En maraude, à la rencontre des damnés de Namur
Quotidiennement et à tour de rôle, les différents services du Relais social urbain organisent une maraude en binôme. Ils vont à la rencontre des plus démunis. Nous avons accompagné l’équipe de l’ASBL Entraide Sida.
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Publié le 23-02-2019 à 06h00
Il y a mille et une manières d’observer Namur, d’aller à la rencontre de ses habitants, souvent chaleureux, parfois grognons. À l’occasion d’un rendez-vous touristique, d’un moment shopping ou d’une balade le nez en l’air. La visite à laquelle nous ont conviés les travailleurs sociaux de l’ASBL Namur Entraide Sida (NES pour les intimes) est d’un autre genre. Elle invite à s’agenouiller, à écouter et à fixer dans le blanc des yeux ceux qui font plus souvent se détourner les regards. Des gens au parcours cabossé dont le dernier refuge est la rue. En dix ans, dont sept au sein du NES, François Lavis, assistant social, a appris à arpenter la ville sans œillère.
La maraude
Mardi matin, le service spécialisé dans l'écoute et l'accueil de personnes toxicomanes prend son tour de «maraude». C'est le terme utilisé par les travailleurs sociaux pour qualifier ces promenades où chaque composante du Relais social urbain namurois se relaye, pour aller à la rencontre des gens de la rue. «L'objectif, c'est de créer un lien avec des gens qu'on ne connaît pas encore bien et entretenir le contact avec les autres. Ça prend du temps, précise François. On est là pour écouter, être disponible, réorienter au mieux vers les services adéquats.»
Les maraudeurs travaillent en effet pour la collectivité. «On retire notre casquette de spécialiste des assuétudes.» Dans un second temps, les retours du terrain seront partagés avec les autres intervenants sociaux.
Une accumulation
Pas besoin d'écumer la corbeille durant des heures pour se confronter à la dure réalité de la précarité. Elle s'impose aux maraudeurs dès la place d'Armes. François salue Vincent. Dissimulé derrière une poubelle, l'homme fait la manche, discrètement, au pied de l'Inno. Il s'agit de sa seule source de revenus. «Je vis dans la rue depuis sept ans et je viens juste d'être radié du registre national, témoigne-t-il. Je n'ai plus droit à rien, plus de mutuelle, plus rien.» Ces informations sont précieuses pour François. «Il faudra réfléchir à ce que l'on peut faire au plus vite, nous glisse-t-il. Une solution pourrait être de le domicilier au CPAS.» Aux ennuis administratifs et financiers se conjuguent souvent les soucis de santé. «Je suis allé aux urgences il y a quelques jours parce que mes pieds me faisaient mal. On m'a mis à la porte au bout de deux heures», relate Vincent. Mylène Durenne, l'infirmière qui complète le binôme du jour, confirme qu'il s'agit du mal le plus répandu parmi les personnes de la rue. En raison du froid et de l'hygiène… mais pas seulement. «Il faut bien se rendre compte que, sur une journée, elles marchent beaucoup plus que nous», complète François.
Cohabitation difficile
Dans le haut de la rue de Fer, la gouaille de Michaël contraste avec la discrétion de Vincent. L'homme est remonté contre le système et il le fait savoir en donnant de la voix. Un peu trop, selon la gérante du magasin devant lequel le sans-abri a posé ses affaires. «Tu insultes les clients. Quand tu dors dans le hall, tu fais des crasses. Tu as cassé la boîte aux lettres», énumère-t-elle, galvanisée par notre présence. Et sa collègue de renchérir: «On t'offre le café, on te donne parfois à manger, mais ça ne peut plus durer.» La menace d'appeler la police est évoquée. Et Michaël encaisse. «Mais je vous aime bien moi», dit-il penaud. Les deux travailleurs du NES assistent à la scène, impuissants. «Les commerçants savent qu'il y a un numéro d'urgence sociale pour gérer ça», se contente de dire François. La cohabitation avec les personnes précarisées n'est pas toujours des plus aisées. Comme dans toutes les grandes villes. Pour l'assistant social, il est important d'éviter les généralités et de repousser les stéréotypes, notamment ceux liés aux addictions. Toutes les personnes qui font la manche n'ont pas forcément un penchant pour l'alcool ou la drogue. «Il faut arrêter de croire qu'une pièce donnée va forcément servir à acheter une bouteille», renchérit notre «guide». Même si la vie en rue, hostile, est plus propice à la consommation.
Une bonne journée? 45€
À l'entrée de la gare de Namur, côté boulevard du Nord, Josiane fait mentir l'un des stéréotypes les plus tenaces: celui qui associe «mendiant» et «SDF». «J'habite un appartement à deux rues d'ici. Je suis au CPAS mais je n'ai pas assez d'argent pour vivre. Alors je m'installe ici et j'attends, matin et soir. Quand j'en ai marre, je m'en vais. Je fais ça pour mon fils qui a 22 ans. Je ne veux pas qu'il soit un jour amener à dormir dehors», explique-t-elle. Un bonjour enjôleur par ci, un sourire par-là, Josiane sait comment séduire les passants. «Ils m'apportent de quoi manger, à boire ou un peu de monnaie. Samedi dernier, c'était une bonne journée. J'ai gagné 45€.»