Des Indes galantes politiques
Dans «Les Indes galantes», le réalisateur français Philippe Béziat filme la rencontre folle de l’opéra avec les danses urbaines.
Publié le 09-10-2021 à 06h00
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Les Indes Galantes est à l'origine un flamboyant opéra lyrique de Jean-Philippe Rameau, créé en 1735.
Grâce au réalisateur français Philippe Béziat, c’est aussi un long-métrage, genre documentaire, de 108 minutes, qui a été projeté dans le cadre du FIFF, jeudi soir. Il s’agit là de son 4e documentaire dédié à la sphère musicale.
Indes galantes en version filmée raconte la rencontre improbable, et émouvante, du monde des danses urbaines et de l'opéra élitiste.
Présent jeudi soir sur la scène du Delta, Philippe Béziat est prolixe quand on le questionne sur l’étincelle de cette aventure.
«C'est un court-métrage réalisé en 2016 par Clément Cogitore pour l'opéra Bastille de Paris dans lequel il invite des danseurs de Krump, - une danse née dans le ghetto de Los Angeles au début des années 2000 -, à danser sur une musique du même Jean-Philippe Rameau, la Danse du Calumet de la Paix, sortie du livret des Indes galantes. Ce court-métrage a eu un succès colossal. C'était évident que le krump fonctionnait sur cette musique baroque». Ça fonctionne tellement bien que le directeur du même opéra Bastille veut aller plus loin: inviter sur son prestigieux plateau des cultures chorégraphiques totalement étrangères, antagonistes, a priori contre-nature, du krump donc mais aussi du hip-hop, de la break dance…
Clément Cogitore et la chorégraphe Bintou Dembélé relèvent le défi fou proposé: représenter la totalité de cet opéra-ballet fleuve: 3 h 40, dont trois se résument à de la danse.
Sous leur direction, une troupe hétéroclite et bigarrée de danseurs de tous horizons et disciplines est constituée pour se couler dans cette production lyrique. Le film raconte cette longue et périlleuse adaptation, qui a duré deux ans. «On a filmé le casting des danseurs en 2018, plus d'un an avant la représentation.» Ces derniers ne rencontreront les artistes lyriques, et classiques, qu'en août 2019, deux mois et demi avant la première.
Les sensibilités collent. Ce n'est qu'ensuite que la troupe rencontrera à Namur le chœur du Centre d'Art Vocal et de Musique Ancienne (Cav&Ma). «Une rencontre bouleversante car ces danseurs, plutôt habitués à la musique électronique diffusée par haut-parleur, se retrouvent entourés de chanteurs en acoustique les englobant dans une polyphonie incarnée.»
Reprendre la Bastille
Selon le réalisateur, le choeur namurois produit un effet positif sur tout le monde, techniciens en coulisses y compris.
«En tant qu’amoureux de la musique et du cinéma, ce qui m’intéresse, c’est de faire rentrer le public dans les coulisses d’une production et d’une création, où il se passe des choses fantastiques, qui initient à l’art. C’est très beau à voir.»
Pour Philippe Béziat, ces artistes que tout sépare créent une métaphore de la société: issus d’horizons variés, de condition différente, ils convergent vers une œuvre commune.
Et le miracle s'est produit: «Dans la caverne merveilleuse de l'opéra, j'ai suivi le regard de ces gens qui d'habitude n'y viennent pas, ni en tant que public ni en tant qu'acteur. Ils y ont été exceptionnellement les étrangers invités. Je me suis imprégné de leur pensée, de leur origine, de leur biographie.»
Dans un entretien hors caméra, le cinéaste les a fait parler de leur trajectoire. Cette matière radiophonique captée dans l'intimité a nourri le film. «J'ai été impressionné par leur talent, la maîtrise des outils de communication, leur capacité à utiliser l'image, à improviser avec aisance. Or, en tant que professionnel de l'image, je me suis rendu compte que tout le monde aujourd'hui fabrique des images, se scénarise, se met en scène. Tout le monde peut filmer le canard qu'il est en train de manger au restaurant. Ça n'a peut-être pas d'intérêt mais certains le font avec talent. L'énergie et ce talent que ces jeunes danseurs ont apportés sur le plateau de l'opéra, ils l'apportent aussi au cinéma.»
Faire un opéra de ce genre, à Paris, revient à poser un acte politique. «Il faudrait conclut-il, citant Clément Cogitore, qu'une nouvelle génération de Parisiens reprenne la Bastille, en tant que chasse gardée culturelle, sociale et économique réservée à une élite.» À ce niveau, le film va encore plus loin, et on a envie d'y croire.