FIFF| Alexandre Wetter, Miss France par la grâce du cinéma: «Être une femme, demande beaucoup d’endurance»
Chassé-croisé entre acteurs confirmés et jeunes pousses prometteuses, ce week-end au FIFF. Parmi celles-ci, Alexandre Wetter (dites-le avec un «v»), irrésistible révélation du film Miss. L’histoire d’un garçon qui rêve de devenir Miss France.
Publié le 04-10-2020 à 20h23
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Alexandre Wetter, le public averti vous connaissait comme mannequin, androgyne (notamment pour Jean-Paul Gaultier), vous voilà premier rôle dans cette folle comédie, Miss de Ruben Alves. Qui s’ouvre sur le logo de la Warner Bros.
Oui, c’est fou, hein. Moi aussi j’ai été étonné. Ça me faisait un point commun avec Harry Potter.
Miss, c’est une histoire de rêve devant mais aussi derrière la caméra?
Il faut rêver, je ne comprends pas les gens qui ne rêvent pas. Gagner de l’argent, ce n’est pas ça la vie. Quand j’étais petit, je rêvais d’être Indiana Jones. J’aimais bien la magie, les paillettes. Je me déguisais en Mme Sarfati, je me mettais en scène. Puis, j’ai rêvé à quelque chose à laquelle je n’arriverais jamais: être mannequin. Et… je l’ai fait.
Rêver dans son coin ne suffit pas, il faut s’en donner les moyens et être attentif, identifier ses qualités comme ses défauts. Puis, il faut surtout ne pas se laisser décourager par les gens qui, parfois sans penser à mal, auront des avis catégoriques, jugeront, briseront le rêve.
Pourtant la société n‘est pas toujours tendre face aux rêves fous. Comme dans le monde des Miss que vous explorez… il n’y a pas de cadeau.
Mais nous vivons dans un monde qui ne fait pas de cadeau. Si seulement on pouvait s’en faire plus souvent, les choses iraient peut-être mieux. Or, le modèle actuel, c’est plutôt la chasse au dépassement de soi.
Miss braque les projecteurs sur un paradoxe, le besoin d’authenticité du personnage contre l’exigence de la compétition dont il gravit les marches.
Alex ne veut pas rentrer dans une case. Mais il est obligé de se conformer à un concours qui n’est pas prévu pour lui. C’est assez drôle et il était important pour nous de jouer avec les codes. À vouloir trop nommer, catégoriser les choses, on oublie de laisser place à l’énergie, à la vibration. Alors, masculin, féminin… peu importe.

Forcément, vous passez par l’épreuve du bikini. Il compte parmi les symboles d’émancipation, il y a quelques décennies, devenus ceux du sexisme selon certains.
Comme quoi rien n’est figé. Il ne faut jamais rien prendre pour acquis, tout peut être interprété différemment des années plus tard. Cet été, en France, des dames n’ont pas pu faire du topless sur des places parce que ça dérangeait certains. Ma maman en faisait dans les années 80, ça ne gênait personne.
Maintenant, il faut une tenue républicaine dans nos écoles. Jamais je ne comprendrai les choses qui ne veulent rien dire. L’émancipation est une lutte permanente, il ne faut jamais l’oublier. C’est fou qu’on puisse passer si rapidement d’un opposé à l’autre. Ça montre à quel point il y a un problème dans nos sociétés.

Le héros de Miss s’appelle Alex. Comme vous.
Miss est né de ma rencontre avec le réalisateur, Ruben Alves. Pour un téléfilm, il avait besoin d’un personnage androgyne. Je me suis rendu à cette entrevue sans filtre, YOLO («You only live once»). Il m’a donné le DVD de son premier film (La cage dorée), et j’ai adoré. Je l’ai tout de suite recontacté: je ne voulais plus faire un téléfilm avec lui, mais un film. Lui aussi.
J’aime les histoires modernes, je voulais aborder la transidentité mais reprendre à l’origine: qu’est-ce qui rassemble les gens? Ruben s’est nourri un peu de mon histoire, oui, mais pas que. Il fallait une quête au héros et Ruben m’a interrogé: quelle était l’image féminine de la France, par excellence? Il m’a parlé de Marianne, j’ai trouvé ça dépassé. Puis, il a cité Miss France. Je lui ai répondu: fais de moi une Miss France! La production a dit banco.
Mais Alex, ce n’est pas moi. C’est un orphelin qui s’est reconstitué une famille de pieds nickelés. Certains ont vu leu rêve brisé. L’un deale du shit mais se prend pour Bill Gates. Il y a aussi cette famille tamoule qui pourrait être à la pointe de la médecine dans son pays mais se retrouve sans rien. Il y a beaucoup de tendresse, ils se vannent avec bienveillance. C’est un univers que certains ne voudront pas voir mais si on l’accepte, vous vous rendrez compte que c’est génial.

