EN IMAGES| Vincent Zabus: spéc’ odyssée de BD dans le vaisseau d’un drôle d’Hercule
Homme de planches, au théâtre comme à la BD, Vincent Zabus s’aventure dans l’espace avec une série jeunesse et le dessinateur Antonello Dalena.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7JMDQJB7INCIPF3U5FMG675YQM.png)
Publié le 27-08-2019 à 18h56
En cette année lunaire, la bande dessinée taille ses crayons tels des fusées, en direction de l’espace. Dans tous les styles, et celui du duo Zabus/Dalena vaut le détour, bourré de tendresse, sur orbite et pourtant terre à terre. C’est ainsi qu’Hercule, agent intergalactique, et son ami aux longues oreilles (sujettes à quelques gags très réussis), Marlon, se présentent à nous.

Cancres attack
Des cancres, il n'y a pas d'autre mot. Des personnages attirants pour Vincent Zabus, le scénariste davois. «Je voulais deux anti-héros, les pires élèves de leur classe. Les plus drôles, aussi. Les adolescents aiment les personnages dans lesquels ils peuvent se reconnaître. Si le héros ne montre pas des signes de faiblesse, il me semble peu intéressant. Le héros doit être imparfait comme les lecteurs le sont. Il ne faut pas que ceux-ci se sentent nuls à côté des super-héros.Hercule a un nom de héros mais il est plus jeune, plus petit, il a le sentiment de ne pas être à la bonne place. J'aime beaucoup user du décalage, entre ce nom de grand costaud et le sentiment que le personnage peut avoir de l'intérieur. »

Pourtant si ces deux héros mal assortis (on pense à Astérix et Obélix autant qu'à Bob et Sully du dessin animé Monstres et Cie) n'en ont pas conscience, ils ont quelque chose au fond d'eux, au fond de l'espace, qui va faire la différence. Sur leur vaisseau-nuage (une fabuleuse idée graphique héritée des mangas de Miyazaki), nos deux héros vont s'aventurer sur scène et devenir les anges gardiens un peu gauches de Margot.

La fille du frigo, qui donne son titre à ce premier tome d'une série que les auteurs espèrent longue. Pas plus haute que trois pommes, cette gamine passe ses journées à manger des glaçons, à s'enfermer dans son frigo, en répétant: « Je dois être froide, sans émotion… De glace. » «La question, continue le scénariste, est: comment les enfants affrontent-ils leurs peurs? La poésie, c'est un bon moyen pour exposer le problème. Cette gamine, elle est mystérieuse dès le départ. L'image est intéressante et graphiquement, cela raconte déjà.Mes albums, j'essaie de les rendre vivants, en pensant à des blagues et des émotions pour les jeunes mais en espérant que le lecteur adulte puisse y trouver son compte et trouve l'ensemble intéressant. »

Espace extra-large
Mais Vincent retrouve avec bonheur les enfants après quelques projets plus matures (les très remarqués Macaroni, Les Ombres ou encore Magritte, ceci n'est une biographie) emmenant tout ce monde dans le même… vaisseau. «La série pose la question du comment se renouveler. L'espace, ça a quelque chose de rassurant pour le scénariste. Il y a tellement à explorer. La science-fiction permet de traiter des sujets de société. En inventant d'autres univers, des agents aident le lecteur à transposer ce qu'il se passe dans notre quotidien. Situer les choses dans l'espace, ça permet de traiter les choses de manière métaphorique. En plus, c'est gai de le faire avec un dessinateur d'humour. Ce que nous cherchons à faire, ce n'est ni quelque chose de didactique ni de réaliste. Il ne fallait pas que le sujet soit si fort qu'il prenne toute la place. »

Néanmoins, des thèmes très actuels seront partie prenante des histoires d'aventure de nos deux extraterrestres. «Le deuxième tome sera quelque part entre Alien et les Dix petits nègres. Le navire spatial de nos héros croisera une colonne de migrants. Les deux bâtiments se télescoperont et les questions se poseront: faut-il ou pas faire rentrer ces échoués? L'étranger est-il dangereux ou pas? Faut-il s'en méfier? Tout se passera dans l'école des enfants avec des méchants potentiels. Tous tomberont petit à petit malades.»

