Olena, Tamara et Sacha sont passées par Namur: l’hymne ukrainien a retenti au piano (vidéo)
Loin de leur ville de Lviv martyrisée, trois Ukrainiennes exilées par la guerre ont découvert Namur, de sa citadelle à son… conservatoire.
Publié le 22-03-2022 à 07h00
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C’est une belle histoire de solidarité namuroise qu’un habitant de Bouge, Bernard Poncé, a voulu partager avec nous. Il la conte comme un non-événement parce qu’elle n’a eu aucune audience, et que ses protagonistes sont des anonymes. Elle n’en reste pas moins significative de l’émoi des Belges face à la tragédie de la guerre en Ukraine qui a jeté des millions de malheureux sur les routes de l’exil.
Bernard Poncé est agent en services bancaires et courtier d’assurances. Il vit seul, à Bouge. Comme nombre de compatriotes, il a tenu à apporter sa petite pierre à l’édifice d’une indispensable solidarité avec ce peuple agressé dont tout le monde en Europe, par la télévision, assiste impuissant à une dramatique destruction du pays et à la mort insupportable de femmes et d’enfants innocents.
Le hasard l’a amené à offrir l’hospitalité à deux cousines, Olena et Tamara, et à Sacha, la petite fille de dix ans de cette dernière.
Elles sont arrivées chez lui le 15 mars. Aussitôt, Bernard s’est improvisé hôte et guide dévoués.
"Jeudi, raconte-t-il, je leur ai fait découvrir la ville de Namur. On a fait les courses ensemble. Je leur ai parlé de la Wallonie, pour leur changer les idées."
Olena, Tamara et Sacha ont échoué dans la capitale de la Wallonie au terme d’un exténuant voyage par route commencé en Pologne. Elles habitaient Lviv et elles ont dû tout abandonner de la vie qu’elles y menaient, leur maison, leurs repères, leurs habitudes, pour se mettre à l’abri, et endurer le déchirement de l’exode.
"Je n'ai pas parlé avec elles de la guerre, et des conséquences de celle-ci sur leur vie. Je les ai accueillies du mieux que je peux, dans un esprit de solidarité, avec empathie, mais sans pleurer avec elles." La langue se révéla un obstacle de taille, mais pas insurmontable. "Merci à Google translate" dit-il, sans quoi c'eût été plus compliqué.
Il apprend rapidement que le mari d’Olena séjourne déjà en Belgique, très temporairement, du côté de Deinze où il est employé comme clarkiste. Beaucoup d’Ukrainiens et de Polonais se déracinent en effet quelques mois pour venir travailler en Europe de l’ouest et ainsi, grâce à un meilleur salaire, permettre à leurs proches de mettre du beurre dans les épinards.
La promenade à Namur, tout ensoleillée, réserve son lot d'émotions à ces trois Ukrainiennes. "À travers l'atmosphère de Namur, et le charme de ses petites rues, elles ont retrouvé leur ville (touristique) de Lviv".
La solidarité fait la force
Ce jeudi 17, Olena, ancienne professeur de piano, fêtait son anniversaire, 55 bougies à souffler dans un triste contexte. Bernard Poncé l'a appris le 16, et il a eu une riche idée. "J'ai téléphoné à l'Office du tourisme pour savoir où trouver un piano public. C'est à partir de là que j'ai pu apprécier la générosité des Namurois."
À l’Office du tourisme, le préposé, Gaëtan, lui propose de trouver mieux qu’un simple piano. De fait, beaucoup mieux, puisque le Namurois et ses trois protégées sont invitées à entrer dans le conservatoire flambant neuf aménagé dans l’ancien Grand Manège et inauguré en septembre dernier. Elles y sont accueillies par la direction, Jean-Marie et Patricia, ainsi que par Patrick, le régisseur.
La surprise est totale et d’autant plus grande qu’on a mis à disposition de l’enseignante de Lviv le piano, queue, du grand auditoire. Les mains d’Olena n’ont cependant plus couru sur un clavier de piano depuis 20 ans. Elle manque d’assurance. Puis survient ce moment d’émotion pure, en petit comité, à l’abri des regards. Les notes de l’hymne national ukrainien retentissent tandis qu’Olena et Tamara l’entonnent en douceur. Le directeur du conservatoire y répondra en interprétant une version légère de la Brabançonne. Deux hymnes nationaux, l’un derrière l’autre, qui ont révélé, en filigrane, le rendez-vous fortuit de ces deux peuples en cette ténébreuse période. La Belgique a pour devise: L’Union fait la force. La solidarité la fait tout autant.
La Maison des Desserts
Où fêter un anniversaire à Namur? Bernard Poncé a poussé la porte d'un établissement bien connu des amateurs de bonnes pâtisseries: la Maison des Desserts, rue Haute Marcelle. L'hôte namurois remercie particulièrement tous ces commerçants qui ont fait un geste à l'égard de ces personnes jetées sur les routes de l'exode et contraintes de se reconstituer un cadre de vie en Belgique, en dépit de l'angoisse pour les autres membres de la famille restés au pays, sous les bombes russes, et de ce déracinement forcé.
À La maison des desserts, les trois invitées de Bernard sont reparties avec des petits œufs en chocolat. La parfumerie Delforge, à la citadelle, a aussi accordé des réductions. Et elles ont payé leurs photos d’identité moitié prix: 7€ au lieu de 14.
De Namur au plat pays
A succédé à cette radieuse journée un coup de blues sur fond d’une interrogation: ne vaut-il pas mieux retourner en Pologne, là où est établie une communauté d’Ukrainiens plus importante? Le choix est déchirant car le mari de Tamara, comme indiqué plus haut, réside déjà en Belgique, mais dans un hébergement où un couple, une famille, ne peuvent trouver leur place. Ils ont beaucoup hésité avant de s’inscrire en Belgique, car on ne peut s’inscrire que dans un pays.
Bernard Poncé évoque une manière de penser différente.
Finalement, ces trois Ukrainiennes n’auront été que de passage à Namur. André est venu chercher sa femme Tamara et sa fille Sacha pour les rapprocher de son lieu de travail. La famille regroupée par la guerre s’est installée dans une maison, près de Gand. Quant à Olena, elle a trouvé un refuge plus commode pour deux mois à Bruxelles, dans l’appartement de Josée, une amie de Bernard, qui est entrée en maison de repos et qui a accepté cette mise à disposition gratuite, ainsi que la prise en charge des frais de logement.