Je souhaite à tout le monde d’avoir dans sa vie une Lola, ce travesti qui se rêve esthéticienne et a du vécu.
Un personnage incroyable campé par Thibault de Montalembert. J’imagine qu’il peut parfois être difficile de garder son sérieux.
Il y a eu de très bons moments avec lui, mais pas de fou rire. Nous étions tellement concentrés pour faire les choses au mieux. Thibault a dû garder Lola en lui, longtemps. Alors que j’étais de la partie pour tout le tournage, lui n’apparaissait pas à tous les plans. Mais il devait rester Lola.
Il avait pris une colocation avec sa femme. Les voisins n’en pouvaient plus d’entendre ses talons monter et descendre les escaliers. Puis, il frôlait la dispute avec sa femme: avec sa manucure, il ne pouvait pas faire la vaisselle.
Dans ce film, vous fréquentez aussi Isabelle Nanty, Pascale Arbillot et… Amanda Lear. La patronne?
C’est l’image idéale, elle représente tant. Je l’admire. Je rêvais de travailler avec elle. C’est une femme intelligente, malgré la dureté que les gens ont entretenue à son égard, elle a toujours surfé au-dessus de ça. Ce qu’elle a vécu, le doute que certains ont entretenu autour d’elle pour savoir si elle était une femme ou un homme, c’est le harcèlement, la transphobie que d’autres décrient aujourd’hui, ne laissent plus passer. Elle a traversé ça, elle est toujours aussi belle et forte.
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Son caméo la représente bien, notamment dans cette façon de dire au personnage qu’il sera une salope, qu’il gagne ou qu’il perde. C’est un regard qui bouscule mais dans une optique bienfaitrice.
Comment êtes-vous devenu Miss France?
Avec beaucoup de travail, deux mois avec une coach incroyable qui m’a incité à trouver… mon masculin. Je trouvais ça étonnant, à l’opposé du rôle que j’allais jouer. Mais c’était toute la question de l’équilibre qui était en jeu. Je devais retrouver le petit garçon que j’étais avant le mannequinat, casser la coquille blindée et me reconnecter à mes émotions. Je ne savais plus pleurer, je pensais que je m’étais endurci. Mais non, retrouver mes émotions était essentiel pour rendre mon personnage vivant, pour que je sois le seul garant de sa vérité et sa parole. Je devais m’oublier tout en étant à côté. Je devais faire revenir à la surface l’instinct premier, créer ce personnage avec mes valises actuelles mais aussi celles que j’ai porté toute ma vie.

Après, il y a eu beaucoup d’endurance physique. Le plus horrible? Les talons, les vêtements serrés, pas adaptés à ma carrure. Être une femme, ça demande beaucoup d’endurance. Pour entrer dans le rôle, je devais oublier la douleur.
Le FIFF, c’est l’occasion pour vous de revenir en Belgique. Vous êtes venu à la mer du Nord avec les «Miss» pour le tournage d’une opération de nettoyage des plages.
C’était la fin du tournage et je reviens à la fin de la promotion, qui a duré à cause du Covid. J’en profite encore un peu. C’est mon bébé, ce film, je ne l’ai pas encore accouché. La Belgique, c’était très chouette. Et l’idée de ce nettoyage des plages a tellement plu au comité Miss France qu’ils nous ont piqué l’idée… à Tahiti. Bon, les candidates ont eu nettement moins froid que nous, au bord de la mer du Nord.
Sortie du film, le 28 octobre 2020