Namur : un tattoo en appelle un autre, ca leur fait "comme une bande dessinée sur la peau" (photos & vidéo)
Durant tout ce week-end, ça a piqué et repiqué à l’Arsenal. Lors de la 2e édition de la convention tattoo Nam’inkcorporate, les jardins secrets ont pris forme à fleur de peau. Bras, jambes, dos, côtes, seins et bien d’autres parties du corps ont été customisés par 59 professionnels.
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Publié le 07-05-2023 à 16h24 - Mis à jour le 07-05-2023 à 16h30
"Vous vous installez sur cette chaise, comme à cheval. Ça va ? Vous allez tenir trois-quarts d’heure ?" Certains pleurent, d’autres sont décontractés. Il faut souffrir, parfois longtemps, pour être beau et coloré, tatoué.
Sur les chaises ou les lits aménagés à partir de tables, dans ce qui est d’ordinaire un restaurant universitaire, les visiteurs ayant faim d’encre ont choisi le menu et se tordent dans tous les sens pour donner accès à la partie de leur corps qui accueillera, pour le reste de leur vie, un symbole, un bouquet de fleurs, les traits d’un personnage. La limite, c’est l’imagination. Et le rasoir est là s’il faut trouver de l’espace parmi les poils.

" Le tatouage, vous souffrez pour le mériter, c’est mieux que le psy ", explique d’emblée Jérôme, Fernelmontois qui a accueilli son premier motif à 21 ans et dont, 20 ans plus tard, le corps est recouvert à 60-70% Il est l’organisateur de ce salon voulu familial, Nam’inkcorporate. " La curiosité de la 1re édition se confirme. Vendredi, malgré la période de vacances, nous avons doublé les entrées. "
Samedi, pliés en quatre, les "aiguilleurs" ont quasiment fait le tour de l’horloge, de 9h à minuit. Une nocturne, et pas parce que les tattoos brillent la nuit. "Ça permet à tous ceux qui travaillent la journée de pouvoir nous rejoindre. Mais il y a du monde à tout moment de la journée. Pourtant, nous étions un peu stressés, la convention de Marche-en-Famenne – qui d’habitude se déroule à un autre moment – a décidé de nous faire concurrence, ce week-end. "
Marche, c’est justement de là, où se situe son shop, que vient la Somme-leuzoise Florence. "C’est plus sympa, ici, sourit la vingtenaire. J’ai commencé il y a six ans. Je dessinais mais me voyais plus chez les pompiers ou dans la mécanique. Ma maman m’a poussée dans le dessin et je suis tombée amoureuse de cette profession." Au grand dam, peut-être, de sa première fan. "Mes parents n’aiment pas le tatouage mais ils me soutiennent." À force de répéter à tout le monde leur fierté, "Florence, elle tatoue ! ", ils ont même trouvé le nom de sa boutique: Flo’L Tattoo.
Bien manger, bien reposé
"Initialement, je voulais être l’exception, tatoueuse mais pas tatouée. " Finalement, elle s’est laissée faire et en a un peu partout. "C’est vraiment addictif. Quand un bras se remplit, l’autre vous semble nu. Le tatouage agit comme une thérapie, pour un deuil, pour embellir une partie de corps qu’on déteste. Moi, j’aime les patchworks, des symboles qui ont plus de signification ensemble que pris séparément. "

Aux côtés de Flo, Mathias, son compagnon-manager, passe régulièrement sous la machine. "Si ça fait mal ? Quand on s’est attaqué à mes omoplates, je me suis endormi. Mais, pour mes biceps, je l’ai insultée en québécois et en mandarin ! En fait, ça dépend des zones et de l’état dans lequel on se trouve, si on est bien reposé, si on a bien mangé. On ne vient pas à jeun, sinon on tourne de l’œil et la séance devient un enfer pour tout le monde. "

Sur la table, Lindsay, venue de Chapelle-lez-Herlaimont, ne bronche pas. À 43 ans, elle se fait tatouer pour la première… et la deuxième fois, sur l’avant-bras. " Ça fait quelques années que j’y pense. J’étais venue, hier (vendredi) et j’ai eu un coup de cœur pour un des visuels affichés sur le stand mais la session était complète. Je suis revenue aujourd’hui, il y avait de la place. C’est un renouveau, une renaissance. Ça va surprendre mon entourage: mon beau-frère était le seul tatoué ! "
Le crâne prend le dessus sur le dragon
Sous les doigts de Mike ( Alibi Tattoo), de Charleroi, Mathieu reprend une gorgée de bière pour faire passer le mal. C’est une solide pièce qui apparaît sur son dos. "Je fais recouvrir un dragon tribal, que j’avais fait sur un coup de tête quand j’avais 18 ans. Il ne me correspond plus mais il sera toujours là. " Mike explique: "Pour ce ‘cover’, il faut appuyer très fort, charger de noir." Mais ce n’est pas la matière qui coûte, c’est le temps. "Ici, il y en a pour six heures de boulot, nous sommes à la moitié. " Courage !

