante forêt noire. "C'est vraiment une question de timing. S'il attend trop longtemps, le chocolat va se casser. S'il va trop vite, il est trop liquide pour lui donner une forme", commente Frédéric Lefranc, qui couve son artisan de frère du regard.
"J'ai encore quatre gâteaux à terminer", sourit doucement Fabrice, pâtissier d'un calme olympien. Pourtant les frérots savent bien que dans quelques jours, l'atelier de leur boulangerie villersoise va bouillonner. " Noël, ça commence la soirée… du 23 décembre", situe Frédéric Lefranc. "Tout le monde est sur le pont." Les sept fourmis de l'atelier vont se démultiplier pour réaliser les bûches, les cougnous, les pains spéciaux. "Durant l'année, on a déjà une belle variété avec quasiment vingt pains. Mais aux Fêtes, il faut aussi les briochés pour le foie gras, le pain de seigle pour les huîtres", détaillent les frères Lefranc. Du côté des desserts, la bûche reste évidemment incontournable.
"Les classiques mokas ou crème fraîche et fruits constituent la moitié de nos commandes. Mais nos clients sont de plus en plus demandeurs de nouveautés, surtout dans les bavarois", continue Fabrice Lefranc. Et ça tombe bien parce que le pâtissier adore travailler cette texture plus légère aérienne. "On peut jouer avec pas mal de goûts, mais aussi le combiner avec du biscuit ou y incorporer un insert avec de la crème brûlée et des noisettes. Après toutes ces années, ce qu'on adore toujours dans notre métier. Il n'y a pas de limites quand on veut créer." À Noël, il faudra cependant tenir compte des capacités physiques de chacun. "La boulangerie va vivre sans arrêt jusqu'au 25, en début d'après-midi quand tout sera vendu. Il y a quelques années, personnellement, on assurait 36 heures en continu. Maintenant, on se repose quand même un peu…", glisse Frédéric. "Mais le plus compliqué, et tous les collègues le diront, c'est que beaucoup de gens ont perdu le réflexe de commander. Il faudra tout et en dernière minute." Et pour le boulanger, parvenir à contenter tout le monde, c'est un peu ça aussi, le miracle de Noël.

Frédéric Lefranc connaît les richesses de son terroir. Les prunes de Namur des vergers voisins, il les cueille et les conserve dans un weck gorgé de sirop de sucre. "Cette petite prune bleutée a un goût incroyable. Pour nos tartes, c'est parfait. Mais c'est du boulot de couper à la main 400 kg de prunes…"