La salle qui vibre et qui crie, c’est fini
La fin d’une époque. À la salle de ventes Rops, les lots ne seront plus criés mais adjugés en ligne, de façon automatique, pendant 7 jours.
Publié le 29-05-2021 à 06h00
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Avec le temps tout s’en va, chantait Léo Ferré. Avec l’internet, tout s’en va également. À la salle de ventes Rops, qui ouvrit modestement en 1987, rue Asty-Moulin, et qui caracole aujourd’hui parmi les plus grandes d’Europe, au sein d’un business center luxueux, une page va se tourner, dans un silence assourdissant. Écoutez cela, et ne pleurez pas: le commissaire-priseur, depuis son podium, ne criera plus les lots. Une révolution. Sa verve douée pour enflammer les enchères et attiser le désir de décrocher un bel objet, ne tiendra plus les acheteurs en haleine. Les téléphones qui venaient surenchérir sur les mains levées dans la salle ne chaufferont plus. Pire encore, la salle sera… vide. L’acquisition d’un vieux bahut, d’un vase chinois ou d’une valise Vuitton, ça se passe désormais ailleurs, où l’on ne peut plus rien en voir.
En 2020, la première vente d'après le confinement avait déjà amené le commissaire-priseur à «crier» les lots pour des acheteurs virtuels. Jusqu'à ce que ce dernier se taise définitivement, la distance à parcourir n'était plus très longue. La voilà franchie. La première vente on line de l'histoire de la salle de vente Rops aura lieu de ce lundi 31 mai au dimanche 6 juin. Les jours de la salle trépidante étaient comptés. «Très vite, après essais, on s'est rendu compte que les ventes on line avaient plus de succès que les criées, car l'outil est beaucoup plus convivial et transparent», explique Paul de Sauvage, l'administrateur-délégué du groupe Actibel.
La crise Covid n'a fait qu'accélérer cette inexorable tendance à dématérialiser et à rendre invisible. Crier physiquement les lots n'apportait plus de valeur ajoutée. De toute façon, cela n'aurait plus été humainement possible. «Il y a toujours eu plus ou moins 3 000 lots. Or, pour cette première vente on line, on en a 8 500. En deux ans, on a presque triplé ce nombre. C'est trop pour un homme. Les serveurs sont plus résistants», argumente Paul de Sauvage. La seule gestion des tableaux, à manipuler et à accrocher, occupe un temps plein. Une folie.
Autre avantage du on line: le client, par un système d'enchère automatique, n'a plus à souffrir le stress de rater un lot. La machine travaille pour lui, et adjuge toutes les 30 secondes, à l'heure juste.
On ne crie plus mais, sur 2 500 m2 de plateau plein à craquer, on soigne la mise en scène de ces milliers de curiosités déposées. On emballe et on expédie les lots plus rapidement, dans 35 pays.
Étalée sur 5 jours plutôt que sur 3, du mercredi au dimanche, l'exposition offre 2 nouveautés: une nocturne le vendredi, jusqu'à 21 h, et une ouverture le week-end dédiée aux familles pour qu'elles viennent se promener à travers cette fantastique galerie d'arts décoratifs comme on va au musée. Pour le premier commissaire-priseur de la salle Rops, Benoît de Sauvage, cette vente de mai sera la plus cool de son existence. Il ne s'en portera pas plus mal, même s'il lui manquera ce petit quelque chose qui l'amusait: «Les enchères qui s'envolent, on les vivait. C'était amusant à regarder. Il y avait de l'humain et de l'émotion. Il y avait une ambiance», dit-il. Le revers, c'était le stress lié aux longues heures à rester concentré et à tirer sur ses cordes vocales. Désormais, place à la machine, infatigable, qui parle au monde entier.