Le Congo disparu de Zagourski archivé
Un peu de l’Afrique tribale est entré aux Archives de l’État, à travers le fonds photographique d’un certain Casimir Zagourski.
Publié le 18-11-2021 à 06h00
Ce n’est guère plus qu’une boîte ultra-plate et banale, de couleur rose. Le 5 novembre dernier, elle a pourtant été au cœur d’un moment exceptionnel et confidentiel au quatrième étage du bâtiment des Archives de l’État à Namur. La presse a été invitée pour assister à son passage d’une maison de famille, à Bruxelles, à ce dépôt sanctuarisé des traces écrites léguées par les siècles passés.
Faut-il que cette mémoire soit précieuse et digne d’être sauvée pour ainsi être apportée aux Archives sur un plateau. Effectivement. La farde ne renferme rien de moins qu’un trésor photographique, soit quelque 300 regards en format négatif portés sur une Afrique disparue remontant au Congo belge.
Celui qui a figé tant d’instants de ce Congo colonisé est Casimir Zagourski (1883-1944). Ce personnage ne vous dira rien. C’est pourtant un illustre photographe d’origine polonaise connu de la famille royale belge.
Cet aventurier polyglotte s’est installé à Léopoldville – (l’actuelle capitale Kinshasa)– en 1924, où il a ouvert un studio.
Ethnographe et reporter
Zagourski est émerveillé par l’Afrique. Il foule et explore ce Congo belge avec avidité. S’improvise safariste. Tout magnétise son boîtier et sa pellicule: la faune, la flore mais surtout les tribus locales qui n’ont pas encore été contaminées par la cupidité du colonisateur. Il en saisit les coutumes et les traditions chamarrées, rythmées aux sons des djembés, dont le noir et blanc ne peut évidemment restituer l’éclat.
Vivre en Afrique en 1924, sur cette autre planète, est signe de richesse. C'est un privilège réservé à une élite audacieuse tant ce continent paraît lointain et inaccessible. Les aventures de "Tintin au Congo", album paru en 1931, ne l'ont pas encore démystifié au grand public.
L'intérêt pour cette terre inconnue est tel que Zagourski crée un commerce de ses reportages. Il les commercialise même à la pièce, sous forme de cartes postales ou d'albums artisanaux intitulés "L'Afrique qui disparaît".
"Il voyait en effet disparaître sous ses yeux les traditions ancestrales sous l'effet de la colonisation. Cela l'a motivé à en faire comme un inventaire, des coiffures, des danses, des bijoux, des cases et des métiers", cadre David Bolsée, le neveu de la donatrice, Marguerite Cravatte, qui était aussi la femme de Marjan Zagorsky (1923-2016), le neveu du photographe qui reprendra le studio après sa mort.
Récemment, l’intégralité du fonds a été classée et numérisée par les bons soins de ce descendant par alliance, qui l’a donc remis à Sébastien Dubois, directeur opérationnel des Archives, le 5 novembre.
Les clichés confiés mélangent les genres. Casimir Zagourski travaille autant comme ethnographe et naturaliste que reporter.
En 1925, il couvre la visite au Congo du prince Léopold – le futur Léopold III – ainsi que celle des souverains Albert Ier et Élisabeth en 1928. Au Congo même, le photographe a offert au couple royal un album photos de luxe, à la couverture en peau de crocodile, de leur voyage officiel.
En Afrique, Zagourski a fini par se faire un nom et une réputation. Alors, lorsqu’il disparaît en 1944 au Congo, son patrimoine iconographique, photos et cartes postales, continuera de circuler à travers le monde.
Ironie du sort, il l'avait cédé par volonté testamentaire à son frère, ignorant que ce dernier est mort la veille de son propre décès, en Pologne. À l'époque, Skype n'existe pas.
Avant la désignation d’un nouvel héritier, le déjà cité Marjan Zagorski, et son arrivée à Léopoldville, l’État belge a géré le vide successoral du studio. Ce qui explique peut-être pourquoi seuls 75% des négatifs seront rapatriés en Belgique, quand Marjan le fermera en 1976, non plus à Léopoldville mais à Kinshasa.
C’est pour éviter le risque d’une dispersion entre des mains vénales que Marguerite Cravatte, veuve de Marjan, décédée à Mons en octobre 2020, a souhaité confier ce fragile patrimoine aux Archives de l’État. Une arrivée qui clôt une magnifique histoire et qui suit de près celle des importants fonds du journal centenaire l’Avenir et de la famille Gilles.
Les clichés numérisés seront prochainement disponibles sur le site des Archives de l’État à l’adresse www.arch.be