Namur: 111 ans plus tard, il retrouve le graffiti de son papa, éternel survivant de la Grande Guerre, dans les souterrains de la citadelle (vidéo)
Au début des années 1910, Auguste Colas laissait trois graffitis dans les souterrains de la citadelle. 111 ans plus tard, son fils, Michel, a pu les découvrir, les palper, ému.
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Publié le 14-06-2022 à 17h29 - Mis à jour le 14-06-2022 à 18h17
« J e n’ai pas osé, je peux le toucher? " Face au mur humide envahi d’écritures, étonnamment bien conservées, Michel Colas approche sa main du relief laissé par son père sur l’enduit. Ancré dans le patrimoine de la citadelle, il y a son nom: Auguste Colas. Sacré bonhomme, né en 1891. " Colas, comme Ménélas. Auguste, pas le clown, comme l’empereur . "
À trois reprises, Auguste a marqué la pierre avec ce qu’il avait sous la main, et se retrouve désormais recensé parmi les graffitis présents dans les souterrains. Et il y en a! Durant un confinement – libérant du temps pour les travaux de recherches –, lampe sur le front, dans la solitude et l’humidité, Florence Pierre (responsable pédagogique et scientifique du Comité Animation Citadelle) a compté 1777 tags, de 1722 à 2020. Une visite guidée est d’ailleurs prévue le 4/09 à 11h, il reste des places.
Livre ouvert et anonyme

" Bien sûr, nous n’encourageons pas les graffitis, sourit-elle, en préambule. Il y a notamment une chanson, des signatures, mais aussi des revendications comme “Caserne de malheur” ou “Mort à l’éplucheur”! Pas mal de mots laissés par des soldats – qui recréaient ainsi du lien et de la camaraderie – car, tant qu’elle était un domaine militaire, la citadelle était inaccessible aux promeneurs. D’ailleurs, les souterrains étaient des endroits un peu interdits pour les casernés. Alors peut-être ces marques sont-elles le fruit d’explorations illégales ou d’opérations balisées. " Difficile cependant de mettre du vécu sur la plupart, leurs auteurs ayant disparu… mais Auguste avait eu la bonne idée d’associer ce qui ressemble à la reproduction d’un matricule son village d’origine.
Florence a ainsi pu retrouver la trace de sa famille. D’autant plus facilement, qu’en 2018, dans le cadre d’une publication locale commémorant le centenaire de la fin de la 1re Guerre Mondiale, Michel avait raconté les Brèves de Campagne de son papa, bien documentées et recoupées tout en étant liées au phrasé de son papa qui n’édulcorait pas son vécu. Ce village? Halanzy, au fin fond de la Gaume, à deux pas de la France. " Une origine qui permettait à mon père de jouer les traducteurs pour ses camarades de service. Tout le monde ne parlait pas français: il y avait des Borains qui parlaient le picard, des Carolos et des Namurois s’exprimant en wallon… "
À vos souhaits
Maçon et tailleur de pierre, Auguste n’avait pas d’ambition militaire. " Mais, comme, au milieu de ses deux sœurs, il était le seul fils de la famille, il a fait son devoir, dans la casemate de la citadelle, dans le génie des fortifications.", explique Michel qui, lui, en tant que petit dernier (né en 1946, quand Auguste avait 55 ans et sa maman 44 ans) a échappé au service.
Auguste est ainsi devenu pontonnier. " Sans savoir nager! Normalement, il aurait dû passer son brevet, apprendre les mouvements de brasse sur la terre ferme avant de s’exercer avec une perche. Mais, à cette époque, il n’a jamais nagé plus de 2 mètres. L’armée devait cruellement manquer de pontonniers, selon lui. Pour le reste, il se souvenait avoir travaillé dans la chaleur du Grognon. Avec ses collègues, il remontait en nage vers la citadelle et ses vieilles pierres froides.C’était pour attraper la mort, disait-il! " Entre le fort de Malonne et celui de Saint-Héribert, Auguste a aussi été amené à concevoir des fortifications passagères: trachées, redoutes, abattis. Tout ce qui était possible et imaginable.

Lors des permissions, comme Halanzy était à plusieurs heures de train de Namur, Auguste restait dans la capitale wallonne et découvrait ses charmes, buvant à l’occasion de l’Export, " une bière un peu moins forte que la pils ".
" Puis, à la fin de son instruction, il est parti en virée avec les autres. Il n’était pas question de rentrer chez soi sans avoir tester les caricoles (les bigorneaux). Dans un restaurant namurois, pour deux sous, on pouvait en déguster à volonté, à condition de ne pas éternuer, sinon il fallait repayer! Et le patron ne se privait de rajouter du poivre! Mais mon père est parvenu à tout manger. À peine resservi, il a cette fois explosé!"