En parcourant ce bien bel album, on se rend compte de la fusion entre le scénario et le dessin. Pourtant, les deux auteurs n'ont échangé que deux fois par mail. «Dalena est italien. Je ne parle pas italien et lui pas français. Nous ne nous sommes jamais vus. La barrière de la langue m'inquiétait. Mais, Dalena comprenait bien mes intentions. Il connaît bien la BD et il traduit bien ce que j'écris. Oui, il a fallu parfois bidouiller mais ça fait partie du travail. De plus en plus, j'essaie d'écrire pour le dessinateur. Pour donner vie à Hercule, j'ai beaucoup lu la série des Ernest et Rebecca que Dalena avait réalisée précédemment. J'ai fait attention à son découpage des planches. J'ai vu qu'il était bon dans le burlesque. Puis, il a le sens des expressions. »
Tome 1 chez Le Lombard, 48p., 10,95€

Leur prochain album, L'Éveil (80 pages, aux Éditions Delcourt), se passe à Bruxelles, il y a deux ans, au moment de l'élection de Donald Trump. «C'est l'histoire d'un jeune homme hypocondriaque, en total repli sur lui-même. Un jour, il sort de chez lui et une branche tombe presque sur lui. Il lève la tête et voit que cet arbre est comme mordu. Bien sûr, nous ne sommes pas dans un Spielberg, notre héros va se demander qui a bien pu faire ça. Il sera guidé vers un street artist très engagé et ouvert sur le monde. Pour cette histoire, je me suis inspiré de l'aventure d'amis, des heureux allumés, qui ont tenu une quincaillerie culturelle éphémère à Bruxelles. Une expérience très intéressante, celle de changer le monde à son niveau. Avec de la résilience, une ouverture sur le monde. »

Un thème cher au Namurois qui prépare, toujours avec Thomas Campi, un polar dans les années 50.
Royal super-héros
Avec Incroyable!, tiré d'une pièce de théâtre des Zygomars (basée elle-même sur un scénario BD non-abouti), Vincent renoue avec Hippolyte, Français vivant à la Réunion. «C'est l'histoire d'un gamin rempli de TOC. Il est livré à lui-même. À 11-12 ans, on sent bien qu'il part mal. Sauf qu'un jour, alors qu'il doit présenter un exposé devant sa classe, il oublie ses feuilles et commence à improviser.

Tellement bien que c'en devient intéressant. Sa professeure le sélectionne pour représenter sa classe au concours régional des exposés qui se tiendra à Namur. Nous sommes dans la Belgique des années 80's, celle du Mexique et du Roi Baudoin. Un roi dont notre héros a fait son ami imaginaire, son super-héros. C'est un peu iconoclaste, un récit pour les adultes mais avec un enfant. Alors qu'au théâtre, cette pièce était destinée, avant tout, aux enfants.»

L'action se situe aussi en Belgique! «Hippolyte a même dessiné le théâtre de Namur. En plus, il y a quelques décennies, parce que les magazines BD étaient destinés à la France, on ne pouvait pas dessiner la Belgique, des lieux trop identifiables. Comme si on ne pouvait pas être universel quand on parle de son petit pré carré.»


«En nous côtoyant ici, à l'Atelier des Abattoirs de Bomel, nous avons souvent réinventé le monde et parlé BD. Nous avons commencé à faire une histoire courte pour Spirou… trop courte. Nous avons été plus ambitieux, Denis a réalisé 32 planches, sans trop de pression. Puis il est parti retravailler une semaine et est revenu avec un redécoupage en 44 planches, remis en scènes. Avec de nouvelles idées. Il pose des questions que jamais aucun dessinateur ne m'avait posées auparavant. S'il ne croit pas à son histoire, il est incapable de la dessiner. Je découvre à quel point la mise en scène raconte le sujet. Ce n'est pas tout de dire qu'une scène est émouvante, tant que Denis n'en aura pas fait assez, il ne lâchera rien. Rien n'est fait gratuitement. Il dessine vite mais il… redessine. »