En fonction du tatoueur, de la complexité et la taille du graphisme, et du détail à y apporter, il faut compter entre 50 et 150 € par heure de travail. Dans les règles de l’art, on compte 4 heures max par session, chacune espacée d’un mois. C’est un budget, que des centaines d’amateurs avaient réuni, car le ballet des aiguilles ne s’est pas arrêté à Namur. L’encre a fait tache d’huile. "Comme une bande dessinée sur la peau", comme le chantait Renaud.
722 tatouages pour se soigner
Les trois derniers à avoir rejoint sa collection ? "Ils sont en commun avec une bonne amie. Une bouteille de vin, une de sauce Maggi et un bretzel. Aux lardons, c’est important." C’est sûr, David Elsasszombie a son Alsace dans la peau. Ces trois fiertés régionales, encore faut-il les retrouver parmi les 722 qui ornent le corps de l’animateur officiel, chaud bouillant, de nombreux salons du genre. De la tête au bout de nez, "là ça fait mal, comme le contour des yeux. Mon 1er, c’était un dragon sur le bras, j’avais 24 ans. Aujourd’hui, j’ai 46 ans. Ce monde m’a sauvé d’une addiction à l’alcool, il y a dix ans. Cela dit, huit Français sur dix sont tatoués, c’est énorme. Ma maman a fait son premier tattoo à 68 ans !"

Et le mouvement s’est intensifié: des Simpson, de la calligraphie, les prénoms de ses enfants et un arbre généalogique, des crânes… "Des morceaux de vie." Mais reste-t-il de la place ? "On en trouve toujours, quitte à en recouvrir certains. Puis, je ferai tout, la langue et le zizi aussi. Depuis 8 ans, j’étudie la question d’injecter de l’encre noire dans mes globes oculaires. Dans 2 mois, je saute le pas ! Au-delà de l’apparence, la plupart des gens fort tatoués sont des nounours, des crèmes.", conclut celui qui est aussi modèle photo.
Dames de pique
"On me pique le cul sur le stand d’à côté, je reviens." La pancarte est directe, les professionnels aussi se sont fait plaisir chez leurs confrères ou consœurs. À Namur, c’est du 50-50, avec autant de femmes que d’hommes derrières les appareils, old ou new school. "C’est lié au fait que beaucoup plus de femmes se sont fait tatouer ces dernières années." Ameline vient de Laneffe, où elle a ouvert Amel’ink son premier magasin suivi d’un autre à Charleroi, après avoir enchaîné des boulots alimentaires mais aussi réalisé des pochettes d’albums de metal. "Mon style, ce sont les corbeaux et la mort. "

Mais le girly peut aussi trouver voie. "Je crois que les femmes ont une manière différente de travailler, avec peut-être plus de respect pour la peau, dans les produits choisis mais aussi la manière dont ils sont utilisés. Nous y allons plus lentement. C’est la clé pour rendre pérenne une œuvre. Si elle se délave rapidement, ça n’a pas d’intérêt." Même écho chez la rock’n’roll Sylvie de C’est tatoué près de chez vous à Philippeville. "Je ne pense pas que la méthode soit différente mais il y a une finesse féminine. Puis, c’est aussi une question de pudeur. Une femme ira plus facilement chez une autre femme, pour préserver son intimité."
Aujourd’hui, Sylvie a été rejointe par sa fille dans cette aventure commencée sur le tard. "J’étais imprimeur-graphiste mais le côté créatif me manquait. Je me suis donc lancée, il y a 15 ans. Je fréquentais des motards, j’aimais bien ce monde, j’avais commencé en créant des dessins pour d’autres pros. " Combien de peaux a-t-elle pu marquer depuis ? "J’ai arrêté de compter à mille !" Elle s’est spécialisée dans un style ornemental et des fantaisies, notamment des attributs masculins en mandalas. "Dernièrement, j’ai tatoué une série de ces zizis sur les fesses d’une future mariée et de ses demoiselles d’honneur, lors d’un enterrement de vie de jeune fille. " Un symbole !
Ça crâne pour moi
Entre fleurs et papillons, l’indétrônable motif unisexe, c’est le skull, le crâne. "C’est un signe rebelle, marginal, qui s’est popularisé ", lance Mike. Ameline y voit, elle, un contre-pied. "Un tatouage se veut définitif, immortel, intemporel. Le crâne rappelle, lui, que la vie est limitée, qu’elle a une fin. "