La Douceur des Coteaux Mosans à Jambes: des travailleurs tristes et en colère
Des travailleurs de La Douceur des Coteaux Mosans ont exprimé leur mécontentement vis-à-vis de la gestion de l’établissement. Ils dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail qui, selon eux, se répercutent sur les résidents polyhandicapés.
Publié le 20-05-2023 à 06h00
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Avant de lire
Ils travaillent ou ont travaillé pour la partie résidentielle des Coteaux Mosans. Certains ont démissionné après 18 ans en tant que personnel médical et éducateur. Ces travailleurs, sous couvert de l’anonymat, estiment que les valeurs qui règnent depuis près de 20 ans dans cette ASBL dédiée à la prise en charge des personnes présentant un polyhandicap profond ont disparu. "Il y a également des personnes qui n’osent pas raconter leur histoire de peur de représailles."
S’ils ont souhaité s’adresser à la presse après avoir déposé plainte à l’AVIQ (voir ci-contre), c’est pour que l’ASBL retrouve son lustre d’antan. Ils ont été suivis dans leur démarche par des parents de résidents. "La Douceur des Coteaux Mosans, c’était le luxe de l’accompagnement. C’était aussi l’endroit où tous les professionnels de la santé et éducateurs souhaitaient travailler. Les gens se battaient pour obtenir un contrat. Ce n’est plus le cas. La direction cherche des détails pour nous mettre dehors car certains travailleurs, surtout les anciens, dérangent. Il y a un turn-over avec une vingtaine de démissions, licenciements depuis 2021 alors que durant plus de dix ans, nous avons bossé avec la même équipe d’éducateurs. Ce que nous souhaitons, simplement, c’est que la direction se remette en question pour le bien-être, avant tout, des résidents." Tous espéraient terminer leur carrière à Jambes. "Les conditions de travail étaient géniales. Nous travaillions main dans la main avec l’ex-direction sur et en dehors du terrain. Il y avait une relation de confiance. Personne ne s’imaginait travailler ailleurs. Les relations se sont dégradées à la fin de la crise sanitaire."
Promesse non tenue
En cause, notamment, une promesse qu’ils estiment non tenue: la création d’une équipe d’infirmier (es) Coteaux Mosans pour assurer les soins et toilettes avec les éducateurs. "Avant le Covid, la direction faisait appel à une équipe externe. Durant la crise, puisque nous devions limiter le nombre de personnes qui entraient et sortaient du bâtiment, elle a été supprimée. Les soins ont donc été repris par l’ensemble des éducateurs et des quelques infirmiers." Lorsque la crise sanitaire s’est plus ou moins calmée, l’équipe promise n’a jamais été mise en place. "Les éducateurs se sont fait berner. C’est eux qui, aujourd’hui, assurent les soins avec les quelques infirmiers qui acceptent de rester aux Coteaux Mosans. Nous avons la preuve qu’il n’y avait pas, certaines semaines, d’infirmiers programmés dans une des trois ailes de la résidence." Des réunions ont eu lieu avec la direction à ce sujet. "Pourquoi la direction ne fait-elle plus appel à une équipe extérieure ? Il nous a été répondu qu’il n’y avait pas le budget. Une réponse difficile à avaler dans la mesure où la direction ne vient quasi plus sur le terrain et ne s’est, en revanche, pas privée d’augmenter le cadre administratif."
Surcharge de travail
Ce sont donc les éducateurs qui, selon les personnes interrogées, s’occupent en majorité des soins. "Sauf qu’ils ne sont pas infirmiers ! Il est stipulé dans les contrats qu’ils sont amenés à réaliser des toilettes. C’est une des tâches qu’ils réalisent avec passion. Mais les soins ne doivent pas occuper la majorité de leur temps." Ils n’ont d’autres choix, comme ils l’expliquent, de supprimer les activités de l’après-midi avec les résidents. "Elle est remplacée par une toilette. Les résidents se retrouvent la plupart du temps en pyjama à 14h30. Ce n’est pas de gaieté de cœur mais ils n’ont pas le choix. Réaliser les soins d’une personne polyhandicapée, ça prend beaucoup de temps. Si un collègue est absent, la charge de travail augmente considérablement. Et ça, la direction ne s’en préoccupe que trop peu."
Vu qu’ils n’ont plus le temps de mettre en place une activité avant le repas, les éducateurs allument la TV aux résidents. "Croyez-nous, il y a quelques années, c’était inconcevable. C’était quelque chose d’exceptionnel. C’est aujourd’hui la norme."
Un autre grief, c’est l’absence d’un programme informatique dans les services. "Depuis des années, la direction promet un logiciel de communication. Il n’est toujours pas installé et nous continuons à assurer le suivi des résidents sur papier. Lorsque nous travaillons au jour le jour, ça ne pose pas de problème. En revanche, après trois semaines d’absence, il est quasi impossible d’obtenir toutes les informations sur les résidents. Cet exemple illustre le fait que la direction nous promet des changements mais que rien ne bouge." En se tournant vers la presse, ces travailleurs souhaitent que la direction se remette en question. "Nos plaintes ont été soutenues par celles de parents de résidents." Un travailleur qui a démissionné le promet, "d’anciens membres du personnel seraient prêts à revenir si la direction changeait son fusil d’épaule."
