BD| De l’imposteur qui veut s’élever à l’antihéros intergalactique: les héros de Zabus, jamais tout-puissants, toujours touchants
Marquant la rentrée avec deux nouveautés, l’un pour les lecteurs avertis, l’autre pour la jeunesse, Vincent Zabus aime laisser ses «héros» ne pas tout contrôler. pour le pire ou le meilleur.
Publié le 22-10-2021 à 15h16
Commençons par une lecture tout public. Avec le 3e tome de la série Hercule, agent intergalactique, en compagnie de l'Italien Antonello Dalena, Vincent Zabus livre à nouveau une histoire à destination de la jeunesse, y compris des adultes qui feront une cure de jouvence d'idéal, à la lumière (trop forte) du monde d'aujourd'hui.

Pour leur nouvelle mission, ce gringalet bleu qu’est Hercule et son comparse tout vert et polymorphe, Marlon, sont envoyés par l’empereur sur une planète où se répandent les racines de la colère. La révolte gronde, il faut la juguler, dit-on. Et si elle était fondée?
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Dans Les Rebelles, les deux héros découvrent un tout autre décor (les joies du space opera qui peut passer d'un genre et d'un panorama à l'autre) fait de déserts, de plantes gigantesques et étouffantes mais aussi d'une oasis qui ne demande qu'à porter ses fruits.

Les deux premiers sont la conséquence d’une exploitation intensive des ressources et d’engrais qui dope les récoltes à un rythme surnaturel. L’oasis, elle, est née de l’action d’un peuple qui veut rapprivoiser sa terre en écoutant ses besoins, avec douceur et des outils qui ne sont peut-être pas de dernière génération mais fonctionne toujours dans le respect de Mère Nature.
Face à cette beauté végétale dont ils n’avaient plus été les témoins depuis des années-lumière, Hercule et Marlon sont tenus de remettre sérieusement en perspective les ordres qui leur ont été donnés. Science, sans conscience, n’est que ruine de l’âme, disait Rabelais. Répression et héroïsme le sont aussi.

D’album en album, s’ils portent le récit, Hercule et Marlon sont de moins en moins des héros, si ce n’est du doute. Ils se laissent porter par les rencontres qu’ils font en chemin et, par là même, permettent à chaque lecteur de se projeter. Et si ce dernier peut parfois être démuni face aux défis du monde de demain, il y a là de quoi apprendre que les petits gestes, les petites graines semées avec tendresse, peuvent changer la donne, bien plus que les motivations de ceux qui ont lâché le fauve fou, asservi le grand comme le producteur à des méthodes révolutionnaires mais peu saines, et pratiquent désormais la politique de la chaise vide.

Si le thème est actuel, l'univers est pop, rond, très divertissant, à l'instar de la couverture en mode kung-fu. Hauts en couleur et candides, Hercule et Marlon sont, toutes proportions gardées, à la BD ce que Bob et Sully, les Monstres et Cie de Pixar, sont au cinéma; ou ce qu'Astérix et Obélix, et surtout leurs colères «nez contre nez» sont aussi à la BD.

À l’heure où un troisième tome est souvent l’occasion pour l’éditeur de scruter le succès d’une série et de voir s’il la continue ou l’arrête. on espère bien que ce duo traversera avec succès d’autres turbulences.
Sous le masque de l’ambition
Dans «Autopsie d’un imposteur», le scénariste raconte le pacte d’un ambitieux avec un diable, bruxellois et animal.
Si les enfants sont occupés avec Hercule, les adultes peuvent, à l'abri des regards non-avertis, s'immerger dans l'ambiance âpre du Bruxelles de l'année 58.

À l’ombre de l’Atomium, Louis Dansart rêve de son exposition universelle. Provincial dans la capitale, étudiant en droit, ce héros, qui à nouveau n’en est pas un, a de l’ego mais a aussi intériorisé le fait d’être pauvre et inintéressant aux yeux de la société qui se grouille sur les pavés bruxellois.

Louis veut échapper à son destin de moins que rien. À la voix off omniprésente et cynique, qu’il entend comme le lecteur la lit (magie de la bande dessinée) et qui souhaite faire électrochoc, l’appeler à la révolte, avant qu’il ne s’engage sur une voie peu vertueuse et dangereuse.
Un conflit intérieur que Louis n’est pas prêt à écouter, quitte à mettre des masques, à être dépossédé de son libre-arbitre, pourvu qu’il ait sa place dans les soirées guindées. Quitte à baisser sa culotte et à se mettre au lit avec des femmes qu’il n’aimera jamais.

Pour leur sixième album, par-delà les frontières (l'un vivant à Namur, l'autre en Australie) mais avec une connivence intacte, Vincent Zabus et l'Italien (encore un) Thomas Campi réussissent un conte dérangeant et magnétique où, jusqu'à la fin, s'il s'enferme toujours plus, leur protagoniste à une porte de sortie. Reste à voir s'il saura en saisir la poignée.
Dans un décor chaud, malgré l’ambition qui le bouffe, le personnage de Louis n’est pas froid, de marbre, pour la cause, à tel point que les auteurs réussissent à le rendre attachant, fascinant. Parce qu’avant de se recouvrir d’une tête d’iguane, il est Monsieur-tout-le-monde avant tout.

Si Thomas Campi, on s’en doute, n’a pas eu l’occasion de mettre les pieds à Bruxelles de longue date, la ville est à nouveau réinventée pour permettre tous les possibles. Oniriques ou machiavéliques.

Autopsie d’un imposteur, Zabus/Campi, aux Éditions Delcourt, 78p., 18,95€
Hercule, agent intergalactique, t.3, «Les rebelles», Zabus/dalena/Giumento chez Le Lombard, 48p., 10,95€