Les carnets du chanoine Schmitz : parution d'un ouvrage exceptionnel sur la Première Guerre mondiale

«Nous avons assez peu de sources qui traitent de cet aspect. C'est en cela que les carnets du chanoine sont exceptionnels. Les historiens se sont davantage penchés sur les combats. Or, ici, on ne parle pas des massacres et des conflits. Il y fait tout au plus quelques allusions», explique Jean-François Pacco, coordinateur de la publication et ancien chef d'édition de L'Avenir Namur.

Une centaine d’années après leur écriture, les carnets intimes du chanoine n’en ont plus que le nom. Tout d’abord, car entre 2014 et 2018, les lecteurs de L’Avenir ont pu en découvrir l’une ou l’autre facette au travers de publications sous forme d’un feuilleton mensuel accompagné d’un texte d’éclairage fourni par un historien ou un archiviste. Ensuite, car depuis cette semaine, les éditions namuroises offrent de poursuivre cette lecture dans un ouvrage.

Deux volumes

La sortie de ce coffret comprenant deux tomes et un total de quelque 700pages signe l’aboutissement d’un travail de longue haleine mené par toute une équipe: Jean-François Pacco, Christine Decock, Marie-Christine Claes, Daniel Meynen, Christophe Liégeois et Axel Tixhon. Outre de multiples textes d’éclairage, l’ouvrage est doté d’un long préambule. On y retrouve une judicieuse mise en contexte, ainsi que les grands enseignements qu’il est possible de tirer des carnets. Enfin, ces derniers se découvrent dans leur intégralité.

Une mine d’informations

L'intérêt du récit du chanoine tient avant tout au fait qu'il constitue une véritable mine de renseignements. Des informations qu'il obtient par la presse, les affiches apposées par les occupants, les rumeurs et autres discussions, mais davantage encore grâce à la position qu'il occupe au sein de l'Église. En effet, l'homme jouit d'un poste d'observation privilégié. «L'Église est, à cette époque, l'institution belge la plus importante toujours en place, commence Jean-François Pacco. Puissante, elle est présente dans chaque village, tout en restant imperméable aux Allemands.» Jean Schmitz dispose ainsi d'un solide réseau d'informateurs et d'une grande capacité de mouvement. «Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, un passeport est nécessaire pour se rendre de Namur à Dinant. Mais Schmitz peut, lui, aller en tournée seul pour organiser le fonctionnement de l'Église, ou au côté de l'Évêque.»

Des réquisitions aux déportations en passant par l’extrême contrôle des Allemands, l’œuvre de l’Église ou encore l’approvisionnement en denrées alimentaires, c’est toute la société de l’époque qui se découvre.

les auteurs ont fait la part belle aux illustrations: photos, dessins, cartes postales, coupures de presse, etc. Certaines illustrations proviennent de fonds d’archives connus, d’autres beaucoup moins, comme des collections privées telle que celle de Christophe Liégeois.

Plus de 900 localités:Si Jean Schmitz est principalement actif sur le territoire des provinces de Namur et Luxembourg, celui-ci évoque bon nombre d'autres localités wallonnes et flamandes ainsi qu'étrangères, notamment en France, en Allemagne, en Suisse ou encore en Italie.

Index et glossaire: Autres outils qui devraient ravir tous

les amoureux d’histoire, un index des noms de personnes. Pas moins de 1392 noms sont repris! Homme d’Église, Jean Schmitz utilise logiquement le vocabulaire qui s’y rapporte. Il n’est cependant pas le plus facile à appréhender pour un public non averti. Succinct, le glossaire s’avère bien utile.

Boche: Fait notable, ce terme péjoratif pour qualifier les Allemands est très peu utilisé par le chanoine. Une fois seulement pendant l'occupation et deux fois après leur départ.

Schmitz, un homme de son temps

Né le 3 août 1877 à Commanster (Vielsalm), Jean-Servais Schmitz

s'oriente rapidement vers la théologie. Il terminera ses études à 20 ans. «Il est vite repéré et va faire carrière en tant que secrétaire de l'évêque de Namur. Durant la Première Guerre mondiale, il va travailler au côté de Mgr Heylen. Ce dernier incarne en quelque sorte la résistance de la population», explique Jean-François Pacco qui évoque une figure comparable à celle du Cardinal Mercier. Pendant toute l'occupation, Schmitz portera un soin particulier à défendre le clergé, et à démontrer l'innocence de la population face aux accusations allemandes. Il sera d'ailleurs l'auteur d'une collection de Documents pour servir à l'histoire de l'invasion allemande dans les provinces de Namur et Luxembourg, fruit de son enquête sur les exactions allemandes dans le diocèse.

Dans ses carnets personnels, on devine un homme conservateur et peu porté sur les loisirs. Il évolue dans une société d'hommes où il rencontre peu de femmes et encore moins d'enfants. «Il côtoie des prêtres, des officiers, des notables, mais peu de petites gens. Il est même plutôt méprisant avec les classes populaires. Cela dit, il n'aime pas beaucoup plus la noblesse», indique Jean-François Pacco. Le récit de Jean Schmitz est celui d'un homme de son temps et membre d'un monde bien particulier. «Un témoignage nécessairement orienté, mais très bien informé des réalités namuroises perçues durant la Grande Guerre», souligne Axel Tixhon.