Voici le temps des enchères digitales
La crise a boosté la digitalisation de la salle de vente: pour la 1re fois, 3 300 lots ne seront pas criés mais adjugés sur un site web.
Publié le 25-05-2020 à 06h00
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La salle de vente Rops a inauguré dimanche sa première vente aux enchères de l’ère Covid. D’ici mercredi soir, quelque 5 500 lots auront été adjugés aux plus offrants. Il s’agit des lots de la vente annulée d’avril. Mais, une pandémie plus loin, dans cet univers bigarré d’une diversité phénoménale de pièces décoratives, d’œuvres d’art et d’antiquités de maître, plus rien n’est comme avant. Le changement se lit dans deux images fortes: samedi, l’immense salle d’exposition n’absorbant plus que cent personnes à la fois, déambulant masquées. Et, dimanche matin, face au crieur et à l’huissier juchés sur leur podium de château, un public dégarni du fait de la distanciation sociale, désormais chaudement invité à rester chez lui.
La priorité a changé de camp. Elle n’est plus à la salle physique, limitée, mais au champ illimité du numérique, qui jette celle-ci dans les bras du monde entier. Si l’acheteur préfère malgré tout sentir l’atmosphère assagie du lieu, il ne peut plus s’y éterniser au-delà de trente minutes. Finis, les longs dimanches à la salle, à regarder le torrent des meubles baroques et objets allégoriques s’étrangler au compte-gouttes, parfois juste pour le plaisir des yeux, comme dans un musée.
«La crise sanitaire nous a secoués commente Paul de Sauvage, l'administrateur-délégué de la société Actibel, qui gère la salle de vente Rops. Le processus de digitalisation était enclenché, mais le coronavirus l'a boosté. Nous avons mis à profit les 2 mois de confinement, avec notre informaticien et des spécialistes extérieurs, pour mettre au point notre propre plateforme de vente. Nous n'avons jamais autant travaillé pour tracer l'avenir et nous réinventer.» Et celle-ci fait la révolution.
Une première vente sous ère Covid en deux salves. Ce dimanche, le patron de la salle, Benoît de Sauvage, a commencé à «crier» en live les 2 200 premiers lots de la vente dite cataloguée, en partenariat avec la prestigieuse salle de vente parisienne Drouot.
Bye bye le crieur
La vente est retransmise sur le site drouot.rops-online.be. Les enchères valsent en ligne et en direct, depuis des bureaux et des canapés privés. «Pari réussi. Plus de 170 personnes suivent la vente» s'enthousiasme l'administrateur-délégué. La salle Rops avait déjà expérimenté cette connexion à distance avec la plateforme internationale, pour des ventes plus ciblées, de vases chinois par exemple. Elle sera désormais systématisée. «La seule différence, c'est que c'est plus lent, il y a un décalage entre la salle et le site» lâche Benoît de Sauvage. Si la technologie s'est accélérée, le rythme de passage des lots a, lui, décéléré. Le nombre d'adjudications a chuté de 180 à l'heure à 80, obligeant l'étalement de la vente sur deux jours. Avant, le crieur avait sous les yeux des acheteurs fiévreux, compulsifs, la main en embuscade. Ce dimanche, le spectacle, plus relax, a perdu quantité de visages, il a éclaté en «clics» silencieux, anonymes et invisibles. «Il faudra bien s'y faire» ajoute l'huissier, Paul Hamoir.
Pour les 3 300 lots restants, l'ancien monde est davantage renversé. Étrenné ce mardi, le site web (rops.online.be) a évacué le crieur. Autonome, la machine fait le job, selon le principe du populaire site de vente aux enchères eBay. Mais l'administrateur-délégué rassure tout de suite. Si le principe est le même, la pièce maîtresse du monde d'avant demeure: c'est la salle de vente, ce bric-à-brac régalant les curieux et brassant de tout, d'un tableau de nature morte à quelques voitures Dinky. «Le lieu physique de la salle est plus nécessaire que jamais, car tous les lots y sont rassemblés et visibles, et parce qu'ils y ont été expertisés, en toute transparence. Notre salle de vente est reconnue, elle offre le service de l'expertise, garantit la transaction mais aussi l'anonymat. L'acheteur, avec nous, est certain de recevoir son lot et le vendeur d'être payé.» Sur eBay, par contre… Cette première sous sceau Covid n'était pas gagnée. Comment les clients allaient-ils réagir? «L'envie d'acheter, chez les collectionneurs et les passionnés, elle est revenue», souligne Benoît de Sauvage. La salle d'exposition a fait le plein, attestant d'une addiction intacte pour les pièces rares. Parmi celles-ci, des produits contemporains, luxueux et griffés, d'anciens sacs Vuitton et des foulards Hermès dans leur belle boîte d'origine.