La direction réfutes les diverses accusations
Pour répondre aux accusations, quatre personnes nous ont reçus dans les locaux de l’ASBL: Suzanne Boonen Moreau, présidente et membre du conseil d’administration, Muriel Feron, directrice pédagogique, Florent Playe, directeur santé et, enfin, Virginie Fery, directrice.
1. L’équipe d’infirmier(e)s
Concernant la promesse d’une équipe complète d’infirmier(e)s, Virginie Fery insiste sur le fait que l’AVIQ n’impose aucune norme à ce niveau. "Qu’il y ait zéro ou 18 infirmiers, ça ne change rien pour l’agence. Mais au regard des besoins de notre population, il est impensable de ne pas faire appel à ce personnel médical. Avant le Covid, nous avions 1,3 équivalent temps plein infirmier qui ne s’occupait que de l’administratif et une équipe extérieure pour le terrain."
Depuis lors, le cadre a changé et augmenté. "Il y a eu des engagements pour créer une équipe paramédicale pour les trois ailes de la partie résidentielle Coteaux Mosans: 4 infirmiers , 3 aides soignants de jour, 33 éducateurs, un responsable par aile et quatre kinés pour nos 30 résidents. À cela, il fait ajouter 8 aides soignants de nuit. Le cadre est aujourd’hui complet. Nous avons récemment engagé une nouvelle infirmière qui travaillait dans un home. J’ajoute également que nos équipes peuvent, à tout moment, contacter notre médecin traitant qui connaît l’ASBL depuis ses débuts."
Ce qui est reproché par les travailleurs, c’est qu’il existe une différence entre le cadre sur papier et les travailleurs présents sur le terrain chaque jour. "C’est faux. Nous n’avons que trois absents de longue durée. Vous vous imaginez bien que s’il y avait une hécatombe au niveau du personnel , la direction serait en ce moment en train de donner un coup de main sur le terrain", précise Muriel Feron. La direction se défend également par le fait qu’elle ne peut prédire les absences. "Vu la lourdeur du métier, l’absence d’un collège se répercute tout de suite sur le volume de travail des autres. Dans le cas d’une absence longue durée, nous nous efforçons de trouver le remplaçant adéquat."
2. Le turn-over
Il n’est pas non plus question de parler de turn-over. "Nous demandons, en CPPT, d’obtenir des chiffres, commente Virginie Fery. Doit-on prendre en compte les femmes enceintes écartées ou encore les contrats ponctuels AVIQ dans ces chiffres ? Il y a aussi des gens qui demandent à changer de service pour travailler, par exemple au centre de jour de la Douceur mosane. Pour le reste, je peux vous dire que notre cadre est relativement stable. La preuve: nous n’avons que peu de CDI à offrir et quand une place se libère, elle trouve preneur en interne."
Si les travailleurs estiment que leurs conditions de travail ont changé, la directrice l’explique en deux points. "Tout d’abord, à la création de l’ASBL en 2004, nous étions une grosse équipe d’éducateurs et d’infirmiers pour 10 résidents. L’ASBL a ensuite grandi tout comme ses besoins. Ensuite, il faut prendre en compte l’évolution des bénéficiaires. Ils ne vont pas vers du mieux. Ils ont besoin de davantage de soins. Il y a vingt ans, une toilette prenait 15 minutes. Aujourd’hui, c’est le double et nous devons nous adapter. C’est la base de notre métier."
3. Les activités et la TV
Pour la suppression d’activités et la TV, Suzanne Boonen Moreau est interpellée. "Si c’était vraiment le cas, cette information serait remontée au conseil d’administration qui est composé, entre autres, de trois parents de résidents. Si des enfants avaient été négligés, nous le saurions ! Ces reproches, tout comme celui de la mise en pyjama à 14h30, sont difficilement acceptables. Ce n’est pas la réalité. Nous voulons que nos résidents soient acteurs des activités en fonction, évidemment, de leurs profils." Muriel Feron ajoute: "Si c’était le cas, nous chercherions les causes et nous ferions en sorte que ça ne se reproduise pas. Les activités ont toujours lieu. La preuve, il suffit de regarder notre page Facebook !"
4. La direction et le terrain
Quant à l’absence de la direction sur le terrain, là aussi, toutes les personnes autour de la table réfutent cet élément. "Nous passons tous les jours, indique la directrice. Sauf, évidemment, si nous sommes à l’extérieur. Le personnel sait qu’il peut, à tout moment, nous contacter."
5. L’informatique
Enfin, dernier grief, celui du programme de communication. "C’était un projet envisagé par l’ancien directeur. Le projet est toujours sur la table mais pour lancer l’outil, nous devons entièrement revoir notre système informatique. Les premiers ordinateurs ont été installés."
Même s’ils se défendent, tous les membres de la direction promettent de prendre ces éléments en compte. "Nous ne sommes pas parfaits, ajoute Suzanne Boonen Moreau. Il y aura toujours des éléments à améliorer. Nous ne fermons pas la porte à la discussion mais nous sommes aussi tristes et en colère d’entendre ce que certains travailleurs nous reprochent."