Monseigneur Léonard: «Non, je ne regrette rien»
À la manière de Bernanos, Mgr Léonard a rédigé son Journal d’un évêque de campagne. Rencontre.
- Publié le 19-02-2019 à 07h50
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Quand avez-vous rédigé votre journal d’un évêque de campagne?
Dès le départ, j’y ai pensé, mais je ne l’ai pas rédigé à l’époque car je n’avais pas le temps. Le déclic, c’est que j’ai relu plusieurs romans de Bernanos, dont son célèbre journal d’un curé de campagne. Je me suis mis dans l’état d’esprit de l’époque, tant dans les sentiments que les attitudes, en respectant les dates et sans allusion à l’actualité d’aujourd’hui. J’ai ainsi demandé aux archives de m’envoyer des photocopies de mes agendas, ainsi que les publications relatives à mes visites pastorales.
Monseigneur, vous avez pratiquement disparu des radars depuis que vous avez quitté l’archevêché de Malines-Bruxelles. Que devenez-vous?
À l’heure de la retraite, je me suis dit que j’allais connaître un autre pays. Je me suis installé près du sanctuaire du Laus, dans les Hautes-Alpes, le sanctuaire qui a connu les plus longues apparitions mariales de l’histoire de l’Église, de 1664 à 1718. C’est un lieu voué à la réconciliation et au sacrement du pardon. J’y mène une belle vie de prêtre bien remplie, m’investissant le week-end dans plusieurs paroisses. Et je vais au sanctuaire quelques jours par semaine.
Revenez-vous régulièrement à Namur?
Je reviens une fois par an en Belgique et je ne fais rien de public. Je ne veux pas être la belle-mère de mes deux anciens diocèses.
Vous êtes le principal sujet de vos réflexions. N’est-ce pas un péché d’orgueil de se mettre ainsi en scène?
Je n’ai pas tellement pensé à cela. Mon avenir est forcément limité. J’aurai bientôt 79 ans. J’ai voulu surtout évoquer des sujets pastoraux très divers qui pouvaient aujourd’hui être une contribution auprès d’autres évêques en France ou de prêtres ou de chrétiens engagés dans la pastorale. Il y a des réflexions sur la catéchèse, le sacrement de mariage… Le carnet, c’est pour éviter toute forme d’enseignement professoral, en traitant aussi autant que possible le sujet avec humour.
Dans cet ouvrage, vous n’êtes pas toujours tendre avec vos contemporains. Notamment avec votre prédécesseur, Mgr Mathen…
Il avait des qualités de cœur, mais n’avait pas des qualités d’éloquence pour parler aux gens. Il avait une grande qualité de présence, mais quand il prenait la parole, c’était parfois mal articulé, sauf quand il avait rédigé, mais il disait cela sur un ton monocorde, pas très vivant. Voilà, chacun a son style.
En vous lisant, on ne décèle pas la moindre once de doute sur la façon dont vous avez conduit votre action. Vous donnez l’impression d’être pétri de certitudes…
Il y a du vrai là-dedans. J’avais des convictions très fortes sur mes priorités, que j’ai d’ailleurs annoncées et je m’y suis effectivement tenu. J’avais projeté de visiter intégralement le diocèse. En six ans, j’ai pu séjourner deux bonnes semaines dans chaque doyenné. Il y en avait 39 à l’époque. Il faut vraiment le vouloir sinon on est pris par le quotidien. J’ai finalement fait trois fois le tour du diocèse. J’ai voulu un séminaire tout à fait fiable sur le plan doctrinal, et cela a suscité la tempête dans les premiers mois, il est finalement devenu le séminaire de tous les séminaristes francophones de Belgique. J’ai apporté du fruit, j’ai laissé des blessures.
Revenons à la question du doute, n’est-ce pas faire preuve d’intelligence que de douter en permanence?
Comme le chantait Piaf, «Non, je ne regrette rien». Je n’ai jamais douté de mes convictions maîtresses, mais je souligne que beaucoup d’initiatives m’ont été suggérées par d’autres personnes. J’ai reçu indépendamment six femmes dans des situations conjugales difficiles: elles étaient séparées, divorcées ou remariées. Elles m’ont suggéré de se voir sur un plan plus large, et de consacrer, une à deux fois par an, une journée entière à ces situations.
Le jour où vous comparaîtrez devant Dieu, que comptez-vous lui dire?
Je lui demanderai pardon de ne pas en avoir fait davantage, même si je me suis beaucoup dépensé. Je n’ai pas accordé une priorité suffisante à certaines situations de détresse: je n’ai vécu qu’une fois seulement l’accueil de sans-papiers, j’aurais dû faire plus. Je Lui demanderai d’être miséricordieux: j’ai agi avec beaucoup de franc-parler, je n’ai parfois pas assez emballé des déclarations que je trouvais pertinentes sur le fond.